CARLOS ENRIQUE TABOADA (2 / 2)

6 mars 2013 
CARLOS ENRIQUE TABOADA (2 / 2)

Le cinéma Fantastique mexicain reste un peu nébuleux et surtout totalement inconnu du grand public. Aujourd'hui, la plupart des cinéphiles "sérieux" auront du mal à vous citer plus que le nom de Guillermo del Toro et, avec un ton narquois, les métrages mettant en scène des catcheurs masqués dont l'emblématique Santo. Autant dire que les noms de Juan Lopez Moctezuma, Chano Urueta ou encore Fernando Mendez sont le plus souvent ignorés et ce même s'ils ont produit plusieurs œuvres du genre. Alors, bien sûr, la qualité générale du cinéma mexicain, lorsque celui-ci touche au Fantastique, n'est pas toujours égale. Il n'en reste pas moins qu'on peut y déceler quelques métrages surprenants tels que LES PROIES DU VAMPIRE, LA MANSION DE LA LOCURA ou encore le vénéneux SATANICO PANDEMONIUM. Du coup, l'opportunité de découvrir plusieurs films d'un cinéaste mexicain peu connu ne pouvait que titiller notre curiosité.

Nous avons déjà évoqué les deux films de Carlos Enrique Taboada projetés à la Cinémathèque Française le 15 février dernier : EL LIBRO DE PIEDRA et HASTA EL VIENTO TIENE MIEDO (voir news du 5 mars). Le lendemain, il était possible de voir sur grand écran deux autres longs-métrages du cinéaste. A commencer par MAS NEGRO QUE LA NOCHE, c'est à dire "Plus noir que la nuit", datant des années 70. Soyons honnête, ce film est relativement anecdotique. Il se rattache d'ailleurs assez clairement au cinéma d'épouvante ibérique de la même période. Le postulat de départ est simple, une vieille dame qui vient de rendre l'âme lègue un manoir à sa seule héritière en lui demandant de prendre soin de son chat. Mélange de cinéma gothique et contemporain pas forcément très convaincant, MAS NEGRO QUE LA NOCHE nous présente des personnages peu attachants, quelques jeunes femmes dont les occupations et motivations s'avèrent très superficielles. Mais regrouper des nanas, c'est l'occasion pour un cinéaste de les filmer durant quelques séquences de manière à flirter avec l'érotisme. Et plus particulièrement lors d'une séquence déjantée où les donzelles se mettent à essayer des vêtements abandonnés dans l'une des pièces de la vieille bicoque. Carlos Enrique Taboada n'en perd pas une miette et s'attarde sur les petites culottes des héroïnes qui finiraient par en oublier que dans le manoir on entend des murmures inexpliqués. Rien de très inquiétant à l'horizon, Carlos Enrique Taboada tente l'épouvante, cadre avec un certain soin les séquences inquiétantes réussissant même furtivement à créer une ambiance gothique dans des lieux résolument contemporains comme une bibliothèque municipale. Mais ces rares moments de tension sont malheureusement entourés de chassé-croisés amoureux sans substance, un peu comme dans certains films de Amando de Ossorio, la poésie des templiers en moins. Alors que le film se déroule, on en vient à se demander si c'est une sorte de Giallo. La vieille maison est-elle vraiment hantée ou bien les protagonistes sont-ils les victimes d'une machination liée à l'héritage, au manoir voire même au chat. Le matou, justement, ne serait-il pas, lui-même, une créature maléfique ? Pas mal de pistes qui ne seront pas utilisées, Carlos Enrique Taboada, réalisateur et scénariste, préfère la simplicité en offrant une histoire assez simpliste, malgré un rebondissement félin, et au déroulement bien trop mécanique pour faire illusion aujourd'hui. Reconnaissons tout de même que le cinéaste expérimente, c'est d'ailleurs très net et même intéressant dans VENENO PARA LAS HADAS. Sur MAS NEGRO QUE LA NOCHE, il va utiliser une technique peu banale de façon à proposer une vision inédite d'un flash-back en colorant l'image totalement en rouge sang. Il ne s'agit pas d'un simple filtre coloré, l'image prend alors un aspect très particulier mais qui, soyons franc, n'est pas spécialement probant dans un cadre narratif.

