Header Critique : MORT QUI MARCHE, LE (THE WALKING DEAD)

Critique du film
LE MORT QUI MARCHE 1936

THE WALKING DEAD 

LE MORT QUI MARCHE sort en 1936, alors que la production de films fantastiques hollywoodiens est encore abondante, sur la lancée des succès Universal comme DRACULA et FRANKENSTEIN. Warner Bros produit durant cette vague quelques films confiés au réalisateur d'origine hongroise Michael Curtiz : DOCTEUR X et MASQUES DE CIRE (tous deux en Technicolor bichrome), puis plus tard LE MORT QUI MARCHE.

Au milieu des années trente, Curtiz n'est plus cet européen fraîchement débarqué qu'il était à la fin des années vingt. Il s'est taillé une place de réalisateur respecté chez Warner Bros. Ce studio lui confie des projets ambitieux comme le film social sur les mineurs FURIE NOIRE en 1935. Il tourne aussi CAPITAINE BLOOD, son premier film d'aventures avec Errol Flynn qui propulse ce dernier Star du cinéma d'action et digne héritier de Douglas Fairbanks. Leur collaboration se poursuit sur une série de dix films, dont plusieurs chefs d'oeuvre de l'aventure comme LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS ou L'AIGLE DES MERS.

Si Boris Karloff est indissociable des classiques horrifiques Universal, il tourne aussi pour des firmes concurrentes : LE MASQUE D'OR chez la MGM, THE HOUSE OF ROTSCHILD chez les Artistes Associés, LE BARON GREGOR chez Columbia... Tourné juste après la production Universal LE RAYON INVISIBLE, LE MORT QUI MARCHE est son premier grand rôle chez Warner.

Pour LE MORT QUI MARCHE, Curtiz bénéficie de l'aide de techniciens talentueux associés à Warner tel le chef-opérateur Hal Mohr ou le maquilleur Perc Westmore. Le docteur Beaumont est interprété par Edmund Gwenn et nous retrouvons à ses côtés Marguerite Churchill et Barton MacLane, des visages familiers du fantastique d'alors.

LE MORT QUI MARCHE mêle de nombreux genres (gangsters, procès, science-fiction, horreur, drame social) dans un récit compliqué et par moment abracadabrant. Loder, un politicien véreux proche de la pègre, est condamné par Roger Shaw, un juge intègre, pour des malversations. Les gangsters proches de l'édile corrompu, parmi lesquels son avocat Nolan, organisent le meurtre du juge et font porter le chapeau à John Ellmann, pauvre musicien au chômage. Des témoins pourraient l 'innocenter, mais les gangsters les menacent. Ils se décident à parler, mais trop tard. Ellmann a déjà été exécuté sur la chaise électrique...

Rentre alors en scène le docteur Beaumont, qui ramène l'infortuné musicien à la vie grâce à une technique de son invention. Cependant, Ellmann se réveille amnésique. Il reconnaît instinctivement ses amis et ses ennemis, mais il n'a plus souvenir de sa vie antérieure. Le procureur Werner lui demande de l'aider à retrouver les assassins du juge Shaw, tandis que le docteur Beaumont tente de lui faire avouer les secrets qu'il a contemplés lors de son passage dans l'au-delà...

Comme dans DOCTEUR X et MASQUES DE CIRE, Curtiz refuse d'aborder le fantastique en passant par une ambiance gothique et brumeuse, ou par un de ces décors exotiques chers à Universal (l'Europe centrale de FRANKENSTEIN, le Londres brumeux de DRACULA). LE MORT QUI MARCHE s'inscrit dans la réalité d'une ville américaine des années trente, avec la misère sociale découlant de la crise de 1929, ainsi que l'omniprésence de la pègre et de la corruption. Les décors sont ceux d'une grande métropole grouillant d'automobiles rapides, de journalistes et de réceptions mondaines. Le docteur Beaumont officie dans un laboratoire moderne situé dans sa clinique, et non dans un sinistre donjon.

Ce n'est pas la première fois qu'un zombie hante un film hollywoodien. LES MORTS VIVANTS tenta de marcher sur les traces du succès de DRACULA : Bela Lugosi y créait des zombies grâce à une ancienne formule vaudou. Mais ce film ne connut pas vraiment de postérité immédiate, bien qu'on trouve aussi Karloff en mort-vivant dans LE FANTOME VIVANT de 1934. LE MORT QUI MARCHE explore donc un terrain encore vierge. Si, par ses objectifs (rendre la vie à un mort), le docteur Beaumont rappelle le professeur Frankenstein, il n'est pas présenté comme un des habituels savants plus ou moins fous de Hollywood. Il ramène Ellmann à la vie pour réparer une injustice. Son succès, loin de faire de lui un paria, lui vaut les félicitations des scientifiques du monde entier et de la société dans son ensemble. Il n'est jamais présenté comme un exalté malfaisant. La mort d'Ellmann est si injuste que nous nous réjouissons de son sauvetage. Toutefois, le savant cultive des interrogations métaphysiques : il espère des révélations de la part d'Ellmann sur un thème macabre, certes, mais qui nous intéresse tous : qu'y a-t-il après la mort ?

