Header Critique : FAMILY PORTRAITS : UNE TRILOGIE AMERICAINE

Critique du film et du DVD Zone 2
FAMILY PORTRAITS 2004

UNE TRILOGIE AMERICAINE 

En 1996, la première réalisation du jeune Douglas Buck créait la surprise dans maintes festivals en suscitant l'admiration de spectateurs pourtant fort peu enclins à apprécier ce type d'oeuvre. En effet, “CUTTING MOMENTS” s'apparente d'abord à un ovni cinématographique car ajoutant aux codes du film d'auteur un certain nombre d'images gores supervisées par Tom Savini. Pourvues d'une esthétique réaliste, ces dernières participèrent à la notoriété de ce qui allait constituer le premier terme d'une trilogie. Quelques mois plus tard, le cinéaste s'attelle à “HOME”, métrage qui en dépit d'une évidente sobriété, s'inscrit dans la lignée de son prédécesseur. Six années devront être nécessaires pour que “PROLOGUE” vienne achever cette éprouvante plongée au sein des univers cachés d'une middle class américaine apparemment bien mal au point.

Une femme (magnifiquement interprétée par Nica Ray) décide d'exister aux yeux de son époux (Gary Betsworth), quitte à se défigurer.

Un intégriste (Gary Betsworth) fait vivre sa famille dans la terreur pour finalement sombrer dans une folie meurtrière.

Violée et mutilée, une jeune femme (Sally Conway) quitte l'hôpital sans avoir pu livrer à la police la moindre information sur son bourreau. Réintégrer sa ville natale pourrait changer la donne.

Adjoints a posteriori, les métrages proposés dans FAMILY PORTRAITS prennent sens au regard d'un titre particulièrement significatif. Ce dernier renvoie en effet aux enjeux sociologiques dont se prévalent “CUTTING MOMENTS”, “HOME” et “PROLOGUE”. Présumée fédératrice, l'importance accordée aux valeurs familiales par l'imaginaire américain octroie au dit fantasme certaines vertus métaphoriques chargées de mettre en évidence la stabilité ou les diverses lacunes d'une société donnée. Les portraits offerts ici reflètent dès lors l'énorme malaise d'une contrée où la déshumanisation du citoyen s'érige en symptôme d'une maladie autrement plus grave. Souvent mystifié par le septième Art, l'american way of life compte également maintes détracteurs et ce depuis longtemps. Dépersonnalisation d'une middle class dans LE VILLAGE DES DAMNÉS, effritement du masque social suite à L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURE, émergence d'une violence sous-jacente (LA MAUVAISE GRAINE) et robotisation des FEMMES DE STEPFORD ; le verni des conventions se craquelle sous l'oeil aiguisé de l'artiste averti. Douglas Buck appartient sans nulle doute à cette dernière catégorie. Nourrie de même par l'influence prépondérante de quelques écrivains tels Sinclair Lewis, John Updike ou Raymond Carver ainsi que celle prégnante des films “estampillés” Sundance, l'oeuvre fait d'abord appel aux formules mises en place par ses illustres aînées. De fait, notre cinéaste s'intéresse aux souffrances occasionnées par l'absence de communication au sein du foyer.

Repas silencieux, regards de biais (les époux de “CUTTING MOMENTS” et “PROLOGUE”) ou carrément baissés (les enfants de “CUTTING MOMENTS” et “HOME”), activités individuelles (télévisions, peinture...) ; le comportement des protagonistes révèle l'immense solitude qui semble toucher l'américain moyen à notre époque. Toute à la fois émotionnelle et intellectuelle, cette cellule spirituelle se substitue à son équivalence familiale pour retirer aux êtres l'éventuelle aubaine de partager des sentiments et expériences par conséquent stériles ou annihilés. Comme évidés de leur essence, l'homme et la femme agissent mécaniquement, subordonnant les faits et réactions à ceux forgés par l'exercice répétitif du quotidien. Tel un métronome, le bruit régulier d'un couteau de cuisine sur une planche de travail (premières minutes de “CUTTING MOMENTS”) rappelle au spectateur la vacuité d'une existence soumise à la similitude d'instants toujours renouvelés. L'extrême banalité des intérieurs ou des banlieues environnantes consacre cette absubstantialité globale, le tout accentué par la neutralité des sons, couleurs et — présume-t-on — odeurs. La mise en scène ainsi que l'interprétation parviennent d'ailleurs à retranscrire le nihilisme des trois portraits en s'imposant une rigueur pareillement exempte d'émotion. À ce titre, Douglas Buck révèle au sein du commentaire audio offert par l'édition Zone 2 du film, que chaque séquence se trouve être la reproduction exacte du story-board tandis que les acteurs ont accordé un intérêt particulier à la répétition afin de rendre mécanique leurs prestations finales. Le métrage illustre le bien-fondé du parti pris scénaristique tant les images dérangent par leur sinistre, voire angoissante, placidité. Vu sous cet angle, le joug du quotidien admet comme seule échappatoire l'introduction de l'énergie vitale qui semble avoir quitté la middle class depuis longtemps.

