4. Vous avez dit... "Bizarre" ?
"Bizarre" numéro 24-25, 3ème trimestre 1962.
Couverture, Boris Karloff en créature de Frankenstein, au cours des années
30. Comme nous l'avons vu, simultanément à la sortie
du premier "Midi-Minuit fantastique", Jean Boullet et Jean-Claude
Romer travaillent à la conception d'un numéro de "Bizarre"
consacré à l'épouvante dans le cinéma fantastique.
Un numéro entièrement dédié à quatre carrières
du cinéma hollywoodien qui n'avait jamais été étudiée
sérieusement dans les publications françaises : Tod
Browning, James
Whale, Boris
Karloff et Bela
Lugosi !
"Je le préparais depuis trois ou quatre ans. Il est sorti quasiment en même temps que le premier "Midi-Minuit". Mais ça, c’était un travail de très longue haleine. Il n'y avait rien de publier sur ces sujets. Evidemment, maintenant, cela semble un petit peu succinct mais j’étais le premier à parler d'Ed Wood dans ces pages, pour la fin de la carrière de Lugosi. J’ai été le premier à faire des recherches aux Etats-Unis, en Belgique, et tout ça pour trouver des titres français des films s’il y en avait. Je vous signale que Bela Lugosi a fait un film qui est culte maintenant, qui s’appelle GLEN OR GLENDA. Et bien regardez, j’ai été trouvé le titre belge qui était LOUIS OU LOUISE !.
A partir du moment où vous vous intéressez à quelque chose, vous cherchez des gens. Aux Etats-Unis, j’avais des correspondants qui m’envoyaient des choses. Vous savez, il n’y avait même pas une filmographie établie de Boris Karloff, de Bela Lugosi ou de Tod Browning. FREAKS de Tod Browning vient de sortir en DVD dans une version complète avec les trois fins. Moi, j’avais vu ce film au début des années 50 avec une mauvaise copie à la Cinémathèque Française. Et ça avait vraiment été un choc. Je me suis dit qu’il fallait vraiment trouver des documents. Et il n’y avait vraiment rien sur Tod Browning. D’où mon idée - au départ - de faire seulement une étude sur Tod Browning qui avait fait des films déments."
Dans ce numéro historique, Jean-Claude Romer s'occupe de rédiger les notices biographiques des réalisateurs Tod Browning et James Whale. Celles dédiées aux comédiens Karloff et Lugosi sont signées par Jean Boullet. Personnalité extravagante, fasciné par l'insolite et le macabre, il écrit une biographie délirante - et en partie imaginaire ! - de Bela Lugosi, reprenant à la lettre certains délires publicitaires orchestrés autour de ce personnage, voire inventant de toutes pièces des légendes ! Une démarche qui, bien sûr, embarrassait le rigoureux Jean-Claude Romer...
"Jean Boullet, le précurseur" de Dennis Chollet,
biographie de Jean Boullet.
France Europe Editions, 2001. "Je peux vous le dire : en
tant qu’historien, j’étais extrêmement gêné !
Parce que vous voyez, dans ce numéro, vous prenez la filmographie de
Bela Lugosi
et vous voyez, en 1956, PLAN 9 FROM OUTER SPACE et après
THE BLACK SLEEP. Mais THE BLACK SLEEP
n’est pas son dernier film. Son dernier film, c’est PLAN
9 FROM OUTER SPACE. Et pourquoi cette erreur ? Parce que cela permettait
à Jean Boullet, en parlant de Bela Lugosi, de dire: "On rapporte
que le dernier visiteur venu s’incliner devant la dépouille mortelle
de Bela Lugosi
se dirigeait lentement vers la sortie lorsque, dans l’interminable corridor
à air conditionné de la clinique, se déroula un événement
surprenant. Une gigantesque chauve-souris noire au vol ouaté et silencieux
le suivait dans le couloir. Lorsqu’il ouvra la porte de verre qui donnait
sur la rue, quelques coups d’ailes claquèrent et l’animal s’échappa
vers le ciel où le soleil venait de disparaître." Jean Boullet
m’a dit "Mettre PLAN 9 FROM OUTER SPACE comme
dernier film, c’est très mauvais ! Le sommeil noir, ça,
c’est beau de terminer avec THE BLACK SLEEP"."
Par contre, nous sommes aujourd'hui étonnés du désintérêt
de Jean Boullet pour Karloff,
dont il semble considérer que les seuls talents étaient ceux...
du réalisateur James
Whale et du maquilleur Jack Pierce !
"Karloff
ne l’intéressait pas du tout ! Lui, il se prenait un peu pour
Bela Lugosi.
Karloff, pour
lui, c’était un porte manteau ! Il disait que Bela
Lugosi avait refusé le rôle de la créature de Frankenstein.
Mais Lugosi
a quand même tenu ce rôle dans l’un de ses films [FRANKENSTEIN
RENCONTRE LE LOUP GAROU] et il a joué en portant parfois des masques.
Je suis en rapport avec quelqu’un en France qui fait des dossiers sur Bela
Lugosi. Il y en a une trentaine maintenant et il y a tout sur Bela
Lugosi. C’est Gérard Noel, c’est admirable ce qu’il
fait. Il va chercher des trucs en Hongrie… Moi, je suis d’ascendance
hongroise. Mon père était Hongrois et ma mère Bretonne.
Cela avait estomaqué Forrest Ackerman car j’avais trouvé
le pseudonyme de Bela
Lugosi en Hongrie, quand il tournait ses premiers films. Là, il n’en
était pas revenu. Lugosi
s’appelait alors Aristide Olt. J’avais retrouvé aussi un Dracula
antérieur, réalisé en Hongrie. Ah, oui, j’adore chercher
parce que des fois quand on cherche, on trouve. On est tellement content quand
on a trouvé !"