Header Critique : MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE (TEXAS CHAINSAW MASSACRE)

Critique du film
MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE 1974

TEXAS CHAINSAW MASSACRE 

Cinq jeunes se rendent au Texas pour passer des vacances dans une demeure familiale. A la recherche d'essence pour leur van, ils tombent sur une maison occupée par un homme dérangé qui les attaque avec une tronçonneuse...

Tobe Hooper naît en 1943 à Austin, dans le Texas. Ses parents travaillent dans un grand complexe hôtelier et le laissent régulièrement en garderie dans la salle de cinéma. Il se passionne pour le septième art, s'intéresse aux films Hammer et expérimente abondamment avec la caméra super 8 familiale. Après ses études, il réalise des documentaires, travaille pour la publicité, puis tourne son premier long-métrage EGGSHELLS en 1969, en fait une histoire de fantômes. Ce n'est pas un succès.

Hooper assiste à une projection de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero et, devant les réactions du public aussi terrifié qu'enthousiaste, il se dit que le fantastique est une piste très valable pour percer commercialement. Les succès de ROSEMARY'S BABY et de L'EXORCISTE de William Friedkin ont dû le conforter dans cette idée. Il rassemble un petit budget et fait appel à une équipe de débutants, dont l'opérateur Daniel Pearl et le directeur artistique Robert A. Burns (appelé à travailler sur d'autres classiques de l'horreur comme LA COLLINE À DES YEUX, HURLEMENTS et RE-ANIMATOR).

Le tournage de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE ne dure que six semaines et se déroule dans des conditions difficiles, notamment à cause de la puanteur des abats et des ossements d'animaux abondamment employés. Les acteurs n'ont pas vraiment fait des grandes carrières au cinéma par la suite, bien que certains réapparaissent dans des suites de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE : Marilyn Burns (dans TEXAS CHAINSAW) et Jim Siedow (MASSACRE À LA TRONCONNEUSE 2) par exemple.

Le comédien d'origine islandaise Gunnar Hansen, premier interprète du tueur à la tronçonneuse Leatherface, n'a jamais repris ce rôle. Il apparaît néanmoins dans le septième film du cycle, TEXAS CHAINSAW 3D, pour un petit rôle.

Aux États-Unis, le début des années soixante-dix est chaotique. Tobe Hooper en parle lui-même comme un moment de désenchantement. Ce pays ne s'extirpe définitivement de la guerre du Vietnam qu'en 1973. Le scandale du Watergate, qui entraîne la démission du président Nixon, a lieu l'année suivante, trahissant, tout comme le meurtre de John Kennedy dix ans avant, un pays profondément divisé.

Les utopies de la fin des années soixante s'échouent sur une réalité brutale. Jimi Hendrix et Janis Joplin, deux des plus emblématiques vedettes du festival "Peace and Love" de Woodstock, meurent tragiquement dès 1970, précédés de peu par Brian Jones des Rolling Stones et suivis par Jim Morrison des Doors. Les crimes atroces commis par Charles Manson et sa communauté, se disant inspirés par des chansons des Beatles, achèvent les dernières illusions hippies.

Ce chaos est déjà pressenti par George Romero qui sort en 1968 LA NUIT DES MORTS-VIVANTS. Tourné dans un style documentaire et avec très peu de moyens, ce film affiche une grande liberté dans la représentation explicite de ses moments sanglants ainsi que dans son message politique, dépiction impitoyable d'une civilisation américaine désunie. LA NUIT DES MORTS-VIVANTS est suivi par le très dérangeant LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven, inspiré aussi bien par LA SOURCE d'Ingmar Bergman que par des compte-rendus d'atrocités commises par des soldats américains au Vietnam. Tourné dans des conditions semblables à celles de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, il décrit dans le détail les méfaits de psychopathes harcelant deux adolescentes.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE s'inspire de la violence réaliste et insoutenable de ces films, en la rehaussant d'éléments présents dans DEUX MILLE MANIAQUES de H.G. Lewis et surtout dans DÉLIVRANCE de John Boorman, sorti en 1972. Des citadins veulent se ressourcer à la campagne et se heurtent à des indigènes brutaux qui les persécutent avec une rare cruauté. L'utopie hippie et écologiste d'un retour harmonieux à la nature est morte et enterrée et les Américains se massacrent entre eux comme dans une guerre civile larvée.

