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Critique du film et du DVD Zone 2
NECRONOMICON 1993

 

L'écrivain Howard Philip Lovecraft se rend dans une bibliothèque gardée par de curieux moines afin de consulter le Necronomicon, le fameux grimoire renfermant les secrets de l'occulte et de l'au-delà. La lecture de certaines pages lui inspire trois histoires : un homme fou de chagrin ressuscite sa défunte épouse grâce aux formules du Necronomicon, une jeune fille tombe amoureuse d'un docteur prolongeant son existence ad vitam eternam, et une femme policier tombe dans un enfer organique alors qu'elle poursuivait un malfrat.

Daté de 1994, NECRONOMICON est un film à sketches dans la grande tradition des anthologies fantastiques à la CREEPSHOW de Georges Romero ou autre DARKSIDE, LES CONTES DE LA NUIT NOIRE de John Harrison (le compositeur de CREEPSHOW justement). Une tradition qui ne date pas pour autant des années 80 puisqu'on se souviendra des anthologies de la Amicus ou bien encore de HISTOIRES EXTRAORDINAIRES et AU COEUR DE LA NUIT où déjà plusieurs cinéastes se partageaient la réalisation. NECRONOMICON est composé de trois histoires différentes, avec en bonus un quatrième récit faisant le lien entre les différents univers. L'inégalité étant le défaut premier des films à sketches, NECRONOMICON prend le pari courageux de ne pas chercher à unifier à tout prix son ensemble mais encourage au contraire ses dissonances. Cela se traduit par la cohabitation de trois réalisateurs à la tête du métrage, trois réalisateurs de cultures et nationalités différentes qui plus est, et à l'expérience non similaire.

En bons producteurs, Samuel Hadida et Brian Yuzna ont l'initiative de profiter du format court implicitement lié aux films segmentés pour tester de nouveaux réalisateurs. Monteur d'origine devenu un journaliste atypique en créant la revue Starfix dans les années 80, Christophe Gans poursuit l'ambition de passer à la réalisation d'un long-métrage. Il signera la première histoire de NECRONOMICON en guise de galop d'essai pour son adaptation cinéma de la bande dessinée japonaise CRYING FREEMAN qu'il prépare déjà avec Hadida. Le deuxième sketch est mis en scène par le japonais Shu Kaneko (la nouvelle série des GAMERA, mais aussi CROSS FIRE et AZUMI 2), en mise en jambe d'une éventuelle carrière aux Etats-Unis. Enfin, Brian Yuzna complète avec sa solide expérience la réalisation du film avec la dernière histoire ainsi que le récit qui sert de fil conducteur.

Le concept du film est bien évidemment d'adapter les courtes nouvelles d'Howard P. Lovecraft qui n'auraient jamais pu donner matière à des formats longs. Le Necronomicon, l'ouvrage occulte écrit par l'arabe fou Abdul Alhazred (inventé par Lovecraft) et popularisé au cinéma par la série des EVIL DEAD (qui le mettait déjà en scène en guise d'hommage), sert de fil conducteur puisqu'il est censé inspirer à Lovecraft lui-même (interprété par Jeffrey «REANIMATOR» Combs, maquillé pour l'occasion) ses propres histoires horrifiques. Une mécanique en apparence dévouée à l'auteur, mais qui va se trouver finalement phagocytée par les adaptations même des nouvelles, souvent bien éloignées de la source originelle.

"The Drowned" de Christophe Gans est censé être une adaptation de The Rats In The Wall (Les Rats Dans Les Murs), sauf que le metteur en scène, également co-scénariste, prend beaucoup de distance avec le texte afin d'y apposer sa propre patte. Peu convaincu par le potentiel cinématographique de l'histoire originale, Gans fait intervenir d'autres fragments de l'oeuvre de Lovecraft, comme la divinité Cthulhu. Passionné par les personnages féminins, Christophe Gans doit les inventer dans la mesure où les textes de l'auteur sont souvent très masculins. S'ajoute ensuite les références cinématographiques que le réalisateur souhaite citer, et qui viennent définitivement perturber la mécanique d'adaptation : le classicisme des films des années 60, la rigueur plastique des films japonais tel que KWAIDAN de Masaki Kobayashi, le modèle de la femme Hitchcockienne, l'atmosphère des Corman gothiques, ainsi que les habituels clins d'oeil à Mario Bava. Le cocktail transforme illico "The Drowned" plus en une adaptation d'une nouvelle d'Edgar Alan Poe, ce qui n'est pas si aberrant finalement dans la mesure où Poe et Lovecraft se sont inspirés réciproquement.