Ellmann le zombie est un personnage pathétique et tragique, dans la grande tradition des meilleurs films de monstre hollywoodien, comme LE FANTOME DE L'OPERA, FRANKENSTEIN ou KING KONG. De son vivant, Ellmann est déjà un peu perdu. Après avoir passé dix ans en prison pour avoir tué sa femme (il affirme qu'il s'agit d'un accident), ce musicien se retrouve à la rue sans le sou. La pègre locale, installée avec la complicité des notables et des politiciens, lui font porter le chapeau dans une affaire de meurtre.

Ses derniers instants avant son exécution donnent lieu à une séquence mélodramatique. Revenu d'entre les morts, il n'est plus le même. Les traits alourdis, le regard hagard, traînant péniblement sa carcasse, il ne se rappelle plus d'aucun événement antérieur à son réveil miraculeux. Ellmann parvient à jouer de la musique comme auparavant, reconnaît ses ennemis, mais ne se rappelle pas des faits ayant entraîné son exécution. Même revenu d'entre les morts, on cherche encore à le manipuler, que ce soit le procureur pour arrêter les malfaiteurs, ou le docteur Beaumont pour lui soutirer les secrets de l'au-delà.

De plus, pour se protéger, la pègre cherche à l'abattre une nouvelle fois ! Ellmann erre égaré dans ce monde qu'il ne comprend pas. Il se rend au cimetière et dit "J'appartiens à cet endroit", comme le monstre de Frankenstein affirmait lucidement "J'appartiens à la Mort" à la fin de LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN. Entouré partout où il se rend d'un aura surnaturel, il sème malgré lui une terreur mortelle parmi les gangsters. Est-il besoin de préciser que Karloff est à nouveau impeccable ? Il compose un mort-vivant pathétique, à la fois coupé du monde par son caractère fantomatique et irréel, et en même temps humain et touchant, annonçant quelque part LE MORT-VIVANT de Bob Clark.

Pour faire tenir en une heure un récit aussi dense, il faut bien le sens du rythme et de l'efficacité de Michael Curtiz. Si il rend par son style nerveux l'état d'excitation de la vie urbaine, il ralentit son tempo pour exprimer la nature surnaturelle d'Ellmann le mort-vivant. Il souligne le décalage complet, le contraste saisissant entre le monde des vivants, plein de bruit et d'activité, et la lenteur hagarde de ce zombie aux gestes et aux pensées rythmées par le temps des morts. Soulignons encore quelques magnifiques séquences, telle la mise en œuvre expressionniste du processus inventé par Beaumont pour ramener Ellmann à la vie, au milieu des superbes décors d'un laboratoire bourré de dispositifs électriques. La magnifique scène au cours de laquelle Ellmann reconnaît ses bourreaux et les dévisage avec intensité durant un concert de piano, est un sommet de l'art cinématographique de Michael Curtiz et du jeu dramatique de Boris Karloff.

Certes, par ci par là, LE MORT QUI MARCHE a une tendance à pousser dans le mélo, ou à utiliser des rebondissements tirés par les cheveux. Mais il n'en reste pas moins un film riche, réalisé et interprété de mains de maîtres, abordant le fantastique sans cynisme ni nonchalance.

1936 marque aussi un net ralentissement de la production de films d'horreur suite à des mesures de censure très sévères aux USA et, surtout, en Grande-Bretagne. Ainsi, Universal ne fait pas de films d'horreur en 1937 et 1938. Néanmoins, LE MORT QUI MARCHE a tout de même une certaine influence. Ainsi, dans LE RETOUR DU DOCTEUR X de 1939, tourné par Vincent Sherman pour la Warner, un savant ramène à la vie un autre scientifique, le docteur Xavier, incarné par Humphrey Bogart, qui se retrouve avec les mêmes mèches blanches que Ellmann le zombie. CELUI QUI AVAIT TUE LA MORT, sorti la même année, met cette fois en scène Karloff dans le rôle du savant : arrêté et condamné à mort pour avoir mener des expériences douteuses, il est ramené à la vie grâce à une de ses invention mise en œuvre par un de ses assistants...

Malgré l'homonymie de son titre anglais, LE MORT QUI MARCHE (THE WALKING DEAD) n'a pas de rapport direct avec la bande dessinée américaine et la série télévision actuelle du même nom ! Néanmoins, il montre que sa formulation de la condition du mort-vivant a eu pour le moins une certaine influence !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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