C'ETAIT LE JOUR DU BIS (15 JUIN 2013)

19 juin 2013 
C'ETAIT LE JOUR DU BIS (15 JUIN 2013)

Cela aurait pu s'appeler "2013 après la Chute de Thionville". Mais, en fait, il s'agissait plutôt de "2013 avant le changement de lieu du cinéma La Scala". En effet, le premier Jour du Bis se déroulait dans un cinéma qui va déménager d'ici à la fin de l'année pour de nouveaux locaux, avec projection 35mm ET numérique 2K. La Scala : une salle de 120 places qui se para des plus beaux atours pour un Marathon Bisseux du meilleur effet. Une organisation aux petits oignons, une programmation royale et surtout, surtout, de la pellicule 35mm. De la vraie, de la rayée, aux couleurs charnelles, aux rendus Technicolor magenta extraordinaires, à la version française mono vintage qui s'impose. Avec de vrais morceaux d'Alexandra Delli Colli dedans.

Retrouver les copies, les ayant-droits des distributeurs tient de la gageure aujourd'hui, avec l'avènement du tout numérique. Le parc de salles français pouvant projeter de l'argentique (du 35mm, on ose même plus parler de possibilité de 70mm !) rétréci comme une peau de chagrin. Il existe ainsi quelques poches de résistance qui permettent encore en 2013 de bénéficier de projections "comme il y a 30 ans", dans les conditions de restitution d'image et de son telles qu'elles ont été pensées par leurs auteurs. Enfin… presque. Car on se doute bien, quelque part, que Romano Vanderbes, l'immortel auteur de l'AMERIQUE EN FOLIE, voulait bien une projection en 1.37:1 (format original du film) et en 35mm ! En fait, il ne reste plus guère que des exceptions de cinémas municipaux pour avoir le courage et la confiance de programmer des œuvres "autres" pour cinéphiles en manque d'originalité. Il y a l'Art et Essai, mais il y aussi le film de genre, quelque peu orphelin depuis l'avènement de la Home Video, la disparition des salles de quartier et le tout-numérique. En Nostalgie et exploration du cinéma mondial, il y a forcément la place pour le Bis. Et du lourd, forcément.

Cette manifestation inattendue s'est déroulée dans une ambiance plus que festive. Entre une programmation haute en couleurs et les surprises ponctuant chaque entracte, on ne peut pas dire que l'organisateur Romain Christmann y soit allé de main morte. En fait, tout a été pensé pour rendre cette journée la plus agréable possible, laissant l'impression de ne pas avoir regardé cinq films d'affilée. On ne peut que louer ce type d'initiative, devenue trop rare en France. Ralliant les amateurs hardcore du film de genre aux candides émérites, ce Jour du Bis fédère les spectateurs des plus hébétés aux plus assidus.

Hardcore, il faut l'être pour entamer STARCRASH de Lewis "Luigi Cozzi" Coates. Une version française d'un autre âge, aux dialogues lumineux de décalage total. "On fonce à mort", comme dirait Stella Starr - la forcément sublime Caroline Munro, bientôt en chair et en os d'ailleurs au Bloody Week-end d'Audincourt fin juin 2013. Et le film "fonce à mort" dans de la stop motion science-fictionnelle la plus délirante qui soit. Etoiles scintillantes, explosions à tous les étages, un Joe Spinnell en méchant démarquage de Darth Vader qui ravirait les chtis nenfants tellement il fait peur. Un produit bien dans son époque, un hommage SF certes passé à la kitcherie orbitale depuis longtemps. Mais qui aujourd'hui oserait encore mettre David Hasselhoff, Christopher Plummer sur une même affiche, hein ? Et des créatures troglodytes ? Des tenues sexy-cuir moulantes pour ses héroïnes ? Nadia Cassini en reine des amazones… qui ? Et dire que cette chose a été produite par Patrick Wachsberger, le fondateur de Summit Entertainment (producteur des TWILIGHT !), mis en musique par John Barry (LE TROU NOIR, la quasi-totalité des James Bond avant PERMIS DE TUER) qui ne devait pas savoir ce dont pour quoi il avait signé. Une époque où les italiens arrivaient encore à damer le pion aux américains pour des projets plus fous les uns que les autres. STARCRASH a été pour mémoire mixé en Dolby Stereo, un des premiers titres ! Certes, le rythme est chaloupé, le jeu des acteurs approximatif, les effets quelque peu passés par rapport à ce qu'on voit aujourd'hui… mais on préfère largement la stop motion des deux Golems aux minables requins numériques des sous-productions pour le câble US. Viva Luigi !

