Une bombe nucléaire explose dans l’Arctique qui provoque le réveil d’un monstre géant antédiluvien. Nommée Gamera par les autochtones, cette tortue géante commence à provoquer des catastrophes un peu partout dans le monde. C’est le point de départ de DAIKAIJU GAMERA !

Depuis les années 40, la Daiei s’impose comme un acteur de prestige du cinéma japonais. La maison de production est alors spécialisée dans les drames sociaux ou les films historiques. C’est aussi l’hôte de cinéastes reconnus tel que Kon Ichikawa et Kenji Mizoguchi. Le studio fait donc un cinéma mature, sérieux, que l’on retrouve souvent dans les festivals internationaux de cinéma. Dans ce contexte, la Daiei ne se sent absolument pas concernée par les monstres géants. Mais le cinéma japonais entre en crise au début des années 60. La concurrence de la télévision provoque une baisse de fréquentation dans les salles. Les sujets «sérieux» deviennent plus risqués économiquement. A cette période, deux séries de films vont permettre à la Daiei de rester à flot : ZATOICHI et NEMURI KYOSHIRO. Les deux sont dans la veine des films historiques mais ils s’avèrent surtout des œuvres clairement commerciales. Les tournages de ces deux franchises s’enchaînent de manière effrénée : une dizaine de films mettant en scène le masseur aveugle sont réalisés en quatre ans tandis que le samouraï Nemuri Kyoshiro cumule une demi-douzaine d’aventures sur trois ans. Nous sommes alors en 1965 et il apparaît évident que le cinéma prestigieux ne rapporte plus alors que l’exploitation de personnages récurrents fait recette. La Daiei sort donc GAMERA !

Avant GAMERA, la Daiei avait déjà proposé ponctuellement quelques œuvres «Fantastiques» au ton adulte (THE INVISIBLE MAN APPEARS, LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE…). En 1964, il est décidé de produire un film mettant en scène une horde de rats géants. Ce projet tournera court pour des raisons sanitaires car les vedettes du film, les rongeurs, sortaient de l’enceinte du tournage au grand dam du voisinage. Hors de contrôle le film est annulé avant que cela ne tourne à la catastrophe. Récemment, un film s’est intéressé à cette curieuse histoire cinématographique : NEZURA 1964 de Hiroto Yokokawa. Des cendres du film avorté en 1964 va naître GAMERA. Des décors miniatures de villes sont déjà fabriqués ou en cours de fabrication. La mise en chantier d’un film de monstre géant est donc aussi l’opportunité de faire une économie sur une partie des décors. Une dizaine d’années après le premier GODZILLA, on propose une structure narrative assez proche de l’original. Une créature venue de la nuit des temps sort de son sommeil à cause d’une explosion nucléaire. La bestiole provoque des destructions pendant que des militaires et des scientifiques cherchent à résoudre ce très gros problème. Les scientifiques finissent par proposer un plan élaboré pour mettre un terme à la menace. Ce sont les grandes lignes du GODZILLA de 1954 mais aussi celles du GAMERA de 1965. Entre ces lignes, on remarque tout de même des différences notables. Dès le départ, GAMERA est présenté comme une créature mythologique liée à la légende de l’Atlantide. La tortue géante est réveillée par une explosion mais elle ne fait pas l’objet d’une mutation liée au nucléaire. Durant l’antiquité, et même avant, elle dispose déjà de ses pouvoirs. L’ombre de la menace radioactive est évoquée mais cela n’est absolument pas central. Là où GODZILLA exprimait la peur du nucléaire sur un ton assez sombre, GAMERA s’en écarte et adopte une ambiance beaucoup moins lourde. Alors, bien sûr, cela n’empêche pas la tortue de détruire des bâtiments et autres infrastructures menant inévitablement à des pertes humaines. Dans le film, on nous montre même une séquence où le monstre élimine un parterre d’humains soustraits à la vie (l’image passe soudain en négatif) !

GAMERA est tout de même un peu ambigu. Le monstre serait incompris ! C’est l’un des personnages principaux, Toshio, qui le dit. Là où le GODZILLA original était centré sur des adultes, une partie de l’intrigue de GAMERA met en scène un jeune enfant passionné par les tortues. Ce dernier envisage même que le monstre géant serait sa propre petite tortue qu’il a été obligé d’abandonner et qui aurait grandi démesurément. Si cela est évoqué durant un dialogue, cela reste probablement plus une idée métaphorique. L’enfant projette son empathie vers la tortue géante et prend des risques pour la suivre. L’idée pourrait être touchante. Ce n’est pas vraiment le cas, les situations semblent souvent un peu ridicules. On retrouve ici l’aspect naïf de la plupart des films de monstres géants japonais. Les rebondissements ou réactions des personnages sont par moments absurdes. Par exemple, alors que l’enfant ne veut pas que l’on fasse du mal à la tortue géante, il est heureux que celle-ci soit envoyée dans l’espace et dans un endroit où elle pourrait très bien mourir. Pour apprécier GAMERA, il faudra donc se rattacher à nos âmes enfantines plutôt qu’à notre esprit cartésien. De même, le monstre géant se montre un peu schizophrène. Cela ne le dérange pas d’éradiquer des humains mais il prend le temps de sauver un enfant. On retrouvera ce genre de comportements étranges dans les films suivants…