MAS NEGRO QUE LA NOCHE a manifestement eu raison de certains des spectateurs puisque la salle, pleine lors de la première séance, était un peu plus clairsemée pour le second film. Tant pis pour les moins courageux car VENENO PARA LAS HADAS, littéralement "Du poison pour les fées", était bien supérieur sans compter que le film était projeté dans une copie 35mm au contraire des autres films proposés dans un transfert vidéo limité. Forcément, l'image était beaucoup plus jolie et rendait certainement un peu plus justice au travail du cinéaste. Avec VENENO PARA LAS HADAS, nous ne sommes plus dans les années 70 puisque l'on fait un bond au milieu des années 80. Néanmoins, le métrage s'avère quelque peu intemporel. Il pourrait tout aussi bien se dérouler de nos jours, rien ne laisse réellement supposer une époque particulière. Cela est dû à l'aspect très champêtre du film mais aussi à un parti-pris très particulier. En effet, VENENO PARA LAS HADAS expose l'amitié de deux gamines et le cinéaste va se mettre à leur niveau. Ainsi, les adultes sont étrangement évacués de leur univers enfantin même s'ils sont très présents. Carlos Enrique Taboada s'ingénie à ne jamais montrer le visage des adultes, laissant les enfants entre eux. Jamais ? Pas exactement puisque le cinéaste dérogera à la règle à deux reprises de manière à provoquer un "choc". VENENO PARA LAS HADAS est donc une œuvre étonnante et atypique dans sa forme. Une bonne moitié du film captive même littéralement en raison de son aspect intrigant. L'une des deux gamines affirme être une sorcière et serait donc à même de jeter des sorts maléfiques. Tant que le doute subsiste, le film fonctionne à merveille, instaurant une relation perverse entre les deux fillettes. Et puisque l'on parle de perversité, on peut trouver douteux la manière dont Carlos Enrique Taboada filme les gamines en contre-plongée sur une échelle. Cela dit, il s'agit peut être d'une association due aux plans de petites culottes de MAS NEGRO QUE LA NOCHE visionné juste avant. VENENO PARA LAS HADAS pourrait donc être une belle réussite si le cinéaste ne laissait, au bout d'un moment, transparaître sa difficulté à atteindre son but. Le milieu du métrage devient un peu long, les errances des gamines ne s'avérant pas toujours utiles voire même gratuites. Par exemple, une barque qui se détache pourrait laisser les fillettes coincées sur un îlot. Mais cet incident est vite rattrapé et n'aura pas de conséquence sur l'histoire. La conclusion de VENENO PARA LAS HADAS remonte le niveau, apporte un épilogue extrêmement cruel et âpre. Carlos Enrique Taboada ne passe pas loin d'un très grand film mais le cinéaste semble, comme pour ses autres réalisations, partir d'une idée intéressante qu'il ne développe pas pleinement. Dans le cas de VENENO PARA LAS HADAS, on a clairement un début excellent mais le cinéaste meuble pour atteindre son épilogue.

VENENO PARA LAS HADAS mérite tout de même d'être découvert et pourrait même être le sérieux candidat d'un remake tant l'idée est ingénieuse. Des remakes, justement, les films de Carlos Enrique Taboada en ont déjà fait l'objet puisqu'il existe des versions récentes de EL LIBRO DE PIEDRA (2009) et HASTA EL VIENTO TIENE MIEDO (2007). Deux remakes qui tendent à prouver que si Carlos Enrique Taboada n'est pas le plus grand des réalisateurs mexicains, il a tout de même eu un véritable impact sur le cinéma de genre dans son pays d'origine !

Vous pouvez retrouver un compte-rendu de la première soirée consacrée à Carlos Enrique Taboada où deux autres films étaient projetés, rédigé par Laurent Savoyen, en cliquant sur l'image ci-dessous...

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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