18. Qu'est ce que le "Fantastique" ?

En 1988, Jean-Claude Romer propose une définition du "Fantastique" agrémenté d'exemples que nous reproduisons ici avec son aimable autorisation...

Le "Fantastique" au Cinéma, ça n'existe plus ! Aujourd'hui, c'est bel et bien le Cinéma lui-même, dans sa totalité, qui est en train de devenir "Fantastique"...!
En effet, selon l'hebdomadaire "Variety", en 1970, Epouvante et Science-fiction ne représentaient encore que 5% du chiffre d'affaires global de l'industrie cinématographique américaine. On en est venu à 40% dans les années 70 pour en arriver à plus de 50% dans les années 80... Qu'en sera-t-il pour les années 90 ! C'est un véritable raz-de-marée auquel nous sommes en train d'assister. Le "Fantastique" fait, de plus en plus, recette (et quelles recettes!) (1), Le "Fantastique" plaît aux jeunes, le "Fantastique" a les honneurs de la critique, le "Fantastique" possède ses revues et ses festivals, bref, le "Fantastique" a désormais droit de cité.
Mais qu'est-ce donc que le "Fantastique" ? Comment le reconnaître ? Comment le définir ? Nous allons tenter d'apporter ici des réponses à ces difficiles questions. Il semble, tout d'abord, que cette étiquette - commode, mais plutôt floue - de "Fantastique" recouvre, en fait, six grandes catégorie :

LE FANTASTIQUE
Le Fantastique proprement dit : de tradition souvent folklorique, il met en scène des créatures de légende (Dracula, le Loup-garou) ; des morts-vivants (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS) ; des fantômes (L'AVENTURE DE MME MUIR) ; des sorcières (MA FEMME EST UNE SORCIERE) ; le Diable (LA MAIN DU DIABLE) ; les maisons hantées (SHINING) ; les miracles (LES DIX COMMANDEMENTS), etc.

  • Définition : On peut parler de Fantastique lorsque, dans le monde réel, on se trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les lois dites "naturelles".
  • Exemple : Lorsqu'une pomme se détachant de la branche du pommier, au lieu de tomber vers le sol, se met à s'élever vers le ciel, on peut dire que l'on se trouve devant un fait en contradiction avec ce que l'on sait de la loi de la gravitation universelle.

LA SCIENCE-FICTION
"Science et Fiction" ou "fiction scientifique", cela va de METROPOLIS à LA GUERRE DES ETOILES et de FRANKENSTEIN à ROBOCOP.

  • Définition : On peut parler de Science-Fiction lorsque, dans le monde du réel, il y a une intervention d'une intelligence dans le processus de phénomènes incompatibles avec les lois dites "naturelles".
  • Exemple : Un chercheur a découvert un procédé qui inverse localement la gravitation, ce qui permet ainsi à une pomme qui se détache de son arbre, non pas de tomber, mais de s'élever dans les airs.

L'ANTICIPATION
C'est ALPHAVILLE et ROLLERBALL, MALEVIL et MAD MAX (2).

  • Définition : On peut parler d'Anticipation lorsque, dans le monde futur du réel, on se trouve en présence de phénomènes compatibles avec les lois dites "naturelles".
  • Exemple : En l'An 2000, une pomme se détache de la branche d'un pommier et tombe vers le sol.

L'INSOLITE
On peut y ranger FREAKS, LA NUIT DU CHASSEUR ou ELEPHANT MAN.

  • Définition : On peut parler d'Insolite lorsque, dans le monde du réel, on se trouve en présence de phénomènes inhabituels mais compatibles avec les lois dites "naturelles".
  • Exemple : Lorsqu'une pomme, se détachant de la branche du pommier, au lieu de tomber vers le sol, se met à s'élever vers le ciel, on peut dire que l'on se trouve devant un fait apparemment en contradiction avec ce que l'on sait de la loi de la gravitation universelle. Mais si, à l'examen, cette "pomme" s'avérait n'être qu'un petit ballon gonflé à l'hélium et peint à l'image de ce fruit, il va de soi que le fait que celui-ci s'élève dans les airs serait alors tout à fait compatible avec la loi de la gravitation universelle.

L'EPOUVANTE
De PSYCHOSE à REPULSION et de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE aux GRIFFES DE LA NUIT.

  • Définition : On peut parler d'Epouvante lorsque, dans le monde du réel ou de l'imaginaire, on se trouve en présence de phénomènes qui tendent à susciter chez le spectateur certaines réactions psychiques ou viscérales dans le registre de la peur.
  • Exemple : Un pomme qui se détache de son arbre, arrive sur le sol couverte de sang.

LE MERVEILLEUX
C'est celui des contes de fées (LA BELLE ET LA BETE), de la mythologie (LE CHOC DES TITANS), de l'onirisme (ALICE AU PAYS DES MERVEILLES) ou du dessin animé (l'univers de Tex Avery).

  • Définition : On peut parler de Merveilleux lorsque, dans le monde de l'imaginaire, on se trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les lois dites "naturelles".
  • Exemple : Le jardin enchanté des Hespérides, planté de pommiers dont les branches sont chargées de pommes d'or qui procurent l'immortalité.