La bonne idée de cette journée fut de rythmer les projections avec des entractes consacrés à la détente des spectateurs. Ici, direction un quizz faisant appel aux connaissances Bis les plus aigües. D'où vient le démon dans AMITYVILLE : THE EVIL ESCAPES ? Comment s'écrit le vrai nom de la créature dans ELMER LE REMUE MENINGES ? 25 questions cruciales que chaque fan de base se devait de connaitre. Aucun sans faute ceci dit, malgré le bonus en ligne de mire pour le gagnant.

Embrayage direct avec ATLANTIS INTERCEPTOR (connu aussi sous le titre de LES PREDATEURS DU FUTUR), extravagance 80's menée par "Roger Franklin", pseudo de Ruggero Deodato. Tourné à Miami et aux Philippines, cet ersatz post-madmaxerie matinée de SF, de mythologie, de film de jungle a gardé un charme fou. Cette production italienne donne dans le Bis haut de gamme. On sent un budget plus important que la moyenne mais surtout, un vrai métier qui donnait les lettres de noblesse au cinéma populaire italien. Un point de vue de mise en scène évident qui tente de pallier un scénario quelque peu nébuleux, il faut bien l'avouer. Mais du plaisir à voir le générique démarrer par le distributeur d'époque (Visa Films Distribution !) suffit déjà au bonheur et devient annonciateur de perle des années 80. Pour le cas de ces Prédateurs-là, le public a été servi. Des maquettes d'Al "Alvaro" Passeri faisant surgir une dôme des profondeurs de l'océan (Atlantis englouti). A noter qu'Al Passeri fut également crédité de quelques effets spéciaux sur TENTACULES ou encore des maquettes de 2072 LES MERCENAIRES DU FUTUR de Lucio Fulci. Pas la meilleure référence pour ce dernier. Deodato est un réalisateur protéiforme, auteur de légèretés pimpantes comme FAUT PAS JOUER AVEC LES VIERGES, du film catastrophe (réussi) SOS CONCORDE avec James Franciscus et Mimsy Farmer… mais également responsable émérite de CANNIBAL HOOCAUST ou de choses plus qualitativement discutables comme THE WASHING MACHINE. Un vrai touche à tout qui livre avec ATLANTIS INTERCEPTOR un rythme à toute épreuve, une pincée de gore, de spectaculaires cascades en tous genres, Ivan Rassimov en gentil, George Hilton en short, Michele Soavi qui n'a pas de chance, une version française garantie 100% bissarde avec une Gioia Scola (et son pseudo US Marie Fields) doublée par celle qui doubla… Mizar dans GOLDORAK ! Et on rebondit toujours dans le Bis, Mlle Scola ayant œuvré dans CONQUEST (Fulci, encore), le POUR TOUJOURS de Lamberto Bava et SOTTO IL VESTITO NIENTE 2. Bref, un concentré de ce qu'il y a de plus fun dans le bis transalpin.

