10. Midi-Minuit, Grand Format
En
juin 1966 paraît le "Midi-Minuit Fantastique" numéro
14 pour lequel, surprise, la revue abandonne son petit format pour passer aux
dimensions d'un magazine plus classique. "Losfeld avait dit que ça
s’afficherait mieux, qu’on le verrait mieux dans les kiosques si c’est
un grand format. Et puis c’est à la mode, ça fait moderne,
ça se lit mieux. Oui, bah, je n’étais pas toujours d’accord
avec le maquettiste. Je ne suis jamais d’accord avec les maquettistes.
Parce que moi-même, j’ai fait des maquettes et je voulais être
lisible, simple. Et le maquettiste, il te dit "Ah, non, cette photo, je
la vois mieux à gauche et celle-là à droite." Et j’étais
obligé de dire "Mais attendez, ce n’est pas le même film !"
Mais eux, ils s’en foutent. Ils regardent le côté artistique.
Alors je disais : "Ah, le maquettiste fou a encore frappé !"
Et finalement, on se demandait pourquoi il avait fait ça, ce n’était
pas ce que l’on voulait… Ca me rendait fou, ça ! Moi,
je dis que c’est pour accompagner un texte. Eux, ils ne lisent pas. Ils
ne regardent même pas. Ils ne sont pas payés pour ça !
Moi, j’avais fait les maquettes des trois quarts des numéros de
"Midi-Minuit". Les petits formats que je trouvais plus beaux.
Je trouve que les grands formats faisaient un peu fourre-tout. Des fois, Losfeld
nous refilait des textes d’auteurs. Il nous disait "Tiens, j’ai
reçu ça. Il faudrait le mettre dedans." Alors quand votre
éditeur vous dit ça, vous n’allez pas lui dire : "Non,
j’en ai rien à faire !" C’était ça
ou on s’arrêtait. Dans les derniers numéros, on essayait de
se rattraper un petit peu avec les dossiers sur Gaston
Leroux. Mais quand Losfeld disait "Tiens, y’a un article d’untel
à placer." Bon, ben, on disait "Oui". Qu’est ce que
vous vouliez qu’on dise ?."
Christopher Lee et Michel Caen à Paris. Ne noircissons pas
le tableau outre mesure, car ce numéro 14 proposait encore, entre autres,
un bel entretien avec Christopher
Lee. "Là, c’est plutôt Alain Le Bris et Michel
Caen. Tout ce qui était Hammer.
Christopher
Lee et Peter
Cushing, c’était eux. Moi, j’étais plutôt
du côté de l’Amérique : William
Castle, Tod
Browning,
Corman…"
Quoi qu'il en soit, il semble que "Midi-Minuit Fantastique" était alors une affaire rentable. "Je peux vous dire que c’était ce qui marchait le mieux chez Losfeld. D’abord, on n’a jamais su le tirage. Je pense que c’était aux alentours de 5000. Ce qui était énorme pour une chose aussi confidentielle. Même des livres de cinéma ne se vendent pas à plus de 2000 ou 3000 exemplaires. Mais je pense que ça marchait. Parce que si ça n’avait pas marché, on se serait arrêté quinze jours après."
Vient
ensuite le numéro double 15/16, avec en couverture une image très
"pop" issue de LA DIXIEME VICTIME. Dans ce numéro,
nous trouvons une visite sur le tournage de FARENHEIT 451
de François
Truffaut, adaptation d'un roman de Ray
Bradbury filmée en Grande-Bretagne. Profitons-en pour évoquer
la Nouvelle Vague, mouvement cinématographique auquel appartenait aussi
bien Truffaut
que Jean-Luc
Godard. En effet, comme le cinéma fantastique devient progressivement
de mieux en mieux vu, ces metteurs en scène s'attaquent à ce genre.
Godard,
par exemple, tourne ALPHAVILLE, un film de science-fiction,
que "Midi-Minuit Fantastique" accueillit de façon partagée,
avec un "pour - contre".