Pour Leatherface, Hooper s'inspire d'Ed Gein, un serial killer du Wisconsin qui viola de nombreuses sépultures afin de se fabriquer des meubles et des masques de peau humaine. Il tua aussi au moins deux femmes et inspire le personnage de Norman Bates à Alfred Hitchcock pour PSYCHOSE, ainsi que plus tard le sadique Buffalo Bill dans LE SILENCE DES AGNEAUX.

Nous nous rappelons qu'une tronçonneuse sert déjà de manière sanglante dans LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE. Pourtant Tobe Hooper a avoué que l'idée de se servir de cet outil comme d'une arme improvisée lui est venue en poireautant dans la queue d'un supermarché, face à un rayon garni de tronçonneuses !

Le masque en peau humaine de Leatherface lui est inspiré par une histoire rapporté par un médecin ayant découpé le visage d'un mort pour en faire un masque d'Halloween. L'usage de peaux humaines écorchées comme costume ou masque est aussi une tradition guerrière, déjà rencontrée dans la civilisation Aztèque en Amérique centrale.

Dans un message en début du métrage, Hooper annonce que MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE retranscrit fidèlement un vrai fait divers. Ce n'est pas exact, mais pour un spectateur non averti, les faits, dénués de connotations fantastiques, sont suffisamment vraisemblables et cela impressionne d'emblée.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE est avant tout un film angoissant. En jouant sur la photographie granuleuse et manquant de netteté de la pellicule 16mm, ainsi que sur les images oppressantes d'un cimetière profané, d'éruptions solaires et d'un Texas désolé, Hooper nous plonge dès les premières minutes de son œuvre dans une ambiance malsaine. L'irruption d'un étrange auto-stoppeur dissertant sur les différentes manières de tuer les animaux, puis se tailladant la main d'une manière insensée, achève de mettre mal à l'aise.

L'arrivée des jeunes voyageurs à leur maison donne lieu à des séquences calmes. La nature texane est cependant loin du paysage idyllique espéré par ces touristes, ou même de l'idée grandiose du Far West véhiculée par les westerns. Les points d'eau sont asséchés, la demeure de famille est une ruine, l'air charrie la puanteur des abattoirs et un groupe électrogène ronronne en permanence dans le lointain.

Tout cela, combiné à l'usage d'une musique abstraite et stressante, à base de grondements, de hurlements et de grincements, prépare une explosion de violence que le spectateur appréhende et anticipe, ne serait-ce que grâce au titre du film !

Les jeunes touristes se feront massacrer par Leatherface, un garçon apparemment attardé portant un masque de femme réalisé en peau humaine. Il s'exprime avec une voix de fausset et manie la tronçonneuse comme une arme. Ses agissements cruels ne sont jamais montrés expressément, les coups étant presque toujours donnés hors champs. Mais le travail sur l'atmosphère, sur la préparation du spectateur, sur le montage et sur la bande-son assourdissante (des hurlements répondent au boucan mécanique de la tronçonneuse), est si habile que les actes de violence choquent toujours.

Leatherface se distingue du serial killer traditionnel, figure plutôt solitaire, par le fait qu'il est entouré d'une famille toute aussi dingue que lui. Ils appartiennent à une lignée d'abatteurs de bestiaux mise au chômage par la mécanisation croissante des abattoirs industriels. La promesse du travail assidu récompensé se trouve alors brisée.

Leur isolement social et géographique les fait se replier sur leur folie tandis que la viande et la mort restent leur seul environnement. Les membres décédés de la famille sont empaillés. La demeure est décorée d'œuvres d'art et de meubles macabres bricolés à partir d'ossements et de peaux. Leatherface et ses frères semblent l'ultime dégénérescence des colons ayant conquis le Texas. L'ultime aboutissement d'une société américaine en pleine décomposition.

