Anthony Fielding, un paisible musicien vivant dans une région côtière de Grande-Bretagne, rencontre Crossley, un homme étrange, qui s'invite chez lui. Il prétend s'être rendu en Australie et y avoir étudier la magie des aborigènes. Rapidement, ce personnage singulier va se montrer de plus en plus envahissant...
LE CRI DU SORCIER est un film du polonais Jerzy Skolimowski. Celui-ci commença sa carrière en écrivant des scénarios pour des réalisateurs de sa génération : LES INNOCENTS CHARMEURS de Wajda, puis LE COUTEAU DANS L'EAU, premier long-métrage d'un certain Roman Polanski. A partir de 1964, il dirige ses premiers films dans son pays, où il acquiert une certaine réputation. Mais, en 1967, son HAUT LES MAINS est retenu par la censure, à cause de son point de vue critique sur le Stalinisme. Skolimowski part alors travailler en occident, où il est accueilli à bras ouverts : LE DEPART, tourné en France la même année, reçoit ainsi l'Ours d'Or à Berlin. Il réalise essentiellement des drames, dans lesquels l'étrange a parfois sa place (DEEP END). En 1978, sort LE CRI DU SORCIER, interprété par un prestigieux casting : Alan Bates (LOVE de Ken Russell...), Susannah York (ON ACHÈVE BIEN LES CHEVAUX de Sidney Pollack...), John Hurt (ELEPHANT MAN de David Lynch) et Tim Curry (immortel star de THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW...). Ce dernier y interprète Robert Graves, auteur de la nouvelle dont a été inspiré le film.
Ce sera la seule fois que Skolimowski se frottera à un sujet ouvertement fantastique. Aussitôt après, il tournera des réflexions sur sa condition d'exilé et d'artiste : TRAVAIL AU NOIR raconte comment des ouvriers polonais, venus travailler sur un chantier en Angleterre, apprennent le coup d'état du général Jaruzelski dans leur pays natal ; dans LE SUCCÈS A TOUT PRIX, Michael York incarne un dramaturge polonais célèbre, vivant à Londres, mais incapable de financer son nouveau spectacle qu'il veut dédier à la Pologne. Skolimowski signe encore des oeuvres remarquées, comme LE BATEAU-PHARE, mais, à partir de la fin des années 1980, il tourne de moins en moins souvent.
LE CRI DU SORCIER s'ouvre dans le décor insolite d'un asile psychiatrique. Une partie de cricket, à laquelle participent aussi bien les internés que le personnel soignant, y est organisée. Robert Graves, ami d'un médecin, est invité pour compter les points en compagnie de Crossley, un malade. Pendant que le match suit son cours, Crossley raconte les évènements ayant mené à son internement...
Anthony Fielding, un musicien, vit dans une demeure isolée, près de la côte, avec son épouse Rachel. Il rencontre Crossley, qui s'incruste chez lui. Celui-ci commence à proclamer qu'il a voyagé en Australie. Il y aurait étudié les sociétés aborigènes, dont il a adopté le mode de vie. Ainsi, suivant une de leurs traditions, il prétend avoir tué ses enfants. Il se vante même de maîtriser certaines techniques magiques, enseignées par un sorcier de ce peuple, parmi lesquelles le "cri qui tue". Fielding accueille ces déclarations avec un mélange de fascination et d'incrédulité. Crossley va de plus en plus s'imposer dans la vie du couple, et les relations entre les personnages vont tourner à l'affrontement...
A la manière du CABINET DU DOCTEUR CALIGARI, LE CRI DU SORCIER prend donc la forme d'un récit indirect, raconté par un malade mental dans un asile, au cours d'une récréation. Cette mise en place est rapprochée, dans l'épilogue, de la célèbre tirade du MACBETH de Shakespeare : "La vie n'est qu'une ombre en marche, un pauvre acteur, qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène, et puis qu'on n'entend plus. C'est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien."
Le spectateur, à la manière de Graves, est alors invité à "compter les points", l'affrontement narré trouvant son écho métaphorique dans le jeu de cricket entre les fous et les médecins. Dès lors, l'ambiguité va être de mise. Dans le récit de Crossley : quelle est la part des délires du dément ? Quelle est la part de la vérité ?
L'histoire de Crossley a la forme d'un huis-clos tendu, doublé d'un affrontement psychologique ambigu, comme on en avait vu quelques-uns dans le cinéma anglais des années 1960. CUL-DE-SAC de Polanski ou THE SERVANT de Joseph Losey en sont les deux principaux représentants. Un fort (ici, Crossley) s'impose dans la vie d'un faible (Fielding) et l'écrase impitoyablement. La description de ces rapports de force mêle lâcheté et manipulation, cruauté et masochisme, dans une ambiance inconfortable, donnant lieu à des scènes pesantes et déstabilisantes.
