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Critique du film
C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS 1992

 

Rémy, jeune reporter, et son équipe tournent un documentaire sur Ben, un tueur qui sévit en Belgique.

C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS est réalisé en noir et blanc avec des moyens de fortune par Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde. Ils sortent d'une école de cinéma et il s'agit de leur premier long-métrage. Leur film a surtout lancé la carrière d'acteur de Benoît Poelvoorde qui, après des passages à la télévision, deviendra une vedette du cinéma comique français au début des années 2000, avec le succès des RANDONNEURS où il incarne un guide de randonnée irascible, confirmé par le triomphe de PODIUM, dans lequel il interprète un sosie professionnel de Claude François.

C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS se présente comme un faux documentaire, traçant le portrait de Ben, tueur belge sans scrupule. Amoral autant qu'immoral, il est vantard, sentencieux et donneur de leçons. Farci de préjugés racistes et homophobes, flatté par la présence de la caméra, il étale complaisamment des banalités philosophiques et des poèmes pédants.

Relevé d'une forte dose d'humour noir, la peinture de ce personnage invraisemblable semble sortir tout droit d'une bande dessinée grinçante. Cette ascendance est encore soulignée par un noir et blanc granuleux, employé de manière très graphique.

Par ailleurs, C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS bénéficie d'une réalisation élaborée (avec du montage dans certaines séquences d'action, des inserts "poétiques"). Ce qui empêche le film de ressembler à un "vrai" documentaire (contrairement, par exemple, au PROJET BLAIR WITCH, où aucun indice dans la réalisation n'indique qu'il s'agit d'un faux documentaire).

C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS refuse donc de jouer sur un quelconque réalisme. Cela se ressent à travers sa réalisation, l'invraisemblance de son personnage principal ou, surtout, l'interprétation excessive de Benoît Poelvoorde. Car ce film est avant tout un One Man Show hallucinant proposé par l'acteur, lequel s'avère un des plus excellents comédiens comiques francophones de sa génération. Son talent à restituer la prétention et la sottise génère l'essentiel de l'humour noir caractéristique de ce film.

Au-delà du portrait de Ben, C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS est une satire grinçante du genre documentaire. En parodiant allègrement le style "objectif" de l'émission de reportage «Strip-tease» (apparue en Belgique dès les années quatre-vingts), il souligne l'opportunisme et le goût du sensationnalisme de l'équipe de tournage.

Flattant l’exhibitionnisme de Ben, ils l'encouragent à accomplir des meurtres inutiles (l'assassinat de la famille dans un quartier résidentiel). Au début, ces reporters semblent se méfier de Ben, et refusent d'aller au restaurant avec lui. Puis ils se laissent corrompre (ils acceptent de son argent pour terminer le tournage) et deviennent complices de ses meurtres (le zoom de la caméra sert à repérer un tireur embusqué, ils aident Ben lors du meurtre de l'enfant).

Et ce jusqu'à ce que le tueur les considère comme des associés dans ses méfaits (il leur reproche de ne pas l'avoir aidé lors de l'agression ratée du facteur). Le réalisateur se comporte de manière irresponsable (il n'aide jamais les victimes de Ben) et hautement hypocrite (lorsqu'il évoque les risques des métiers du journalisme dans ses apartés pleurnichardes commémorant les décès des preneurs du son).

Ce point de vue sur l'équipe de tournage et son hypocrisie criminelle renvoie à un autre classique faux-documentaire : CANNIBAL HOLOCAUST et ses documentaristes sans scrupule, assoiffés d'images sanglantes. Sauf qu'au lieu de se dérouler dans la jungle amazonienne parmi les anthropophages, C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS décrit plutôt la cavale d'un tueur détraqué, dans la tradition de SCHIZOPHRENIA ou de HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER.

Au-delà de l'humour noir et de la dénonciation des contradictions de l'exercice documentaire, C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS frappe par sa violence graphique parfois insoutenable : le meurtre de l'enfant ou le viol ne dépareraient pas dans une œuvre aussi crue que LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven ! Cette brutalité noircit le ton du film et souligne la complicité des reporters dans les crimes de Ben.

Pourtant, cette violence, par son côté outré, esquive le réalisme. Nous sommes plus proche du mauvais esprit grinçant de dessinateurs de BD comme Reiser ou Vuillemin, que d'un rendu crédible de la violence. C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS souffle, de manière ambiguë, le chaud et le froid. A une scène particulièrement dure (le viol et le meurtre du couple) succède une des séquences les plus hilarantes du métrage (le vieillard incontinent à l'hôpital).

Ce qui souligne encore l'aspect acide du film, son refus de tomber trop définitivement dans une attitude "sérieuse". Laquelle apporterait une tonalité "donneur de leçon" malvenue ici. Toutefois, la fin de C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS est morale, puisque Ben et ses complices seront punis pour leurs méfaits.

Bien que très légèrement inégal, C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS est une très grande réussite de la comédie noire, quelque part entre Georges Lautner (LES TONTONS FLINGUEURS) et Bertrand Blier (BUFFET FROID), rehaussée d'une cruauté jusqu’au-boutiste. Petit film semi-amateur proposé par des inconnus, il connaît un bon succès à sa sortie au cinéma en France. Puis le film devient, au gré de sa distribution en vidéo et de ses diffusions à la télévision, un classique de la comédie des années quatre-vingt-dix.

Il annonce aussi tout un renouveau du Film Noir à la française, renouveau qui va arriver dans les années suivantes avec des films comme REGARDE LES HOMMES TOMBER de Jacques Audiard, SEUL CONTRE TOUS de Gaspar Noé ou BERNIE d'Albert Dupontel.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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