Le cirque Tetrallini tire sa renommée des monstres qu'il exhibe : homme-tronc, siamoises, femme à barbe, nains, les attractions ne manquent pas. Mais en coulisse se nouent des intrigues faites d'amour et de haines. La belle Cléopâtre, secondée par Hercule, le monsieur muscle du cirque, tentent de duper Hans le nain et d'usurper sa fortune, au grand dam de Frieda, sa compagne. Mais les monstres ont leur code : «en offenser un, c'est les offenser tous».
FREAKS a échappé de justesse à l'oubli du temps : le film, produit par Irving Thalberg pour la MGM devait pourtant dépasser toute l'horreur vue au cinéma jusqu'alors. Tod Browning avait quitté cette compagnie avec laquelle il avait connu de nombreux succès avec Lon Chaney (THE UNKOWN, THE UNHOLY THREE, LONDON AFTER MIDNIGHT) pour réaliser DRACULA en 1931 (produit par Universal). La MGM souhaitait produire un film plus horrible que les grands classiques du genre produit par l'Universal. Et Browning se lance donc sur l'adaptation du roman spurs de Tod Robbins. Les résultats ne sont pas vraiment à la hauteur des espoirs puisque le film, suscitant un franc rejet, se voit interdit fréquemment aux Etats-Unis et en Angleterre. Il s'avère finalement être un gouffre financier pour le studio.
En 1962, le film est exhumé par le producteur Harry Sharock mais amputé d'environ 30 minutes, tiers du film qui manque encore de nos jours, et par conséquent sur l'édition DVD proposée par Warner. Browning rencontre alors un succès posthume auprès de la critique et du public, jusqu'à devenir un classique absolu du cinéma.
Il faut cependant bien se garder de faire de FREAKS un exemple de l'art de Tod Browning : bien sûr, il permet d'appréhender ses thèmes de prédilection et ses fantasmes, or il n'est pas une démonstration de son talent de cinéaste, eu égard à son aspect tronqué, déformé par les coupes. Mais, même tronqué, le film surprend par la pureté de sa trame narrative ; encadrée par les séquences du montreur de monstres, la ‘légende' de Cléopâtre se met petit à petit en place. On assiste au début à des vignettes illustrant la vie quotidienne du cirque, exprimant majoritairement le rejet des freaks, puis petit à petit la situation tragique se met irrémédiablement en place.
On a toujours entendu, ou lu, de FREAKS qu'il était un remarquable plaidoyer pour la différence et une formidable leçon de tolérance. Pourtant, ce qui reste du film de Tod Browning dresse avant toute chose un constat déterministe d'une noirceur accablante. Les freaks n'ont en effet de perspective que celle du repli communautaire (à l'intérieur du cirque, seule structure fournissant un semblant d'existence sociale, mais au sein de laquelle ils rencontrent le même rejet qu'ailleurs). Même dans la dernière séquence, voulue par les producteurs, on passe d'une volonté d'ouverture positive, d'un happy end imposé, à l'image cinglante de l'obligation pour les nains de vivre contraints à un repli misanthrope cette fois, entre eux, alors que les deux êtres ‘normaux' sont obligés de s'éclipser en douce du film, laissant les freaks à leur terrible condition. On peut donc se réjouir que cette séquence imposée ait manqué son but ; elle sonne cependant bien faux et délaie tout de même le propos principal peut-être, le plus dérangeant en tout cas, l'expression sauvage de la vengeance.
