C'ETAIT LE JOUR DU BIS (28 JUIN 2014)

3 juillet 2014 
C'ETAIT LE JOUR DU BIS (28 JUIN 2014)

Bis repetita pour ce second marathon annuel des films qui nous sont chers dans le tout nouveau cinéma La Scala à Thionville. Une salle toute fraiche pour accueillir quelques 150 spectateurs au long d'un Jour du Bis riche en émotions, comment dire… diverses. En ces temps de très faible fréquentation des salles où certains cinémas français tournent quasiment à vide, ce résultat même mitigé fait office d'exception pour une journée dédiée à un cinéma hors norme. Qui plus dans une (Thion)ville éloignée de tout centre de diffusion à la pointe de la cinéphilie - entendre par là des villes comme Paris ou Toulouse bénéficiant de Cinémathèque gorgée de copies en tous genres. Et dont le public est habitué à se déplacer pour assister à une programmation différente.

Il s'agit désormais d'un fait avéré : Thionville est la seconde ville de France après Paris (via la Cinémathèque française) où il demeure possible de visionner des films de genre dans leur 35mm d'origine. Un travail de recherche minutieuse, une plongée dans un patrimoine cinématographique autre pour apporter aux cinéphiles qui ont encore la curiosité nécessaire, une ration de surprises venues d'ailleurs. Un ailleurs cinégénique peuplé de moto-suppositoire à deltaplane intégré, de hordes de motos macgyverisées qui pulvérisent des chars en pleine désert, de cauchemars vivants, de cutters infernaux et de suédoises au postérieur dénudé se roulant dans la neige sous un commentaire audio de Jean Topart. La vie rêvée des anges, quoi.

Une programmation assez pointue pour le grand public peu connaisseur, avec des films perdus dans le vortex spatio-temporel neuronal de nos cervelets. Que seul de véritables passionnés de la celluloïd peuvent engendrer, reconnaitre, retrouver et projeter. Prolonger la mémoire cinéma, sensibiliser au partage d'affects et diffuser tout un pan du cinéma qui ne saurait se résumer aux blockbusters à grands renforts de robots géants et de comédies adaptées de bandes dessinées ou  d'oeuvres classées art et essai. Il y a une frange cinématographique, une frontière qui a rassemblée des meutes de cinévores en recherche d'un cinéma moins calibré et mettant son nez et sa créativité dans des recoins insoupçonnés. Et comme le programmateur n'est pas en reste, plusieurs quizz ont émaillé la journée, un vrai parcours du combattant pour spécialistes des genres doublé d'un magnifique blind-test audio à base de musiques de films spécifiques aux genres abordés. Excellente initiative participative qui contribue grandement à l'excellente ambiance qui régna dans la salles et surtout, surtout, dans le respect des oeuvres projetées. Ce qui n'est pas le cas partout, surtout en ces périodes d'incivilités de tous poils dans les salles de cinéma.

Pour aborder la topographie Bis, le programme initie LE BAROUDEUR, une production distribué en octobre 1984 en France sous la bannière Visa Films Distribution. Toute une époque, ici avec un Robert Ginty (THE EXTERMINATOR) dont on comprend à peine qu'il fut considéré comme héros d'action. Laid, maigrichon, à l'expressivité d'une huile perlière en période reproductive, il balance sa silhouette torve dans un film d'aventure pas désagréable croisant des gadgets jamesbondiens, une horde de mercenaires/agents secrets singer un pre-EXPANDABLES à la recherche d'une cargaison de lingots d'or échoués entre le Laos et la Thaïlande. Une décontraction toute INDIANA JONES au coeur de la jungle thaï et nous voilà partis pour un délirium tremens en Scope alliant poisson géant, mini-machettes en pleine tête & gorge, doublage à la hache, explosions dantesques, chauves-souris géantes vampires… bref, hormis un premier tiers somnifère et une chasse sous-marine longuette révélant subrepticement un acteur déclencher lui-même sa fausse poche de sang dans un combat, il se passe quelque chose à chaque instant à l'écran. Pas crédible pour deux roupies balinaises, LE BAROUDEUR enquille joyeusement ses cascades en tous genres, refait sa rivière Kwai et se termine sur une ode à la paix dans le monde « qu'on aura jamais ». Sacré Ginty.

