Header Critique : ALPHAVILLE : UNE ETRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION

Critique du film et du DVD Zone 2
ALPHAVILLE 1965

UNE ETRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION 

Lemmy Caution est envoyé à Alphaville depuis les pays extérieurs dans le but de retrouver la trace du professeur Von Braun et de Henri Dickson. Ce dernier lui apprendra que Von Braun est en réalité à l'origine d'Alpha 60, une machine complexe régissant l'existence d'Alphaville et de ses habitants selon des notions logiques et statistiques. Afin que les règles puissent s'appliquer, les sentiments ou émotions doivent être éradiqués. Les habitants qui ne voudront pas ou ne parviendront pas à faire fi de leur «humanité» seront donc rééduqués ou exécutés. Lemmy Caution comprend alors bien vite qu'il doit mettre fin aux agissements du professeur et de sa création, laquelle envisage du reste une guerre préventive contre les pays extérieurs…

C'est sous la plume de l'écrivain britannique Peter Cheyney que naîtra en 1936 le personnage de Lemmy Caution. Inspecteur du FBI désabusé et énergique, Caution apportera la célébrité à son créateur et connaîtra treize aventures au format papier (romans et nouvelles). Il faudra attendre 1952 pour que le personnage prenne enfin vie sur grand écran. Ce sera dans le BRELAN D'AS de Henri Verneuil, un film constitué de trois sketches dans lequel Caution sera interprété par l'acteur allemand John Van Dreelen. L'année suivante, le personnage trouve celui qui deviendra son incarnation au cinéma durant presque quarante années, Eddie Constantine.

Constantine est à l'origine chanteur. Ca carrière américaine ne décolle guère et c'est pourquoi il accepte sans peine de suivre son épouse danseuse à Monte Carlo puis à Paris. C'est dans l'un des cabarets de la capitale qu'il sera repéré par Edith Piaf qui le prendra sous son aile. Sa gueule burinée lui permet finalement d'obtenir le rôle de Lemmy Caution dans LA MÔME VERT DE GRIS, un polar de série B mis en scène par Bernard Borderie (la saga des ANGELIQUE ainsi que cinq «Lemmy Caution»). Eddie Constantine deviendra dès lors indissociable de son personnage, et ce durant quatorze films. L'homme ira même jusqu'à prénommer son fils «Lemmy» en 1957 ! A cette époque, les films ne sont que des adaptations des romans de Cheyney et il faudra attendre 1962, avec LEMMY POUR LES DAMES, pour que le protagoniste se détache significativement de son créateur. En 1965, Jean-Luc Godard met en scène Eddie Constantine et par là même son double fictionnel. Le réalisateur d'A BOUT DE SOUFFLE décide d'injecter le «célèbre» espion dans une histoire qu'il a lui-même écrite, totalement détachée des travaux de Cheyney et se déroulant dans un univers futuriste et fantastique. Cette étonnante parenthèse prendra le nom d'ALPHAVILLE, judicieusement sous-titrée UNE ETRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION

Avec ALPHAVILLE, Jean-Luc Godard réalise tout d'abord un métrage déstabilisant car mêlant passé, présent et avenir. Le passé, c'est bien évidemment le personnage de Lemmy Caution qui pourrait à lui seul inscrire le film dans la catégorie des «films noirs» rétros dont Bogart fut l'un des plus illustres emblèmes. Le nom de «Dick Tracy» (personnage des années 30) sera en outre mentionné par Caution, à titre de clin d'œil... A ces influences ou références s'ajoutent par ailleurs le visuel et même l'aspect sonore du film que Jean-Luc Godard torture jusqu'à évoquer les travaux expressionnistes précurseurs de Fritz Lang ou Friedrich Murnau. Par le positionnement de sa caméra, le réalisateur crée le malaise et même la folie. Par l'usage de voix mécaniques et répétitives, il anéantit l'humanité et engendre la solitude…

Mais ALPHAVILLE, c'est aussi la mise en scène d'une architecture moderne (bâtiments, voies rapides, éclairages, escaliers, bureaux, etc...) au service d'un univers futuriste. Jean-Luc Godard nous brosse en effet le portrait d'un avenir inquiétant sur la seule base d'un présent froid et déshumanisé. L'évocation des HLM («Habitations de Longue Maladie») côtoie ainsi les images de bâtiments modernes épurés, contrastant eux-mêmes avec la vision de chambres minimalistes et délabrées. «Le futur d'ALPHAVILLE est menaçant ? Vous vous trompez, c'est notre présent qui l'est !» semble nous dire le réalisateur dans l'un de ses élans contestataires…

Pour son histoire, Jean-Luc Godard emprunte du reste énormément à la dystopie «1984» de George Orwell. On retrouvera donc dans ALPHAVILLE le fameux «Big Brother» (ici nommé «Alpha 60»), le déni des sentiments amoureux, une variante de la double-pensée ainsi qu'un appauvrissement progressif et forcé de la langue. Reste que si les points communs sont nombreux, la finalité des deux œuvres n'est pas vraiment la même. En effet, là où Orwell livrait une histoire très politisée et axée sur la dénonciation d'un régime totalitaire, Godard use des mêmes images / idées pour nous livrer une réflexion d'ordre philosophique, voire poétique. ALPHAVILLE met ainsi en scène la lutte entre la logique et l'émotionnel, l'opposition des mathématiques et de la langue, l'incapacité à retranscrire l'émotionnel grâce au cartésien. «Alpha 60» étant la machine, l'humanité est bien évidemment représentée par un Lemmy Caution attaché aux mots, aux écrits, aux sensations et aux sentiments. Plus cultivé qu'à son habitude, le personnage cite Louis-Ferdinand Céline (par le biais de «Voyage au bout de la nuit») et le poète Paul Éluard (via son recueil «Capitale de la douleur», inspiration majeure pour ALPHAVILLE), tente de faire revivre un vocabulaire banni et ose, comble de la folie, faire naître l'amour…

