Header Critique : DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, LA (THE LAST HOUSE ON THE LEFT)

Critique du film
LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE 1972

THE LAST HOUSE ON THE LEFT 

Deux jeunes filles, Phyllis et Mari, se rendent à un concert de rock. Sur le chemin, en cherchant à acheter de l'herbe dans un quartier sordide, elles se font kidnapper par des maniaques...

LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE est la première réalisation de Wes Craven, futur réalisateur de LES GRIFFES DE LA NUIT et SCREAM. Diplômé en lettres et en philosophie, il trouve en son ami Sean S. Cunningham son producteur pour l'occasion, lui qui dirigera plus tard le premier VENDREDI 13.

Œuvre à très petit budget, LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE est filmée dans un style proche du documentaire. Les acteurs sont essentiellement des amateurs. Pourtant, David Hess jouera ensuite dans d'autres films d'horreur (dont LA MAISON AU FOND DU PARC de Ruggero Deodato pour un rôle comparable, ou LA CRÉATURE DU MARAIS de Wes Craven). Fred Lincoln qui tient ici le rôle d'un obsédé sexuel, deviendra un réalisateur de porno très productif !

Avant 1972, la violence au cinéma a gagné en intensité sur les écrans des États-Unis, avec des films comme BONNIE & CLYDE, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ou LA HORDE SAUVAGE. Cette violence reflète les tensions de la société américaine. Le mouvement utopiste Flower Power de la fin des années soixante a dégénéré, avec les morts tragiques de musiciens emblématiques comme Jimi Hendrix, Brian Jones des Rolling Stones ou Janis Joplin. Ou avec le massacre de l'actrice Sharon Tate par la communauté pseudo-hippie de Charles Manson. Surtout, l'enlisement sanglant de la guerre du Vietnam pèse lourd sur les consciences, la presse relatant régulièrement des exactions commises par les troupes américaines sur les civils, comme le massacre du village de My Lai.

Craven veut faire un film montrant en détail la vraie violence, telle qu'elle s'exprime dans les faits divers ou pendant les guerres. LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE décrit le calvaire de deux jeunes filles persécutées par des brutes et des obsédés sexuels qui abusent d'elles pour se distraire. Ce cinéma du sadisme sans concession rend le spectateur témoin d'exactions innommables et déplaisantes. Il s'inscrit dans la tradition d’œuvres dures, telles qu'ORANGE MÉCANIQUE de Stanley Kubrick qui un an avant pousse déjà loin le bouchon dans la représentation de la violence gratuite.

LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE ne sort pourtant pas de nulle part. Il s'inscrit dans une tradition d’œuvres à petits budgets consacrées aux méfaits de psychopathes vivant dans les marges américaines, comme PSYCHOSE ou LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL. Surtout, Craven revendique l'influence de LA SOURCE d'Ingmar Bergman, mettant en scène le viol d'une jeune femme au moyen-âge et la vengeance qui s'ensuit. Peu avant, Dario Argento révolutionne le Giallo traditionnel en lui injectant une forte dose de modernité extraite du cinéma de Michelangelo Antonioni. George Romero s'inspire des dernières tendances du documentaire pour LA NUIT DES MORTS-VIVANTS. Comme eux, le jeune Wes Craven fait progresser le cinéma d'horreur en l'exposant à des influences modernes venues du cinéma d'auteur de son temps, en particulier du cinéma européen.

LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE crée un scandale, et sa version intégrale reste encore interdite aujourd'hui dans certains pays. Les bourreaux sont des détraqués, dépourvus de sens moral ou de compassion. Craven les présente comme des clowns répugnants, à la fois ridicules et dangereux. Les souffrances qu'ils infligent à Phyllis et Mari sont gratuites, sans autre enjeu que l'"amusement", le plaisir de faire souffrir. Pour accomplir leurs crimes, ils se rendent dans un coin de campagne isolé et sauvage. Ils commettent des tortures sexuelles (viol), physiques (blessure au couteau) ou morales (humiliation). Pourtant, pendant un instant, les sadiques prennent conscience de la barbarie de leurs actes (après le calvaire de la jeune Mari) et parmi eux, le jeune junkie reste à l'écart de ces jeux cruels qui le dégoûtent.

La seconde partie de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE se consacre à la vengeance des parents d'une des jeunes filles. Emportés dans un inexorable engrenage de l'horreur, ils se livrent à des sévices que ne renieraient pas les sadiques eux-mêmes (castration, électrocution). Ce qui semble annoncer tout un cinéma de la vengeance privée et de l'auto-défense brutale à venir...

Dans LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE, la violence est montrée crûment. Pourtant, Craven la présente d'une manière originale, qui tend à la dédramatiser. Les séquences de sévices alternent avec des scènes anodines, comme les aventures de deux policiers débiles ou la préparation d'une fête. Ce qui désamorce la tension des passages les plus insupportables. De même, la musique ne provoque pas une sensation de malaise ou de tristesse. Au contraire, ses airs de country ou son rock progressif démodé installent une distance entre le spectateur et les horreurs se déroulant sur l'écran.

Craven refuse d'utiliser l'effet choquant produit par ce spectacle de violence pour faire du terrorisme intellectuel et désigner des responsables indirects, comme les médias ou la société. Il refuse même de poser les termes d'un débat moral, comme le fait Kubrick dans ORANGE MÉCANIQUE en mettant en balance une permissivité excessive d'une part et une répression inhumaine d'autre part.

Non, Craven se contente de proposer honnêtement la vision de cette violence réaliste. Il laisse au spectateur la liberté de réfléchir par lui-même à ce qu'il voit. Nous relevons ainsi ce final étrange au cours duquel tous les protagonistes du drame, bourreaux et victimes, nous sont présentés à égalité, riant et joyeux, magnifiés par des arrêts sur image, rappelant le défilé héroïque des cow-boys fous de violence à la fin de LA HORDE SAUVAGE. Craven refuse de prendre partie, d'énoncer ce qui est bien ou mal. C'est au spectateur de décider comment il réagit face à ses images.

LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE est un film très dur, à déconseiller aux personnes sensibles. Par moment, nous regrettons sa réalisation brouillonne et son interprétation inadéquate. Néanmoins, il reste une œuvre intelligente et importante, qui présente un regard original sur la violence au cinéma.

Il lance toute une mode extrême du film de «Rape and Revenge», copiée aussi bien aux États-Unis (OEIL POUR OEIL) qu'en Italie (LA BÊTE TUE DE SANG FROID). Voire, il relance aussi une tendance de la vengeance au cinéma plus dans la tradition du Film Noir, avec dans les années qui suivent UN JUSTICIER DANS LA VILLE avec Charles Bronson ou MAD MAX.

Wes Craven lance ici pour la première fois de sa carrière une vraie mode dans le cinéma horrifiant – et ce ne sera pas la dernière, puisqu'il pourra se vanter d'un tel exploit trois fois encore avec LA COLLINE À DES YEUX qui redonne un coup de fouet au genre Survival, le Slasher fantastique LES GRIFFES DE LA NUIT et enfin le Néo-Slasher SCREAM !

Dans les années 2000, alors que les succès de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE de Marcus Nispel et de LA COLLINE A DES YEUX d'Alexandre Aja entraînent une frénésie de remakes de films de la même période, LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE a le droit à sa nouvelle version, réalisée par Dennis Iliadis, fort efficace, même si plus traditionnelle que son modèle.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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