Vitesse largement supérieure avec LA MAISON DE LA TERREUR de Lamberto Bava. Gros plaisir de revoir sur grand écran cette curiosité qui sortit brièvement sur nos écrans grâce aux indispensables Films Jacques Leitienne. Une bonne tenue de la copie qui semble être la même qui fut exploitée au Brady en 1988/1989. La version française fut celle écourtée par rapport à la version exploitée par exemple en Angleterre, qui bénéficie elle d'un prologue complet avec les trois enfants et de quelques scènes supplémentaires. Mais la destinée de ce produit prévu pour une série TV de petits épisodes d'1/4 d'heure chacun fut autre. Bava tourna en 16mm avec un budget maigrissime et réussit malgré tout à transformer l'ensemble en long métrage. Certes, l'origine télévisuelle du film trahit un scénario qui fait apparaitre régulièrement de nouveaux personnages « sortis du placard » de manière littérale, de manière régulière afin de faire rebondir le récit - à ‘origine dans chaque épisode. Idem pour la partition musicale des frères De Angelis (YOR, APOCALYPSE DANS L'OCEAN ROUGE) qui ne conçurent que quelques morceaux non prévus à la base pour couvrir tout un long métrage. Mais les quelques excès gore font mal - le couteau dans la main : terrible- et Bava donne un look éviscéré à une villa fantôme des plus efficaces. La maitrise des éclairages alliée à une photographie naturelle rendent l'ensemble plaisant et d'allure très pro. Surtout que Bava épanche son style propre : un endroit clos, une intrigue resserrée, les explorations d'une sexualité contrariée…on retrouve les thématiques et effets stylistiques de BAISER MACABRE, MIDNIGHT HORROR ou encore DELIRIUM. Le plus demeurant ici la VF d'époque qui explose tout. Diction imparable, dialogues ampoulés à base de « mais… qui es-tu belle inconnue? ». Clair qu'on sort cette phrase à une hystérique sortant d'un placard qui vous tombe dans les bras. Une perle bis imparfaite mais qui, replacée dans son contexte d'origine, apparait tellement supérieur aux exactions récentes du genre. Un néo-Giallo qui surfe avec les règles du genre, mais surtout qui sait jouer avec la notion de cinéma, de fiction et de réel;. Entre autres, la musique que compose Bruno (Andrea Occhipinti, désormais l'un des distributeurs italiens les plus en vue avec sa société Lucky Red!) se confond avec la partition crée par les frères De Angelis. Mais également l'une des protagonistes se faisant étrangler avec la pellicule du film qu'elle vient de réaliser. Et qui contient à la fois le climax de la fiction décrite et du réel dont elle s'inspire. Ingénieux!