La voix d'«Alpha 60» (celle d'un homme ayant subi une trachéotomie) accompagne par ailleurs le récit et dispense en «off» quelques réflexions, lesquelles pourraient être autant de passionnants sujets de dissertation. La démarche a cependant ses limites et ALPHAVILLE devient assez rapidement «imbuvable» de par sa richesse et ses nombreuses références. Au point qu'une seule vision semble ne pas suffire et que le rythme plutôt lent de l'aventure devient par instant une bénédiction. La cohérence du récit passe régulièrement au second plan et Jean-Luc Godard accumule les raccourcis et autres bizarreries. Doit-on y voir là une détérioration des «règles» narratives en phase avec la destruction d'«Alpha 60», entité rationnelle figée ? Possible. Quoiqu'il en soit, l'ensemble reste finalement en phase avec le jeu désinvolte et amusé d'un Eddie Constantine que l'on sent perdu. En effet, le Lemmy Caution d'ALPHAVILLE se montre plus parodique que jamais, résolvant ses problèmes d'une balle dans la tête et se jouant constamment de son image de gros dur.

Face à lui, Anna Karina, superbe muse (et épouse durant sept années) de Godard, donne vie à un personnage aussi fascinant que froid. Il faudra attendre le plan final pour que son visage s'illumine et laisse enfin transparaître l'humanité, alors que le couple fuit une Alphaville laissée en plein chaos. Au chapitre des acteurs, tous convaincants, nous noterons la présence de Howard Vernon, ici dans le rôle du professeur Von Braun, alias Nosferatu (!). Il est du reste amusant d'ajouter que Vernon, acteur fétiche de Jess Franco, avait déjà rencontré Eddie Constantine et son alter-ego Lemmy Caution en 1953 dans LA MÔME VERT DE GRIS

Bien qu'il soit souvent considéré comme mineur dans la filmographie de Jean-Luc Godard, ALPHAVILLE n'en est pas moins une œuvre foisonnante et ambitieuse. Malgré son aspect «décalé», cet opus de la saga Caution restera sans aucun doute le plus marquant. Constantine en sera du reste parfaitement conscient et retrouvera Godard en 91 pour ALLEMAGNE 90 NEUF ZÉRO, une aventure là encore assez particulière de Lemmy Caution…

ALPHAVILLE a connu plusieurs sorties sur le territoire français, toujours sous la houlette de Studio Canal. Il fît tout d'abord partie de la collection «Série noire» en 2004 pour ressortir en 2007 à l'identique, doté cette fois-ci d'une jaquette plus colorée et estampillée «Cahiers du cinéma». Il faut dire que ces deux éditions comportaient un documentaire d'une demi-heure à mettre justement au crédit des Cahiers du cinéma. L'existence même de cette Featurette avait cependant de quoi surprendre tant ALPHAVILLE semble gentiment «snobé» dans l'ouvrage «Jean-Luc Godard» rédigé par Jacques Mandelbaum pour les besoins de la collection «Cahiers du Cinéma» / «Le Monde»... Quoiqu'il en soit, c'est justement avec le journal «Le Monde» que ressortira ALPHAVILLE quelques mois plus tard. Les Cahiers du cinéma s'impliquent toujours par l'intermédiaire d'un petit logo mais nous constaterons malheureusement que les bonus ont ici tous disparu ! Un constat d'autant plus regrettable donc qu'il n'a aucune raison d'être...

Au delà de cette déception, nous pourrons tout de même profiter du film dans des conditions plus qu'acceptables. Le métrage, proposé au ratio 1.37 d'origine via un encodage 4/3 de circonstance, affiche un noir et blanc de qualité. Tour à tour contrasté ou nuancé, le visuel du film prend ici toute sa force. Les noirs sont convaincants et la copie est étonnamment propre. Le grain semble très naturel et offre au film une patine cinéma très appréciable, parfaitement juste. L'encodage se fait globalement discret même si les quelques inversions vidéo que tente (maladroitement) Jean-Luc Godard, ainsi qu'une poignée d'effets de crénelage, trahissent la nature numérique de la copie.

Sur le plan sonore, Studio Canal nous offre le français d'origine au format mono et dans une version dite restaurée. S'il est effectivement probable qu'elle ait subi quelques travaux, le résultat n'est pas pour autant bluffant. Propre, l'unique option sonore n'en est pas moins sourde. Les dialogues sont de fait parfois difficiles à saisir d'autant que les différents acteurs, Eddie Constantine en tête, parlent avec un accent des plus prononcés. Il vous faudra donc tendre l'oreille pour saisir les répliques clef et chocs du protagoniste...

Rédacteur : Xavier Desbarats
Photo Xavier Desbarats
Biberonné au cinéma d'action des années 80, traumatisé par les dents du jeune Spielberg et nourri en chemin par une horde de Kickboxers et de Geishas, Xavier Desbarats ne pourra que porter les stigmates d'une jeunesse dédiée au cinéma de divertissement. Pour lui, la puberté n'aura été qu'une occasion de rendre hommage à la pilosité de Chuck Norris. Aussi, ne soyons pas surpris si le bougre consacre depuis 2006 ses chroniques DeViDeadiennes à des métrages Bis de tous horizons, des animaux morfales ou des nanas dévêtues armées de katanas. Pardonnez-lui, il sait très bien ce qu'il fait...
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L'édition vidéo
ALPHAVILLE, UNE ETRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h35
Image
1.33 (4/3)
Audio
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
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