STEREO est le premier film de sa filmographie que David Cronenberg considère comme réellement acceptable, réellement achevé. En effet, avant ce moyen-métrage, il a déjà dirigé deux courts aux ambiances fantastiques, en 16mm : TRANSFER en 1966, puis FROM THE DRAIN l'année suivante, dans la foulée de ses études. Toutefois, David Cronenberg, s'il était bien étudiant, avait appris le cinéma sur le tas, se documentant sur la technique en lisant des revues professionnelles telles que American Cinematographer. En effet, à Toronto, aucune école n'enseignait comment pratiquer cette activité...
A l'université, David Cronenberg commence par étudier les sciences, un domaine l'ayant toujours fasciné. Mais il abandonne ce cursus au bout d'une année, déçu par la manière désincarnée dont elles sont enseignées. Il se tourne alors vers les lettres anglaises, où il s'avère un excellent élève. En parallèle, il tourne ses deux premiers courts-métrages, lesquels lui ouvrent les portes de l'univers du cinéma expérimental...
Au cours des dernières années de son cursus littéraire, il écrit et dirige le moyen métrage nommé STEREO, dans des conditions plus professionnelles. Toutefois, il s'agit avant tout d'un film expérimental, tourné sans réelle volonté de le rentabiliser sur un circuit commercial. A cette époque, il n'y pas d'aide financière prévue pour les films au Canada. Pour obtenir des fonds publics d'aide aux artistes, Cronenberg prétend alors en avoir besoin pour rédiger un roman ! STEREO est donc filmé en pellicule 35mm, en noir et blanc, dans un bâtiment universitaire déserté, durant l'été, avec l'aide de sept jeunes acteurs qui n'étaient alors pas des comédiens professionnels...
Sept jeunes gens, hommes et femmes, sont enfermés dans un bâtiment isolé afin de servir de cobayes à des expériences. Ils ont subi une opération les empêchant de parler, mais démultipliant leur capacité à communiquer par télépathie. Un réseau de caméras permet à des scientifiques d'étudier leurs comportements et leurs relations...
Déjà, Cronenberg s'intéresse à un sujet de science-fiction, en mettant en scène le quotidien de jeunes mutants enfermés dans un centre où se déroulent toutes sortes d'expériences psychologiques, télépathiques et sexuelles. STEREO se distingue toutefois en optant pour la forme d'un pseudo documentaire, d'un pastiche de film scientifique à la mise en scène parfaitement "objective". Ainsi, les images sont présentées comme des relevés et ne sont accompagnées d'aucune bande-son. Par moment, le silence est brisé par les commentaires détachés d'étudiants, visionnant le film et émettant des remarques. Ils confrontent les théories d'un scientifique, le professeur Stringfellow, au comportement des cobayes…
STEREO est donc un pastiche, voire une parodie de film scientifique. Ses commentaires se perdent dans un verbiage hermétique, supposé illustrer les difficultés des scientifiques à rationaliser et classifier des phénomènes et des réactions humaines, psychologiques, qui, en fait, leur échappent totalement du fait de leur approche désincarnée. Cronenberg disait alors réagir aux limites des sciences étudiant les comportements humains, tels que la psychologie et la sociologie. Mais on peut aussi y voir une résurgence de son année d'études scientifiques, un règlement de compte vis-à-vis de cette mauvaise expérience qui le laissa assez frustré...
Ce qui frappe en découvrant STEREO aujourd'hui, c'est que, déjà, beaucoup du cinéma de Cronenberg, de sa manière d'approcher la science-fiction, s'avère présente. La perfection de la forme, la rigueur de la mise en scène nous renvoient déjà à l'oeil de Cronenberg, à son regard à la fois détaché, entomologique. Les thèmes des films plus connus de Cronenberg (FRISSONS, RAGE, SCANNERS...) sont eux aussi présents. Mutations, drogues et sexualités expérimentales s'y mêlent déjà...
Maintenant, ne trompons pas le consommateur sur la marchandise. S'il est visuellement et cinématographiquement satisfaisant, STEREO n'est pas une totale réussite. On se demande souvent où Cronenberg veut en venir tandis que, en fin de compte, le dénouement laisse sur une impression de frustration, d'expérience un peu vaine...
Bien qu'inégal et assez déconcertant, STEREO n'en reste pas moins une curiosité intéressante, un véritable film de Cronenberg, déjà porteur de la marque visuelle et de son univers si singulier. Par la suite, Cronenberg tournera un second film dans des conditions assez semblables : CRIMES OF THE FUTURE, achevé en 1970...
Aux Etats-Unis (Zone1), STEREO et CRIMES OF THE FUTURE sont offerts en supplément du disque de FAST COMPANY, chez Blue Underground, ce dernier titre étant un des rares longs métrages de David Cronenberg ne flirtant pas avec l'horreur ou le fantastique : il traite en effet de l'univers de la course automobile. En Zone 2, l'éditeur néerlandais Reel23 propose un disque réunissant STEREO et CRIMES OF THE FUTURE, disque destiné à une diffusion européenne et distribué notamment en France. C'est ce DVD que nous allons tester...
La copie de STEREO proposée ici nous montre ce film cadré au format panoramique 1.66, en 16/9, dans un bon télécinéma. Nous apprécions notamment la jolie définition, un agréable dégradé de gris et une restitution naturelle de la profondeur de champs. Pour un film expérimental, resté longtemps assez rare, la copie s'avère dans un état satisfaisant, bien que certains passages laissent paraître des tâches ou des rayures, ponctuelles et discrètes.
La bande-son est dans sa version originale anglaise, en mono d'origine codée sur deux canaux. Elle s'avère satisfaisante par sa propreté et sa clarté, mais rappelons qu'elle se limite essentiellement à du silence et des commentaires en voix off ! Nous trouvons aussi une batterie de sous-titres européens optionnels, parmi lesquels un sous-titrage français.
Le disque lui-même ne comprend pas de suppléments en tant que tel, mais rappelons tout de même que ce disque contient deux films : STEREO et CRIMES OF THE FUTURE ! Par ailleurs son boîtier propose un feuillet plié (déplié, il s'agit d'une feuille au format A3) réunissant des notes d'intention de Cronenberg sur ces deux films, ainsi qu'une biographie lui étant consacré.
Bref, pour les passionnés de Cronenberg qui comptent découvrir STEREO, cette édition européenne s'avère un achat de bonne qualité, à effectuer sans arrière-pensée...