Une fois repu de Thaïlande et d'Italie, direction les USA avec une production inénarrable, gigantesque vide nucléaire qui tua la carrière de quasiment tous ceux qui y participèrent  : MEGAFORCE. Produit par Raymond Chow pour la Golden Harvest, ce récit de SF mêlant humour et action post MAD MAX pouvait à la rigueur fonctionner sur le papier. Dans le futur, une organisation nommée « MegaForce » combat la tyrannie et le mal aux quatre coins du monde. Un gouvernement souhaite traiter avec elle afin de se débarrasser d'un renégat (Henry Silva) qui sème la destruction grâce à son armée de chars d'assaut. Las. Le mélange humour pouet-pouet et cascades que le réalisateur Hal Needham avait réussi à tenir dans L'EQUIPEE DU CANNONBALL ou encore SHERIFF FAIS MOI PEUR connait de méchants ratés. Faute à un script idiot mais surtout des choix visuels, de mise en scène et de direction d'acteurs effarants. Si quelques maquettes et certains mates ingénieux pour l'intérieur de leur base secrète passent encore,, le reste fais très mal. Les transparences des séquences de parachute et celle de la moto volante sont dignes de L'INCROYABLE HOMME PUMA d'Alberto de Martino, c'est dire de la pauvreté qualitative de l'ensemble. Le choix de Barry Bostwick ensuite : comme tue-carrière, on ne fait guère mieux. Il arbore un look détonnant de fitness tendance Pia Zadora (bandeau bleu ciel dans les cheveux compris), à la permanente décolorée très post Village People, et au dos cambré comme c'est pas permis, marchant comme après une partie de fist fucking avec Al Pacino. Une tenue disco moulante couleur lamé argent qui révèle sa religion à tous les plans. A se demander si quelqu'un s'est vraiment rendu compte que MEGAFORCE tenait plus du film crypto-gay que de la SF d'action espérée. Tout est ridicule et provoque régulièrement rires et écarquillent d'yeux : les postures équivoques, les plans révélant l'anatomie du héros… et le reste du casting est au diapason. Michael Beck, à peine réchappé du désastre financier XANADU, enchaîne avec un second rôle tout aussi gâté côté costumes. Il a révélé récemment que l'envol pris avec THE WARRIORS fut brisé par XANADU et MEGAFORCE. Sa carrière a en effet été désintégrée. Idem pour Persis Khambatta qui après STAR TREK et LES FAUCONS DE LA NUIT échoua ici. Avant de voir sa destinée foncer vers des apparitions TV comme dans RICK HUNTER et un curieux et pauvret PHOENIX THE WARRIOR Le pire étant Hal Needham. Malgré sa gloire passée avec son pote Burt Reynolds : il enterra son futur ici-même. Maintenant, au-delà du bien et du mal, MEGAFORCE possède un potentiel de second degré qui le sauve du néant. Il vaut mieux rire avec le film - enfin, quoique les dernières scènes démontrent qu'on ne peut QUE rire du film : positivement horrible, limite gâteux et aux effets spéciaux catastrophiques. Comment cela se fait-il que personne n'ait pu dire « STOP » à un moment donné? Ou alors assiste-t-on à une parodie volontaire qui ne dit pas son nom? Ce niveau de lecture expliquerait nombre de plans et jeu d'acteurs en plein dérapage industriel. Mais le doute saisit quant à ce que Raymond Chow puisse avoir un tel degré d'humour pour mettre autant d'argent sur la table. MEGAFORCE est donc involontairement drôle, mais vraiment pathétique, limite mauvais, totalement disco-power : un vrai plaisir coupable qui ne peut pas se négliger sur grand écran. Un budget important qui donne un bis aux relents de navet, c'est un peu comme PLUTO NASH, quoi. Et pour les plus pervers, sachez qu'il existe un DVD américain sorti chez Hen's Tooth et… un Blu Ray japonais du plus bel effet.

Morceau de choix pour le quatrième long métrage présenté : LES GRIFFES DE LA NUIT de Wes Craven. L'unique, l'original - pas l'épouvantable remake qu'il faut jeter aux oubliettes- qui revient en projection numérique, scannée en 4K (et projetée en 2K). Force des couleurs, beauté sublime des éclairages, jamais le travail de Jacques Haitkin ne fut aussi révélé au grand jour. Des détails insoupçonnés font surface… maintenant, fut-ce le but avéré lorsqu'il fut tourné en 35mm? Doute permis. Mais ne gâchons pas le plaisir - même si l'on pointera un remixage en 5.1 pas vraiment utile, avec des effets de dialogues parfois pauvrets par rapport à des ambiances sur-représentées. d'autant que le film a été à l'origine enregistré en mono. Quoiqu'il en soit, toujours aussi impressionnant, jouant sur les nerfs, ambigu, aux sous-entendus sexuels pervers (anthologique scène de la baignoire, maintes fois reprises). Doté d'un Freddy Krueger pas encore passé du côté de la punchline débile. Un effroi toujours aussi moderne, efficace, et déstabilisant après 30     ans d'âge.