Après la pause-dîner obligatoire afin de reprendre des forces déjà bien entamées, direction le Texas avec MASSACRE A LA TRONCONNEUSE 2 de Tobe Hooper. Respect total pour le générique de feu Cannon France qui distribuait le film à l'époque. Un film qui fleure bon le délire et qui en dérouta plus d'un à l'époque. Les sous-entendus sexuels, l'ironie mordante, le gore outrancier et les décors spectaculaires rendent le film beaucoup plus intéressant qu'au prime abord. Si l'on passe une bande originale crispante avec l'orgue Bontempi sur lequel Hooper s'acharne avec quatre notes, MASSACRE A LA TRONCONNEUSE 2 foisonne d'idées. Une prolongation des œuvres comme LE CROCODILE DE LA MORT pour son ambiance familiale poisseuse tendance vomi, mais également du MASSACRES DANS LE TRAIN FANTOME pour le décorum de fête foraine disloquée. Une cellule familiale tordue dans son principe, un thème cher à Hooper. Et des excès sanguinolents toutes voiles dehors, culminant sur un final hystérique dans des décors hallucinants ! Le dernier quart vaut son pesant de membres découpés avec une Caroline Williams hurlant à pleins poumons, Dennis Hopper déchainé en illuminé avec ses tronçonneuses de poche défouraillant tout sur son passage. Dommage que le doublage français ne fut que mixé en mono (le film fut originellement enregistré en Ultra Stéréo) mais incontestablement, un morceau de choix. Gageons que la saison 2 de La Scala offrira à voir LEATHERFACE : MASSACRE A LA TRONCONNEUSE 3, subrepticement sorti en France en juin 1991 par feu Sidéral Distribution, notamment au défunt Hollywood Boulevard de René Château

Nouvel intermède pour se remettre, musical cette fois-ci. Les connaissances audiophiles de l'assemblée, 220 entrées sur la journée, ont été mises à rude épreuve avec un blind-test sur des musiques de films. Forcément en rapport avec la soirée, il aura fallu être un expert en Guido et Maurizio de Angelis (APOCALYPSE DANS L'OCEAN ROUGE, 2019 APRES LA CHUTE DE NEW YORK. ..) mais aussi des Dickies pour KILLER KLOWNS FROM OUTER SPACE, du VAMPYROS LESBOS, et de Fabio Frizzi, des Goblin sans oublier l'inénarrable Bill Conti ayant pompé en règle John Williams pour LES MAITRES DE L'UNIVERS. Excellent choix de divertissement intergénérationnel et une formidable participation de l'audience.

Direction lobotomie générale sans anestéhésie avec ZOMBI HOLOCAUST, c'est à dire LA TERREUR DES ZOMBIES de Frank Martin. Tourné dans la foulée de L'ENFER DES ZOMBIES dans une période où les producteurs italiens avisés pompaient et repompaient comme des Shadocks furieux tout ce qui marchait au box office. Dans ce cas, c'est le papa d'Enzo G. Castellari (donc Marino Girolami) qui se met aux ordres du producteur et /scénariste Fabrizio de Angelis, incroyable auteur, entres autres, de KILLER CROCODILE et KILLER CROCODILE 2 mais aussi producteur joyeusement opportuniste. Obscur mélange de film de cannibales, de transplantation d'organe et de zombies, les écrans mondiaux ont eu droit à une péloche d'un autre monde. Comme si de Angelis avait mis un maximum de sujets à la mode dans un shaker géant pour en ressortir un improbable scénario bourré de trous béants, de racisme primaire le plus éhonté et de débordement sanguinolents du plus bel effet. Les incohérences monstrueuses s'enchaînent à un rythme frénétique : ah ! le lancer de mannequin qui perd son bras au moment de toucher le sol, avec le plan d'après le cadavre qui a retrouvé son bras au passage ! On repique au passage un plan de L'ENFER DES ZOMBIES pour l'arrivée de la jeep dans le village du Dr O'Brien/Obrero/Butcher, le nom change selon les pays. Et commence alors le festival de plans gore le plus extrême. Enfin presque. Car la copie sortie en 1981 en France est censurée. Ceci probablement du à sa sortie avant mai 1981 et l'assouplissement de la censure française suite au passage de la gauche au pouvoir avec l'élection de François Mitterand… il faut, pour comparer et retrouver les scènes manquantes, regarder les récentes éditions DVD voire le Blu Ray américain de chez Shriek Show, la meilleure copie intégrale. Le pompon, revient à Nico Fidenco qui emprunte sa composition de EMANUELLE ET LES DERNIERS CANNIBALES pour soit en reprendre des morceaux intégraux, soit le formater, le réorchestrer mais en tous cas, copier/coller sa musique. Forza Nico ! Mais qu'importe les rayures de la copie fatiguée qui a du écumer les cinémas de province. Au diable les plans flous hasardeux dans des scènes probablement tournées à la sauvette sans autorisation à New York. Nous avons été gratifiés d'une version française explosive de connerie, donnant à la blondissime Alexandra Delli Colli toute la mesure de son non-talent. Ah, Alexandra ! Ton absence de jeu ! Tes yeux morts ! Tes mimiques posées ! Ta propension à quitter tes vêtements même quand le scénario ne le demande pas ! Une actrice à la fascination spectaculaire, belle et inexpressive comme une huitre perlière. Qui es-tu, Alexandra ? Pourquoi avoir osé tourné avec Max Pecas, Montserrat Caballé et Michel Leeb ? Te souviens-tu de ON L'APPELLE CATASTROPHE ? Ton meilleur rôle, hormis la libertine dévoyée de L'EVENTREUR DE NEW YORK, c'est ici.