On peut aussi être surpris par le traitement géopolitique du film. Si, en début de métrage, on évoque clairement une faction non-identifiée, source de l’incident nucléaire, on verra que les Etats-Unis et les Soviétiques vont travailler main dans la main avec les autres puissances mondiales. Ils iront jusqu’à échanger leurs connaissances et leurs ressources pour mettre en place une opération audacieuse à même de nous débarrasser de la tortue géante. Soixante ans plus tard, cette pieuse collaboration ne s’est évidemment pas réalisée. Dommage !
Le succès de GAMERA va mener la Daiei à exploiter ce filon en produisant une suite. Elle sera plus ambitieuse financièrement et sortira un an plus tard sous le titre GAMERA CONTRE BARUGON. Entre-temps, GAMERA sera exploité aux Etats-Unis. Et, comme pour le premier GODZILLA, il est décidé de tourner de nouvelles scènes avec des acteurs occidentaux dont Brian Donlevy. Le film propose aussi une chanson spécialement composée pour ce «nouveau» film intitulé GAMMERA THE INVINCIBLE. A l’époque, en France, GAMERA n’aura pas les honneurs d’une sortie dans les salles.
Roboto Films avait déjà sorti les trois films de l’ère Heisei mettant en scène la tortue géante. En décembre 2025, l’éditeur français fait un retour en arrière en proposant les trois premiers films de cette saga. La boîte se nomme «Gamera – Les années Showa – Partie 1». Heisei ? Showa ? Arrêtons-nous deux secondes pour clarifier ces appellations surtout qu’on les retrouve aussi sur d’autres films et particulièrement les Godzilla. Ces noms évoquent des périodes impériales japonaises. L’ère Showa couvre le règne de l’Empereur Hirohito de 1926 à 1989. Ce sera suivi de l’ère Heisei de 1989 à 2019 et de l’Empereur Akihito.

Comme déjà évoqué, la boîte contient les trois premiers films : GAMERA, GAMERA CONTRE BARUGON et GAMERA CONTRE GYAOS. Chacun des films a son propre disque et il est possible d’opter pour des Blu-ray ou bien des UHD 4K. Les films étaient déjà disponibles depuis longtemps outre-Manche et outre-Atlantique en Blu-ray. Si nous évoquons ces éditions, il est important de préciser que les disques français ne sont absolument pas issus des mêmes sources. En effet, à l’occasion du 60ème anniversaire de GAMERA, une grosse restauration 4K a été mise en œuvre au Japon. L’éditeur français fait d’ailleurs très fort puisque la sortie de ses disques se fait un mois après la distribution en grande pompe au Japon ! D’habitude, il nous faut plusieurs années avant de bénéficier de ce type d’attention sur le marché français.

Ces sorties en Blu-ray et UHD 4K ne sont donc pas un recyclage des éditions anglaises et américaines éditées par Arrow Films. A l’image, le résultat est assez bluffant sur les disques UHD 4K, nous ne nous prononcerons pas sur les Blu-rays qui ne nous ont pas été transmis. Pour ceux qui disposaient des Blu-rays britanniques, l’image était couverte d’un voile granuleux peu naturel et de soucis de contrastes fluctuants, sans compter les défauts de pellicule. La vision du disque français de GAMERA fait office de redécouverte. L’image semble avoir été tournée hier ou presque. Stable, claire et nette, l’image est de toute beauté ! L’éditeur ne propose que la version originale sous-titrée en français. Le son est, lui aussi, très propre. C’est d’ailleurs assez surprenant puisque l’on est habitué, sur des films anciens, à des pistes sonores un peu criardes et en mono. Le boulot de restauration est littéralement bluffant !

Puisque cette édition française n’a rien à voir avec les éditions Arrow Films, on n’y retrouve pas les mêmes suppléments. Par exemple, sur le premier GAMERA, l’édition anglaise proposait le montage américain. On pouvait même écouter les deux faces du 45 tours de la chanson enregistrée spécialement pour cette version du film. Pas de trace non plus du commentaire audio ou des nombreux ajouts. Sur cette édition française, il faudra se contenter de deux interviews : une introduction du film par Fabien Mauro qui est l’auteur d’un ouvrage de référence en France : «Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse : l’Age d’Or de la Science-fiction japonaise». Autant dire que cet interlocuteur connaît bien son sujet. Il fait d’ailleurs un parallèle très intéressant avec LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS d’Eugène Lourié. La seconde interview permet aux deux personnes qui ont supervisé la restauration 4K des trois films de présenter leur travail. Shinji Higuchi n’est pas inconnu puisqu’il a dirigé les effets spéciaux des trois GAMERA de l’ère Heisei et est aussi le réalisateur de SHIN GODZILLA. Avec Shunichi Ogura, ils évoquent la difficulté à retrouver les véritables intentions visuelles en raison du manque d’informations à ce sujet soixante ans plus tard. Les deux hommes partagent tout de même leur ambition de retrouver la meilleure expérience possible pour la vision des films. Ils se demandent aussi pourquoi ce premier film a été réalisé en noir et blanc. A cela, ils n’ont qu’une réponse logique à proposer, à défaut de d’informations documentées, et ils la donnent dans cette vidéo. Suspense…
Le boîtier contient aussi un livret de 60 pages mais nous n’avons pas eu la possibilité de le parcourir. En tout transparence, les disques nous ont été envoyés par l’éditeur sans aucun packaging. En complément, le disque contient aussi la bande-annonce originale de GAMERA ainsi que des vidéos promotionnelles d’autres films commercialisés par l’éditeur : «Zatoichi - Les années Daiei - Partie 1», LADY BATTLE COP et KAMEN RIDER ZO/KAMEN RIDER J.