Pour finir cette splendide odyssée à travers un cinéma régulièrement honni, un bidule atomique qui défie les lois de la critique et du bon sens : SUEDE, ENFER ET PARADIS, sorti en 1969 en France, connu aussi sous le titre FOLLES SUEDOISES. Au générique : une « mise en scène » de Luigi Scattini. Il a mis quoi en scène au juste? mystère. Mais même si la copie de ce pseudo-documentaire aux allures de Mondo intellectuel fut présenté en version cut, le moment de bonheur reste inégalable. D'aucuns jugent le cinéma de genre de par les images projetées comme étant choquante quant  leur échelle morale, il feraient mieux d'écouter le ramassis de conneries que Jean Topart aligne pendant tout le long du film. Une salve ahurissante qui fleuriraient bon l'extrême droite aujourd'hui : un concentré ahurissant de racisme, de misogynie, de sexisme, de lieux communs et d'homophobie tranquilles. Et un bel exemple de détournements d'images au profit d'une explication de texte visant à décrypter les images de la société suédoise de 1968. Une manipulation mensongère qui vit le film banni de Suède pendant un temps. En bon roublard transalpin ayant déjà sévi dans le Mondo sexy 5 ans auparavant, Luigi Scattini aurait quelque peu oublié d'indiquer aux acteurs et actrices le but avéré de son entreprise. Les suédoises y sont sexuellement libérées, un gros fantasme de l'époque, aussi présent via le succès de I AM CURIOUS : YELLOW. Mais on y apprend qu'elles sont tristes, que le viol par des bikers -plus ou moins légitimé ici- mène à l'homosexualité féminine, menant elle à des clubs de lesbiennes qui se déchirent les robes en dansant (!). Qu'il existe des centres pour enfants rebelles , dont une jeune fille qui « s'est donnée au postier à l'âge de dix ans » et dont un autre à tué sa mère à grands coups de pieds. Oui. C'est la Suède de 1968. Véridique, qu'on vous dit. Guère de film conducteur pour cette chose d'un autre âge, gigantesque éclat de rire et à voir au 69e degré. On se demande quand même, en entendant le ton sarcastique et distant de Jean Topart, si celui-ci n'était pas conscient du monceau de conneries articulées qu'il débitait. Tentant désespérément de faire comprendre au spectateur l'inanité de la traduction du texte de la version italienne. Maintenant, étant donné que le même ton fut employé par Edmund Purdom pour la version doublée aux USA, on a plus qu'un doute sur le second degré du père Topart. Une leçon de morale bien hypocrite révélant surtout le bigot qui sommeillait en l'auteur, voire en chacun des spectateurs de l'époque venu se rincer l'œil sous un alibi fallacieux. Involontairement drôle aujourd'hui mais moralement répugnant, comme bon nombre de Mondo dont il s'agissait du fond de commerce. La distance et le 69e degré restent donc de rigueur pour apprécier pleinement ces FOLLES SUEDOISES!

Pour conclure, des manifestations comme Le Jour du Bis sont salutaires et d'utilité publique. Une richesse de programmation à l'honneur de La Scala, puisqu'on ne retrouve ce concept quasiment nulle part ailleurs en France - hormis Paris, donc. La véritable fonction de transmission de la connaissance cinéphile, aussi large et diversifiée qu'elle puisse exister, en dehors des circuits officiels et des grands complexes. Il y a matière à transformer cet essai en véritable succès populaire pour la troisième édition. Un effort de communication (local ou plus) en amont de la part du service presse de la municipalité serait nettement préférable et indispensable afin d'assurer la visibilité et le succès futur. Donc aussi une programmation prête à l'avance. Le « savoir faire », est bien là, mais il existe aussi sa contrepartie : le « faire savoir », un peu absent sur cette seconde édition de la part des services en charge de publiciser cette manifestation. Le système D s'avère insuffisant.

Rendez-vous donc en 2015 pour célébrer, on l'espère fermement, le cinéma Bis sous toutes ses formes, et en province s'il vous plait. Entre éventuellement changer la date de projection pour maximiser la présence de spectateurs potentiels et consolider la base de fans, il faut sonner la mobilisation pour que perdurent ces événements de contre-culture hors du creuset parisien.

Remerciements au très sympathique personnel de La Scala et à Romain Christmann.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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