La confrontation s'articule entre les deux modes de vie des personnages. Crossley est un poète errant, un voyageur sans attache ni bagage, tandis que Fielding vit l'existence tranquille et sédentaire d'un bourgeois. Il tente de s'exprimer à travers la composition musicale, aidé par d'onéreux instruments artificiels et électroniques (synthétiseurs, vocoder...), en ayant comme modèle artistique l'œuvre expressionniste et viscérale du peintre Francis Bacon (dont des reproductions des oeuvres sont accrochées dans son studio d'enregistrement). Mais, le travail de Fielding reste creux, sans profondeur, et le laisse insatisfait. Crossley, de son côté, au seul moyen de son corps et de sa voix, parvient à atteindre une forme pure d'expression sonore ultime : un cri d'une telle intensité qu'il ôte la vie à ceux qui l'entendent.
Le fantastique s'immisce alors dans ce drame psychologique. Le classique huis-clos se voit enrichi d'une dimension surnaturelle par l'insertion d'éléments liés à la magie aborigène. La supériorité de Crossley provient avant tout de sa maîtrise de cette discipline, qui lui permet de faire peser une lourde menace physique sur Fielding. Bien qu'initialement rationaliste et incrédule, les évènements forceront le musicien à constater l'existence évidente de forces fantastiques, qu'il devra mettre à son service pour affronter d'égal à égal Crossley.
LE CRI DU SORCIER propose des passages d'une grande force plastique, comme la démonstration du cri, jouant sur le spectaculaire paysage côtier et désolé dans lequel se déroule ce drame. La mise en scène va d'ailleurs souvent opposer la nature sauvage et démesurée, associée à Crossley et à la magie aborigène, et la maison aux pièces étriquées, qui reflète le mode de vie de Fielding.
Habilement construit et ambitieux, LE CRI DU SORCIER n'en souffre pas moins de petites longueurs et de passages moyennement réussis (les longues expérimentations sonores de Fielding...). Quant aux références à Bacon ou à Shakespeare, si elles sont bien intégrées au récit, elles sont parfois un peu trop appuyées, et la menace d'une prétention irritante pèse par moments. Le style est globalement assez sévère, un peu froid et ne cherche pas à séduire le spectateur.
Jouant du fantastique sur un mode retenu et original, LE CRI DU SORCIER frappe par ses partis pris allant à rebrousse-poil du cinéma fantastique classique. Ainsi, si il n'y a, pour ainsi dire, pas d'effets spéciaux visuels, la bande-son, elle, est très riche en expérimentations. Assez exigeant envers le spectateur, cet affrontement psychologique bénéficie d'une réelle richesse thématique et d'une atmosphère tendue et étrange n'appartenant qu'à lui.
LE CRI DU SORCIER propose une image au format 1.77, collant donc parfaitement à l'option 16/9 disponible pour ce titre. La copie est d'une propreté pratiquement impeccable, et la gestion générale de la lumière et de la définition est souvent spectaculaire. On peut faire quelques petits reproches, ponctuels, quant à la colorimétrie de certains plans (dominantes jaunes dans des scènes sombres, tons de chair parfois un peu pourpre...) ou à la compression (les rouges vifs ont tendance à fourmiller par exemple), mais l'ensemble est tout de même de très bonne tenue.
Quant aux bandes-son : attention au micmac ! La jaquette annonce, pour le français, la bande-son en mono d'origine, en Dolby Digital 5.1 et en DTS 5.1. Le menu, lui ne nous laisse le choix qu'entre le DD 5.1 et le DTS. Or, si on sélectionne l'option DD 5.1, on se trouve en présence... d'une piste stéréo française manifestement en surround qui donne parfois trop d'importances à certains effets comme les bruits de pas de John Hurt bien trop exagéré en comparaison de la version originale ! L'autre piste sonore est le reflet de la piste stéréo mais cette fois réellement en DTS.
Heureusement, on trouve bien une excellente bande-son anglaise en Dolby Stereo d'époque, très propre et réussie. Si on sélectionne cette version originale, les sous-titres français ne peuvent pas être retirés.
La section bonus est assez pauvre : on y trouve juste les filmographies de Jerzy Skolimowski, Alan Bates, Susannah York et John Hurt. On peut aussi accéder à huit bandes-annonces d'autres films proposés par PVB. C'est un peu mieux que l'édition anglaise de Carlton (dont PVB a apparemment récupéré le master), qui ne propose aucun bonus.
LE CRI DU SORCIER, affrontement psychologique rehaussé d'éléments fantastiques, mérite d'être découvert. Sous des dehors un peu froids, la richesse de sa mise en scène et de son atmosphère singulière fascine. Cette édition correcte n'appelle pas de commentaires particuliers, à part pour la petite confusion (pas bien grave) dans la présentation des bandes-son françaises.