Header Critique : CRAZY LOVE (CINEMATHEQUE ROYALE)

Critique du film et du DVD Zone 0
CRAZY LOVE 1987

L'AMOUR EST UN CHIEN DE L'ENFER 

Harry Voss est un être en quête d'amour. D'une initiation sexuelle enfantine ratée à une adolescence acnéique qui le met au ban de toute romance, Harry noie désormais ses désillusions dans l'alcool. Par jeu, il dérobe avec l'aide d'un ami le cadavre d'une très belle jeune femme. L'occasion pour Harry de trouver le grand amour qui n'a cessé jusqu'alors de se dérober.

Nous vous avions déjà parlé du belge CRAZY LOVE, alias L'AMOUR EST UN CHIEN DE L'ENFER, par le biais du disque édité par Mondo Macabro. Nous revenons maintenant sur ce titre afin de nous pencher sur l'édition belge, plus complète vis-à-vis de l'auteur du film, un certain Dominique Deruddere. Passionné de cinéma depuis ses plus tendres années, Deruddere enchaîne les courts-métrages maisons avant d'attirer réellement l'attention avec KILLING JOKE, son court de fin d'étude qui remporte un prix au festival de Bruxelles en 1980. Un autre court plus tard (WODKA ORANGE en 1982), Deruddere adapte en 1985 la nouvelle de Bukowski «La Sirène Baiseuse de Venice, Californie» sur une vingtaine de minutes. Baptisé A FOGGY NIGHT, ce nouveau court-métrage doit rejoindre une anthologie d'adaptations de Bukowski destiné à former un film complet.

Le projet ne voit malheureusement pas le jour, mais des retours positifs encouragent l'extension de A FOGGY NIGHT en un format plus long. Deruddere complète alors deux ans plus tard CRAZY LOVE, un premier long-métrage en forme de film à sketches, et dont le dernier segment reprend intégralement A FOGGY NIGHT. Le film remporte un vif succès dans les festivals, avec notamment un prix de la mise en scène au festival de San Sebastian en 87. Repéré par Zoetrope, la société de production de Francis Ford Coppola, Deruddere dirige ensuite BANDINI avec Ornella Muti et Faye Dunaway. L'accueil est mitigé, mais la carrière de Deruddere est désormais lancée. On retiendra ainsi EVERYBODY FAMOUS (nominé à l'Oscar du meilleur film étranger en 2001), et POUR LE PLAISIR qui nous offre un duo de choc : Samuel Le Bihan et Lorant Deutch (Aïe !). Plus anecdotique, Deruddere sera acteur aux côtés de figures bien connues du genre : partenaire de Brad Dourif dans ISTANBUL du comparse Marc Didden (également co-scénariste de CRAZY LOVE), il donne également la réplique à Bruce Campbell dans LA PATINOIRE de Jean-Philippe Toussaint.

CRAZY LOVE s'articule donc autour de trois segments reprenant chacun une nuit capitale dans la vie d'un individu, avec comme fil conducteur la recherche d'un amour idéalisé. Deruddere délaisse d'ailleurs Bukowski dans les deux nouvelles parties du film pour se consacrer à ses propres souvenirs d'enfances. Seul l'élément de l'acné surdéveloppée de Harry adolescent est repris de «Ham On Rye», une nouvelle semi-autobiographique de l'auteur. Pour casser le ressenti du film à sketches, CRAZY LOVE intègre beaucoup de correspondances entre les segments, et initie des scènes qui se feront échos jusqu'au final. Les relations d'Harry avec les femmes se feront toujours sur des corps inertes (étant endormi, non consentant, et enfin sans vie). La jolie princesse dont Harry enfant tombe éperdument amoureux dans une salle de cinéma se trouve être la même comédienne que le cadavre dérobé. Un duo de personnages est toujours respecté sur les trois époques (Harry et un acolyte), et l'unité de temps d'une même nuit est presque à l'identique. Presque, car le segment sur l'enfance se permet de s'installer sur un espace temporel beaucoup plus étendu. Sans surprise, cette première partie possède son propre charme et constitue l'un des points forts de CRAZY LOVE.

Blasé par le cinéma flamand de son époque, Deruddere opère un véritable tour de force artistique avec ce film. CRAZY LOVE coupe les ponts avec «le cinéma de papa» et s'impose comme une grande réussite formelle. Inspiré par des écrits américains, le métrage ne cesse de se rapprocher du cinéma hollywoodien de la vieille époque sans rejeter pour autant ses propres racines. Doté d'un rythme lent, le film se met au diapason de son dernier segment, très onirique. Deruddere ne voit absolument pas matière à choquer ses spectateurs avec la scène d'amour nécrophile, et orchestre en lieu et place une séquence d'une grande pudeur et d'une infinie pureté. L'ambiance quasiment fantastique de cet ensemble achève de dresser le portrait d'Harry, âme de poète au coeur meurtri, dont les ambitions romantiques se seront toujours cassées sur une réalité en dissonance.