Horreur et Epouvante
"Epouvante", "Terreur" et "Horreur" sont des termes que l'on retrouve le plus fréquemment utilisés lorsqu'il s'agit d'indiquer au spectateur en puissance qu'est le lecteur de journaux (pavés publicitaires, classement par genres) ou le passant (affiches, frontons des cinémas) que le film qui se signale à son intention relève d'un genre bien particulier.
De tous les termes usités - abusivement, la plupart du temps et dansl e but d'une surenchère évidente (3) - épouvante semble être le vocable sous lequel, sans commettre trop d'erreurs, on puisse ranger commodément le plus grand nombre d'oeuvres répondant à la définition que nous en avons donnée. N'oublions pas non plus le cortège des "frayeurs", "peurs", "effroi", "angoisse", "anxiété", "inquiétude", "appréhension", etc., toutes les demi-teintes de l'Epouvante.
Il est également évident que le coefficient personnel d'émotivité du spectateur, l'époque, le lieu, interviennent ici pour une large part dans son appréciation. Terreur ( = frayeur extrême, cf. le dictionnaire) est plus faible qu'épouvante ( = terreur vive et soudaine), mais horreur ( = effroi causé par un spectacle affreux ou répugnant) est nettement trop fort et ne devrait, par conséquent, être employé qu'avec beaucoup de circonspection.
La fréquence avec laquelle le terme horreur est utilisé (un film d'horreur, le Cinéma d'Horreur) semble provenir de la traduction littérale - et abusive - de l'anglais horror (a horror picture, Horror Movies). L'équivalent le plus juste d'horror dans notre langue serait plutôt celui de fantastique (4) . Si bien que pour traduire, réellement cette fois, horreur en anglais, il faudrait utiliser, par exemple, des termes tels que gore ( = sanglant, "a blood and gore picture") qui surenchérit sur horror.
En résumé, on peut dire que horror est, pour les Anglo-Saxon, d'un emploi au moins aussi imprécis que fantastique pour les Francophones (5).

La Peur
La peur est une composante essentielle du film dit "Fantastique". Ce qui est inhabituel, ou contraire aux loi dites "naturelles", inquiète. De là à utiliser "la peur pour la peur", il n'y a qu'un pas vite franchi...
D'où la présence régulière - et de plus en plus fréquente - de films insolites et d'épouvante (et non fantastiques, selon la stricte définition donnée plus haut) lors de Festivals, Conventions ou Cycles consacrés, précisément, au cinéma dit "Fantastique".
Pour conclure, précisons qu'il est rare qu'un film ne relève exclusivement que du Fantastique, de la Science-Fiction, de l'Anticipation, de l'Insolite, du Merveilleux ou de l'Epouvante. La plupart des films participent, le plus souvent, de plusieurs de ces catégories, si bien qu'il est devenu habituel de prendre en compte l'élément dominant pour en qualifier l'oeuvre dans sa totalité.

Jean-Claude Romer

(1) Neuf sur dix des films en tête des "Meilleures Recettes de tous les Temps" (USA/Canada) sont des films "Fantastiques" ! 1er E.T. (avec 228.379.346 dollars), suivi de 2ème LA GUERRE DES ETOILES, 3ème LE RETOUR DU JEDI, 4ème L'EMPIRE CONTRE ATTAQUE, 5ème LES DENTS DE LA MER, 6ème S.O.S. FANTOMES, 7ème LES AVENTURIERS DE L'ARCHE PERDUE, 8ème INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT, 9ème LE FLIC DE BEVERLY HILLS et 10ème RETOUR VERS LE FUTUR (d'après "Variety", du 20/01/88).

(2) Et son contraire, la Rétrocipation (Cf. LA GUERRE DU FEU). Définition : On peut parler de Rétrocipation lorsque, dans le monde passé du réel, on se trouve en présence de phénomènes compatibles avec les lois dites "naturelles". Exemple : 80000 ans avant J.-C., une pomme se détache de la branche d'un pommier et tombe vers le sol.

(3) Cf. Gérard Lenne, in "Le Cinéma Fantastique et ses Mythologies 1895-1970" (1985 - Ed. Henri Veyrier, p. 31) : "Il est de fait que la peur est devenue un slogan publicitaire pour le "fantastique" (on emploie évidemment les termes sémantiquement les plus "marqués - terreur, épouvante - ce qui contribue à les déprécier)."

(4) Cf. Carlos Clarens, in "Horror Movies" (1968 - Seckers & Warburg, London, p. 12) : "Je suis conscient de l'insuffisance de l'appellation "Horror Films" - ce terme implique inévitablement une notion de répulsion et de dégoût - mais il se trouve qu'il a été sanctionné par l'usage et que c'est le meilleur que l'on puisse trouver en anglais" (Traduit par J.-C R.).

(5) "Le Fantastique au Cinéma", de Michel Laclos (1958 - J.-J. Pauvert Ed.) et "Le Cinéma Fantastique" de René Prédal (1970 - Seghers Ed.), trouvent ainsi leurs homologues avec "Horror in the Cinema" (ex-"The Horror Film") de Ivan Butler (1967-1970 - Zwemmer/Barnes) et "Horror Movies", de Carlos Clarens.

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Dossier réalisé par
Emmanuel Denis
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