Parce qu’il est le seul membre joignable de la famille de son demi-frère, Mario est obligé de se rendre dans un petit village pour régler les problèmes de Dario. Bien qu’ils aient le même père, ils ne se sont rencontrés qu’une fois et n’ont, en réalité, pas envie de se connaître. C’est ainsi que Mario va découvrir que son frère a une obsession assez étrange…
Antonio Padovan ne pensait pas devenir réalisateur. Il fait des études qui le mènent à devenir architecte. Il traverse même l’Atlantique, de son Italie natale vers New York, pour travailler dans ce domaine. Mais, après quelques années, il réalise que ce n’est pas ce qu’il veut faire. A ce moment-là, bien que féru de cinéma, il ne pense toujours pas à s’orienter vers une carrière cinématographique. Le déclic, il va l’avoir dans une salle obscure, lors d’une projection. Dès le lendemain, il s’inscrit à une formation courte à la New York Film Academy. Pendant quelques temps, il continue de travailler tout en nourrissant sa passion pour le cinéma. Comme beaucoup de jeunes réalisateurs, il enchaîne les courts-métrages puis ajoute à son palmarès des spots publicitaires et des documentaires. Il se fait alors remarquer en co-réalisant un court-métrage horrifique intitulé JACK ATTACK qui sera sélectionné dans plusieurs festivals. A ce moment-là, il y a une mode des films à sketchs réalisés par plusieurs réalisateurs et JACK ATTACK sera recyclé sur les compilations ALL HALLOWS' EVE 2 et SEVEN HELLS. Il en sera de même pour son court-métrage EVELESS qui se retrouvera sur la compilation GALAXY OF HORRORS en 2017. Pour autant, il n’arrive pas à trouver de projets ambitieux aux Etats-Unis…
C’est en Italie que la possibilité lui est donnée d’adapter un livre de Fulvio Ervas pour le cinéma, DE SOLEIL ET DE SANG. Cette première incursion dans l’industrie cinématographique italienne le mène à IL GRANDE PASSO réalisé avec des membres de l’équipe du premier film, devant ou derrière la caméra. Tout comme son premier long-métrage, il n’est pas question ici d’horreur, genre qui lui avait donné un peu de notoriété aux Etats-Unis. Ce second long-métrage est tout de même imprégné d’un élément «Fantastique» et plus particulièrement de science-fiction comme son titre français, OBJECTIF LUNE, le laisse supposer.
Dès la première séquence d’OBJECTIF LUNE, nous sommes plongés dans une situation incongrue : un fermier hirsute transporte une fusée au milieu de la campagne isolée. Lorsque l’on évoque les voyages spatiaux, on pense forcément à de grandes installations high-tech et à des équipes composées de centaines d’ingénieurs. Dario est seul et son rêve est de toucher les étoiles. Voilà le point de départ d’une histoire de conquête, non pas spatiale mais onirique. Après tout, les avancées de l’humanité ont été le plus souvent guidées par des rêveurs, des personnes qui contre vents et marées ont fait en sorte d’atteindre leurs objectifs. Alors, évidemment, chaque rêve ne mène pas à la réussite, la plupart du temps ils ne se concrétisent pas.
Le personnage principal d’OBJECTIF LUNE est-il un fou paranoïaque ou bien un doux rêveur ? Le film se montre plutôt malin face à ce questionnement. Il place en contrepoint un demi-frère qui est son antithèse. Mario vit en ville, tient un commerce de façon pragmatique et n’a comme point de référence que les manquements de son père. En débarquant dans la vie de Dario, Mario prend peu à peu la posture naïve, mais finalement lucide et sage, d’un Candide. Il lève le voile sur les motivations de son demi-frère, sur les raisons qui l’ont poussé à se replier dans son environnement rural. Il fait la lumière sur des traumatismes insoupçonnés liés à la défection du père et sur l’hypothétique faisabilité de son rêve hors-norme. Les évènements de la vie de Mario et Dario, ainsi que leurs rapports au père, ont forgé deux personnes diamétralement opposées évoluant sur des chemins très différents. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour que l’un devienne l’autre et inversement.
On l’aura bien compris, Dario, dans son univers rural pratique et concret, est une exception mais on découvrira qu’il n’est pas le seul dans ce petit village à nourrir des rêves. On verra d’ailleurs que les rêveurs se reconnaissent entre eux et peuvent même se défendre mutuellement, et ce, même si le rêve consiste simplement à faire pousser des légumes sur une parcelle de terre non fertile. Le sujet évident d’OBJECTIF LUNE est ainsi concentré dans une seule scène. On peut y voir la répression sourde et pourtant violente des aspirations d’une personne, son projet pouvant être remplacé par un simple saut au supermarché du coin. Une scène aussi amusante que cruelle montrant la bêtise d’un pragmatisme réaliste écrasant un doux projet qui ne fait de mal à personne… Car quel que soit le rêve de chacun, tant qu’il ne nuit à personne, pourquoi faudrait-il y renoncer ?
Le titre original, IL GRANDE PASSO («Le grand pas», fait référence à la phrase prononcée par Neil Armstrong en 1969 lorsque l’astronaute a posé le pied sur la lune : «C’est un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’humanité»). Cet évènement, on le retrouve dans le film d’Antonio Padovan. Il est présenté comme un moment historique suivi par le monde entier et qui a marqué durablement les esprits, en particulier celui du héros du film. Ce «pas de côté» lui permet ainsi de sortir de son quotidien et oser l’impossible. Des «pas de côté», beaucoup des gens en font, que ce soit pour une reconversion professionnelle ou bien en s’engageant dans un projet qui semble illusoire.
Si l’on doit faire un reproche à OBJECTIF LUNE, on notera un petit ventre mou en milieu de métrage. On pourra aussi être surpris de l’aspect peu démonstratif visuellement de la réalisation d’Antonio Padovan qui a suivi à l’origine des études de design. Mais ce refus du clinquant ne dessert en rien le film. C’est peut-être même le contraire puisque son sujet s’ancre directement dans la réalité. Le réalisateur nous offre ainsi une jolie allégorie sur la symbolique de nos rêves, démesurés ou pas, et la fragilité de leur matérialisation.