"C’est très simple. Les gens de "Positif" détestaient Godard. Donc qui dit "Positif", dit le Terrain Vague. Parce que c’est quand même eux qui imposaient leurs vues auprès de Losfeld. Et je crois que c’est lui qui avait imposé un pour et un contre. Moi, je défendais ALPHAVILLE. Godard est un peu fatigué maintenant, il nous fait un peu un numéro de clown. Mais à l’époque, c’était très, très bien. Moi, il y a des films que je trouve formidables de Godard. LES CARABINIERS, je trouve ça formidable. Je m’intéressais au cinéma dit "Fantastique", science-fiction, érotisme… Mais je n'étais pas quelqu'un qui était polarisé uniquement sur les films fantastiques."
En
juin 1967, seconde couverture pour Barbara
Steele : cette fois-ci pour UN ANGELO PAR SATANA de
Camillo
Mastrocinque. Dans les dernières pages de ce numéro, nous
trouvons un extrait des aventures de "Saga", une bande dessinée
illustrée par Nicolas Devil et scénarisé par un certain
Jean Rollin,
lequel n'avait pas encore sorti LE VIOL DU VAMPIRE, son premier
film fantastique.
"Moi, j’aime beaucoup Jean
Rollin, c’est un type formidable. J’ai tourné dans un petit
court métrage avec lui. C’est une personne qui est malade, on lui
fait des dialyses toutes les semaines. Mais il aime bien le cinéma fantastique,
il aime bien les demoiselles déshabillées ou qui se promènent
en chemise de nuit. Déjà, c’est sympathique, ça. Je
dirais même qu’il construit ses films uniquement pour ça.
C’est le prétexte.
Il y a un de ses films que j’aime beaucoup, c’est LA
ROSE DE FER. Qui est très bien. Mais je me souviens quand on projetait
ses films au festival du film fantastique du Rex, les gens criaient "Rollin !
Rollin ! Rollin !
Rollin !"
Pendant tout le film, hein ! "Rollin !
Rollin !"
Et puis l’affiche de LE VIOL DU VAMPIRE, par Druillet,
est formidable."
Un autre réalisateur français bien connu des cinéphiles
s'exprime dans ce numéro 17, déjà avec son franc-parler
proverbial...
"Il y a la fameuse interview de Jean-Pierre
Mocky dont personne n’avait jamais parlé avant. C’était
la première revue à donner la parole à Jean-Pierre
Mocky. A l’époque, il tournait, je crois, LES COMPAGNONS
DE LA MARGUERITE. Je fais sa connaissance et on sympathise. Et il me dit
"Il faudrait écrire le scénario d’un film fantastique."
Pourquoi pas ? Et crac, on fait LITAN, que j’écris
à partir d’une histoire originale. "La Cité Des
Serpents Verts" d’après Télérama mais eux, ils
n’ont rien compris au film. Et on a écrit aussi LE MIRACULE.
Les gens se mettaient en croix devant les salles pour empêcher les spectateurs
de rentrer. Qu’est ce qu’on était contents !"
En
hiver 1967-1968 vient le numéro 18-19, avec une photo extraite du film
BARBARELLA, réalisé par Roger
Vadim, avec Jane
Fonda. On y trouve le premier d'une série d'articles consacrés
à des réalisateurs du cinéma japonais. Kiyonori Suzuki
(LA BARRIERE DE LA CHAIR) s'y fait interviewer longuement. Dans le numéro
20, c'est Inoshiro
Honda en personne qui répondra aux questions de "Midi-Minuit
Fantastique". Des articles définitivement en avance sur leur
époque !
Le
numéro 20 s'affiche aux couleurs carrément pop de MISTER
FREEDOM, pastiche de films de super-héros réalisé
par le photographe William
Klein. Michael
Powell et Roman
Polanski s'expriment au cours de longues interviews. Mais, on remarque aussi,
dans le coin bas de la couverture une nouvelle mention. "Midi-Minuit
Fantastique" est désormais... interdit aux moins de 18 ans !
"Il y a eu des problèmes justement au niveau de la distribution
dans les kiosques. Il y a toujours eu des campagnes ou des trucs comme ça,
où l'on disait : "faut interdire, ça incite les mineurs à
la débauche !" ou je ne sais quoi. Donc, c’était
ça ou interdiction à la vente."