Faute d'amour, de joie ou de plaisir, les personnages conçoivent cette résurrection comme inhérente à la souffrance corporelle. En effet, la douleur demeure l'unique fenêtre ouverte sur le monde, ultime media utilisé par la conscience pour renouer avec l'extérieur. Substitut des mots ou des caresses, le sang devient langage, celui qui pousse une femme délaissée à se frotter les lèvres avec un fil de fer pour exister aux yeux de son mari. Fort éprouvante, cette séquence d'anthologie (“CUTTING MOMENTS”) dont la violence insupportable en écoeura plus d'un, exploite toute la puissance évocatrice de l'image gore en vue d'interpeller, pour ne pas dire réveiller, le spectateur. Aussi le réalisme cru avec lequel la caméra observe la chair mortifiée réussit-il l'exploit de dégoûter les plus blasés. La déclaration d'amour raisonne comme un appel au secours, message d'ailleurs compris par l'époux. Instauré de la sorte, le dialogue se poursuit suivant une logique similaire au cours d'une scène érotique où l'acte sexuel trouvera matière à s'exprimer via un sadisme lequel montrant entre autres à voir un sein coupé, génère un indéniable malaise. Plus sobres sur ce point, “HOME” et “PROLOGUE” comprennent pourtant quelques auto-flagellations ou même mutilations (prothèses de ferrailles portées par l'héroine de “PROLOGUE”) prouvant à l'occasion l'immense impact de l'oeuvre de Cronenberg sur celle qui nous occupe présentement. Effective au sein du premier opus, la “renaissance sanglante” tourne rapidement court dans les chapitres suivants.

En ce cas, la survalorisation de l'enveloppe charnelle ne fait que renvoyer les êtres à l'inexistence d'une quelconque sphère spirituelle. Sous l'égide de Bergman (LE SILENCE, LES COMMUNIANTS), FAMILY PORTRAITS explique le désespoir de l'Homme contemporain par la disparition de Dieu. Ainsi privés de sens, la vie et plus précisément son terme condamnent notre conscience à affronter quotidiennement une réalité d'autant insupportable qu'intransitive. Ne pouvant plus s'agenouiller les “yeux au Ciel”, l'humain restreint sa perception de l'univers à l'horizontalité pesante de textes bibliques (“HOME”), à celles des rues dépeuplées ou d'immenses champs désolés. L'éternité mystique se rationalise en termes spatiaux afin de nous soumettre à l'infini d'une distance comprise comme vide. Prolongements urbains (banlieues), organiques (prothèses), symboliques (victime / bourreau), stylistiques (prédilection pour la profondeur de champ) et même diégétiques (ajout d'un deuxième puis troisième opus) ; FAMILY PORTRAITS assimile l'impossibilité de saisir le réel à son inadmissible éparpillement. Impossible à combler, cette vacuité fondamentale mine également sa source première pour mieux s'en écarter et donc s'imposer. À ce propos, le silence ne se contente pas de séparer les membres d'une même famille mais les torture de l'intérieur. Suggérés dans “CUTTING MOMENTS” et “HOME”, l'inceste et la pédophilie consument pères et enfants, suicides et meurtres accélérés par le silence de l'épouse. Celle-ci perdra la tête dans le troisième segment pour avoir tu une vérité qu'elle ne pouvait assumer. De même, c'est en osant revendiquer leur appétit sexuel que certaines femmes mariées réfrènent des pulsions lesquelles, à l'origine d'une frustration inévitable, génèrent la folie du partenaire. Servi par la stérilité de conventions sociales chargées de transformer toute communication (réelle) en d'innombrables tabous, le silence demeure la pire entrave à ce qui, suivant Douglas Buck, sauverait l'humanité : la sympathie. Avancée à maintes reprises, cette solution n'a jamais été mise en application... confirme avec tristesse FAMILY PORTRAITS.

Le DVD Zone 2 estampillé Wild Side admet des caractéristiques techniques tout juste correctes. Le format 1/66 ne permet pas de visionner le film en 16/9, chose pourtant rendue possible en recentrant l'image avec des bandes noires autour, d'ailleurs bien contrastée ici. En outre, le négatif utilisé par le télécinéma n'est pas d'une propreté exemplaire mais les origines particulières du film explique certainement cela. Sans autre alternative que la version originale sous-titrée français, le son mono demeure clair mais pas toujours synchrone.

En ce qui concerne l'interactivité, Wild Side contente ses acheteurs en proposant le commentaire audio du réalisateur. Ce dernier parvient à passionner un spectateur alors au fait des joies mais également difficultés que tout tournage implique. Caprices de la météo, multiplication des décors, problèmes financiers ; réaliser un film relèverait presque du challenge. Pour réussir ce pari, l'artiste devra d'abord s'entourer de collaborateurs tant efficaces que motivés tels Savini ou Théodora Katsoulogianakis (chargée du maquillage sur “CUTTING MOMENTS”). Les making of de “CUTTING MOMENTS” et “HOME” complètent idéalement cette promenade derrière l'écran. Si les tests de maquillage, séquences à la dolly ratées ou celles simplement gores souffrent d'une image trop sombre, le deuxième documentaire met en exergue l'immense travail effectué par les acteurs, preneurs de son et cameraman. Douglas Buck insiste d'ailleurs sur ce dernier point au sein d'un entretien qui nous replongera parallèlement dans la genèse de l'oeuvre, sa préproduction et le tournage même. Peu captivantes demeurent en revanche les scènes coupées. Quatre bandes-annonces de FAMILY PORTRAITS ainsi qu'un nombre équivalent chargé de promouvoir divers métrages en passe de sortir chez l'éditeur (WEEK-END, ANGEL, PERHAPS LOVE et DAFT PUNK'S ELECTROMA) s'ajoutent aux traditionnelles galeries photos (chaque métrage bénéficie de la sienne propre) et filmographie du réalisateur.

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
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L’intelligence du propos
Des images gores justifiées
Le jeu des comédiens
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L'édition vidéo
FAMILY PORTRAITS : A TRILOGY OF AMERICA DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h44
Image
1.66 (4/3)
Audio
English Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Commentaire audio du réalisateur
    • Making of de “Cutting Moments” (6mn43)
    • Making of de “Prologue” (16mn06)
    • Interview du réalisateur (12mn22)
    • Scènes coupées (1mn24)
    • Galeries photos Filmographie du réalisateur
      • Bandes-annonces
      • Family Portraits (4)
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