La logique de Leatherface et de ses compagnons est monstrueuse. La mise à mort est considérée comme un artisanat de prestige, une tradition familiale source de fierté. Surtout, et c'est là que MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE dérange le plus, ils ne font aucune distinction (à l'exception notable du grand frère, le moins dingue de la bande) entre la viande humaine et la viande animale.

Les victimes humaines sont traitées comme des morceaux de barbaque, pendues à des crochets de boucher, stockées dans des glacières, ont la nuque ou le crâne fracassés à coup de masse avant que leurs carcasses ne soient découpées à la tronçonneuse. Les membres de la famille de Leatherface n'éprouvent pas plus de pitié pour les cris de terreur de Sally que pour ceux d'une bête à l'abattoir.

En traitant ainsi leurs proies, en utilisant indifféremment des ossements humains ou animaux pour construire leurs trophées macabres, ils ramènent l'homme et la femme au rang de simples morceaux de viande. Ils profanent encore au passage le caractère sacré des rites funéraires (ils se servent en cadavres frais dans les cimetières). En niant l'humanité des autres, en les ramenant au rang d'animaux, cette famille bascule alors dans l'inhumanité, franchissant le tabou ultime du cannibalisme.

Tobe Hooper, alors végétarien, décrit l'horreur de la viande et la brutalité des traitements subis par les animaux exploités dans les filières alimentaires en les appliquant à des humains.

Par certains aspects, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE tend vers une distanciation de la violence. Leatherface et son frère sont des personnages au comportement et à l'allure burlesques. Certaines séquences de poursuites dans la forêt évoquent une version ultra-violente d'un cartoon de Bip-bip et Coyote... Il en découle un style très mobile et très graphique, qui innove et annonce les cinémas à venir de metteurs en scène au style cinétique comme Steven Spielberg ou Sam Raimi.

Pourtant, s'il y a bien un aspect grotesque et bouffon dans MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE, sa tension, sa violence implacable empêchent le rire de sortir de la gorge du spectateur. L'humour noir souligne l'absurdité du calvaire de Sally. Il n'en atténue pas la brutalité insoutenable. Il est l'humour du désespoir.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE est un film traumatisant qui pousse jusqu'au bout l'expérience amorcée par LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE. Il confronte le spectateur à une restitution réaliste et pénible de la violence, révélant sans tabou la barbarie enfouie dans chaque humain.

Les valeurs-socle du rêve américain, à savoir le travail, la famille et Dieu sont distordues et dévoyées par la famille de Leatherface. En synthétisant les traumatismes lourds vécus par l'Amérique au cours des précédentes années, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE est la peinture d'un pays totalement déchiré, fracturé, désorienté.

Cassure fondamentale dans le cinéma d'horreur américain, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE frappe définitivement d'obsolescence le cinéma gothique anglais. Projet à petit budget qui n'aurait pu être qu'une variante anecdotique de l'horreur campagnarde d'un H.G. Lewis, il propose un style cinématographique beaucoup plus accompli et très innovant. Il porte un regard acéré sur l'horreur tapie dans l'humain et diffuse une épouvante profonde, glaçante, dérangeante au plus haut point.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE  obtient enfin une large distribution aux USA et devient très rapidement une œuvre culte réputée. En France, il est montré au Festival de Cannes, dans la section Quinzaine des Réalisateurs en 1975, consacrée aux diverses formes du cinéma d'auteur, et il reçoit un prix à Avoriaz en 1976.

La commission de censure en France se prononce pour une interdiction totale de l’œuvre, mais Françoise Giroud, alors Ministre de la Culture, veut que MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE sorte en salle sans coupure. Pendant ce temps, deux distributeurs différents disent avoir les droits du film pour l'hexagone ! La situation juridique finit par se démêler, mais la commission de censure réclame toujours l'interdiction totale, sous le prétexte que MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE inciterait le public à la violence. Finalement, en été 1981, avec l'arrivée au pouvoir du Parti Socialiste, les interdictions d’œuvres cinématographiques et les coupes dans les films sont levées. Déjà visible en vidéo chez nous depuis 1979, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE finit par sortir au cinéma en 1982, précédé d'une réputation sulfureuse entretenue par des années de polémique.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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