Cette vengeance a deux lectures possibles : elle est inhérente à la nature humaine, et en ce cas, la cruauté des freaks n'a d'égale que celle, doublée de cupidité d'Hercule et de Cléopâtre. Elle peut aussi, encore une fois, être l'expression la plus sordide du déterminisme, permettant à rebours de lire toute l'horreur de ce dénouement sur les visages et les corps déformés de tous les êtres de ce film. C'est donc une vision de l'humanité très sombre, sans concession, que livre Browning dans FREAKS. Pour couronner le tout, il place le spectateur dans la posture du voyeur (nous faisons partie, dans la première séquence du groupe de badauds désireux de voir des freaks que le bonimenteur appâte «Vous allez voir la plus monstrueuse créature !»), mais d'un voyeur d'emblée frustré, qui, derrière le groupe, ne peut pas s'approcher et découvrir le monstre. Browning signifie alors que Cléopâtre est rendue monstrueuse surtout par son histoire, que le physique, sa difformité, n'est qu'une déclinaison de ses défauts passés : mais alors, de quels passés difformes les autres freaks sont-ils coupables ? Faisant écho à cette séquence d'ouverture, la dernière séquence (avant la séquence ajoutée des retrouvailles des nains), permet enfin d'assouvir notre côté voyeuriste, amplifié par la connaissance des défauts moraux de la ‘belle' Cléopâtre. Seul échappatoire, la présence stellaire des deux ‘gentils' : Wallace Ford qui interprète le clown et Leila Hyams (THE THIRTEENTH CHAIR dirigé par Browning), la Vénus dompteuse d'animaux, permet au spectateur de trouver un semblant d'identification.
Outre le monde du cirque, qu'il se plait à mettre en scène (il avait lui-même traîné ses guêtres dans ce milieu et dans celui du théâtre), Browning développe dans FREAKS une thématique qui lui est chère ; le spectacle, les corps mutilés ou déformés (THE UNKNOWN dans lequel Lon Chaney interprète un lanceur de couteau faussement manchot), le thème du double (avec les sœurs siamoises, qui ressentent chacune les émotions de l'autre) …
Encore fortement marqué par l'héritage du muet (portrait flous et lumineux, dialogues filmés à plat, cartons) le film est cependant résolument moderne dans sa façon d'aborder le montage, et fonctionne encore étonnamment bien. L'édition DVD proposée par Warner y est sans doute pour beaucoup, puisqu'il a rarement été donné l'occasion de voir ce classique dans une aussi belle copie. L'image est véritablement propre, rendant à merveille le noir et blanc et ses contrastes. Jamais les ombres et lumières de la dernière séquence (qui sonne très film noir) n'avaient trouvé un rendu aussi net. Deux défauts viennent à peine ternir l'ensemble : d'une part la toute première séquence est recadrée par un cache noir sur tous les côtés mais ce recadrage ne dure que quelques secondes ; d'autre part, l'épilogue rajouté provient d'une source plus altérée : les contrastes saturent, et l'image paraît vieillie.
Si l'image est le point fort du disque, le son a subi le vieillissement normal pour un film âgé de 72 ans. La piste mono rend tant bien que mal les dialogues, mais le tout reste largement acceptable.
Côté suppléments, l'éditeur semble livrer un produit le plus complet possible, incluant le texte de présentation du film rajouté lors de la réédition de 1962, et généralement présents sur les copies du film, et une featurette dans laquelle David Skal, historien du cinéma d'horreur et auteur d'une biographie de Tod Browning, évoque à l'aide d'images d'archives les deux fins alternatives du film.
Le documentaire intitulé "Freaks, The Sideshow cinema" propose quant à lui un tour complet des acteurs du film, qui dès qu'il aborde l'existence des freaks, se teinte de bons sentiments assez rébarbatifs, d'autant que les témoignages sont rehaussés en permanence par une musique synthétique insupportable, singeant les airs de cirque, et qui gênera la compréhension des anglicistes hésitants. Cependant, la masse de renseignements contenue dans ce documentaire (sous la forme d'interviews, majoritairement de David Skal) et dans le commentaire audio (également de David Skal !) est impressionnante, mais les deux bonus se recoupent souvent quant aux informations qu'ils contiennent. L'historien, dans les deux, s'en tient aux faits, relate l'histoire complète du film (en mentionnant — passages passionnants — les rajouts, les changements de scripts…), de ses interprètes, et de Tod Browning sans se risquer à une étude ou interprétation de l'œuvre du cinéaste.
A noter pour terminer que les menus fixes apparaissent au format 16/9ème.C'est donc une édition très complète, présentant le film dans une copie quasi-parfaite que ce DVD édité par warner. Le disque attirera tous les cinéphiles, pour peu qu'ils possèdent un système compatible avec le NTSC ; il est en plus proposé à un prix très raisonnable.