«La Sirène Baiseuse de Venice, Californie» sera à nouveau adaptée quelques mois plus tard avec LUNE FROIDE du français Patrick Bouchitey. Très étrangement, ce film reprend le concept de production atypique de CRAZY LOVE. Etant d'abord un court-métrage d'une vingtaine de minutes adaptant fidèlement la nouvelle de Bukowski, LUNE FROIDE se voit allongé en long-métrage trois ans plus tard. Le nouveau matériel se base sur un autre texte de l'auteur, tandis que le court-métrage est repris en intégralité en dernière partie du film. Une démarche en tout point similaire à CRAZY LOVE.

Quoi qu'il en soit, les directions totalement opposées des deux films (humour à froid et réalité crasse chez Bouchitey, introspection et dérive fantasmatique chez Deruddere) proposent finalement un ensemble complémentaire de représentation du travail de Bukowski au cinéma. Reste l'avis du maître, qui déclara que CRAZY LOVE fut son adaptation préférée, toutes oeuvres confondues.

Comme nous en faisions référence dans notre critique du disque édité par Mondo Macabro, cette édition belge de CRAZY LOVE est la plus complète. L'image, au format, reprend celle que nous avions déjà vue : d'une bonne qualité d'ensemble, on peut lui reprocher une compression un peu trop visible parfois. A noter que l'image du disque belge est mieux proportionnée que celle présente sur le disque de Mondo Macabro, qui était légèrement étirée verticalement. La piste sonore proposée est le mixage original néerlandais, très satisfaisant. Premier point fort de cette édition, la possibilité de sous-titres français sur le film mais aussi sur la plupart des suppléments.

DVD américain
DVD belge

Au niveau des bonus, le disque se fend d'une véritable optique éditoriale, en orientant son contenu sur la carrière de Dominique Deruddere. Nous est proposé les deux courts-métrages l'ayant fait remarquer pour la réalisation de A FOGGY NIGHT. KILLING JOKE est un film d'école, certes très maîtrisé pour son contexte et son époque, mais qui se doit d'être apprécié en conséquence sous peine de s'ennuyer quelque peu. WODKA ORANGE est beaucoup plus ambitieux. Il suit les mésaventures d'un jeune paumé bien décidé a offrir quelques derniers plaisirs à son vieux père, résident permanent à l'hôpital. Malheureusement, l'absence de sous-titres français ne nous permettra pas de profiter du film comme il se doit.

Pour les oeuvres du cinéaste postérieures à CRAZY LOVE, l'édition offre une archive de bandes-annonces (archive s'arrêtant à EVERYBODY FAMOUS). Plus dédié à CRAZY LOVE, un excellent documentaire (sous-titré) offre la parole à tous ses principaux intervenants (dont Bukowski) afin de dresser le portrait du film mais aussi de son auteur. Ce bonus était déjà présent dans une version légèrement plus courte sur le disque de Mondo Macabro, qui intégrait quant à lui une interview exclusive de Deruddere mais omettait les autres suppléments de cette édition belge.

Peu connu chez nous, CRAZY LOVE est un peu à LUNE FROIDE de Bouchitey ce que CITY ON FIRE de Ringo Lam est à RESERVOIR DOGS de Quentin Tarantino. Un film matrice, de qualité, injustement éclipsé tandis qu'il offre une vision personnelle et complémentaire de la nouvelle de Bukowski dont les deux films se partagent l'adaptation. Les sous-titres français présents sur cette très complète édition belge devraient pouvoir permettre aux curieux de découvrir confortablement cette très bonne surprise.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
48 ans
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287 critiques Film & Vidéo
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Un très bon film
Une édition très complète
On n'aime pas
Pas de sous-titre français sur WODKA ORANGE
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Autres critiques
L'édition vidéo
CRAZY LOVE DVD Zone 0 (Belgique)
Editeur
Cinematheque Royale
Support
DVD (Double couche)
Origine
Belgique (Zone 0)
Date de Sortie
Durée
1h26
Image
1.66 (16/9)
Audio
Dutch Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Anglais
  • Français
  • Supplements
    • Documentaire (36mn04)
      • Courts-métrages
      • Killing Joke (10mn13)
      • Wodka Orange (13mn45)
      • Bandes-annonces
      • Crazy Love
      • Bandini
      • Suite 16
      • Hombres Complicados
      • Everybody Famous
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