Et pour terminer une soirée bien avancée, arrosée de café à volonté (heureusement !), ce fut L'AMERIQUE EN FOLIE de Romano Vanderbes. Une petite contrariété, car L'AMERIQUE INTERDITE, du même réalisateur était prévue au programme. On mettra ça sur un quiproquo quant à la nature du film, des titres et du réalisateur… en effet, le titre original de L'AMERIQUE EN FOLIE est THIS IS AMERICA. Celui de L'AMERIQUE INTERDITE, THIS IS AMERICA 2. Ce sont des "mondo", genre de film initié par le célèbre MONDO CANE. Des documentaires pseudos-spectaculaires, entre pitrerie, mise en scène salace d'événements faussement vrais et complètement racoleurs. On est assez éloigné des débordements excessifs italiens genre LES DERNIERS CRIS DE LA SAVANE. Il s'agit de ce fait d'un exposé de l'Amérique en pleine libération sexuelle. Avec une nette emphase, via un incroyable commentaire monocorde tendance moraliste très Roger Gicquel, sur les pratiques mettant en avant tout ce qui se rattache à la sexualité. Entre les prisons mixtes (on y croit, on y croit), les salons du plaisir oral, les bordels en plein désert, la mode du satanisme, la rééducation sexuelle des américains conservateurs à la redécouverte de leur corps (on y croit toujours), le concours de beauté Miss USA nue de 1975, le fameux mormon polygame et l'incroyable fabrique de godemichés en tous genres - une approche clinique redoutable, pointant sur un incroyable objet masturbatoire qui a fasciné bon nombre d'yeux éberlués. Et avec un rapide plan d'un tout jeune Arnold Schwarzenegger en train de soulever de la fonte ! C'est gentiment dépassé, au rythme parfois languide, mais une belle introduction (sic) au genre mondo généralement beaucoup plus trash.

Vers trois heures du matin, après ce marathon complet et bien rempli les Warriors se sont séparés. En souhaitant vivement que la saison 2 des soirées et du Jour du Bis puisse se faire dans cette liberté de ton, d'éclectisme et de bonne humeur qui a caractérisé le succès rencontré aussi bien en termes d'entrées pour le cinéma, que de la gentillesse de chacun des membres du personnel, du professionnalisme rencontré et de la satisfaction des spectateurs repus d'images venues d'ailleurs. Car, il ne faut pas s'y tromper, on parle bien de culture et d'un énorme pan de l'histoire du cinéma que certains refusent de voir car ne cadrant pas avec leur idée d'images Art et Essai bien proprettes.
En ces temps agités de menace populiste conservatrice et d'avis de tempête sur la liberté d'expression cinématographique : Le Jour du Bis, c'est le bien.

Francis Barbier

Remerciements à Romain Christmann et à l'ensemble de l'équipe du cinéma LA SCALA de Thionville.

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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