Passé les libertés avec l'oeuvre de l'écrivain, "The Drowned" est un segment très cohérent et visuellement ambitieux. En héritant d'un vieil hôtel perché sur une falaise, Edward De La Poer (Bruce Payne) découvre que son oncle mort suicidé (Richard Lynch) avait ressuscité sa femme et son fils grâce au Necronomicon. Edward décide de renouveler le rituel pour ramener à la vie son épouse. Cette dernière revient d'entre les morts, mais pas de la manière tant espérée. Si cette trame n'est pas révolutionnaire, elle se montre parfaitement haletante grâce à une ambiance réussie. Le gothique de Poe et la moiteur malsaine de l'univers de Lovecraft se mélangent à merveille, les scènes les plus marquantes étant bien entendu l'apparition des étranges revenants où érotisme et répugnance s'alterne avec jubilation.

"The Drowned" est sans aucun doute le segment le plus réussi de NECRONOMICON. Sa future carrière de metteur en scène étant en jeu mais surtout par passion, Gans redouble d'effort sur cette histoire. Très travaillé, le film n'en devient que plus estimable et dépasse le cadre de la série B auquel il appartient. Bien entendu, les limites budgétaires très contraignantes se font d'autant ressentir dans cette valeureuse ambition de montrer son savoir faire de mise en scène. Fort heureusement, le parti pris adopté de faire passer "The Drowned" pour un film des années 60 gomme les aspérités et ne fait pas faillir l'ambiance. Le pari est remporté haut la main.

Deuxième histoire, "The Cold" de Shu Kaneko est la transposition de Cool Air (L'Air Frais). Beaucoup plus fidèle à Lovecraft, le récit est un long flashback initié par l'enquête d'un journaliste (Dennis Christopher) sur une série de meurtres perpétrée sur une vingtaine d'années. Cette enquête met à jour la relation d'une jeune femme nommée Emily (Bess Meyer) et du docteur Madden (David Warner), un homme qui prolonge sa vie en extrayant un fluide du corps de ses victimes. Beaucoup plus classique et neutre dans son esthétisme et sa narration, "The Cold" passe pour le parent pauvre de NECRONOMICON. Ceci s'explique par la défection de Shu Kaneko qui, entre barrière culturelle et linguistique, n'a pas su s'adapter aux contingences d'une production américaine. Ce dernier abandonna son sketch en route, une fois les prises de vue principales achevées, et laissa sa finalisation à une équipe déjà bien occupée par ses propres segments.

Certes, "The Cold" est l'histoire la moins marquante de NECRONOMICON. Elle n'en demeure pas moins de bonne tenue et agréable à suivre. La mise en scène, bien que passe partout, est élégante et l'interprétation de bon niveau grâce à ses comédiens confirmés. Articulé autour d'un twist sympathique et d'un festival crémeux d'effets spéciaux, "The Cold" serait un excellent épisode de série télévisée. Incorporé dans un film de cinéma aux exigences artistiques majorées, il paraît moins spectaculaire, mais est bien loin de son exécrable réputation.

Dernier sketch, "Whispers" est signé par Brian Yuzna. Réalisateur confirmé, habitué aux débordements trash (on n'oubliera jamais l'orgie organique de SOCIETY), ce dernier va profiter du format court pour balayer toute raison et livrer un segment incroyablement gore et révulsant. Là encore très librement adaptée de The Whisperer In Darkness (Celui Qui Chuchotait Dans Les Ténèbres), l'histoire met en scène Sarah (Signy Coleman), une femme policier entraînée par un étrange couple de retraités dans un horrible charnier, soit les entrailles d'une entité extra-terrestre se nourrissant du corps et de l'âme des humains.

Si Yuzna peut se montrer trop académique dans la réalisation de certains de ses films, autant l'avouer tout de suite, ce n'est nullement le cas de "Whispers". Ce segment est un véritable cauchemar éveillé, où le malaise est constant. Jouant d'abord sur l'ambivalence avec les étranges comportements du vieux couple que rencontre Sarah, le film bascule dans sa seconde moitié dans le gore le plus complet. C'est finalement ce dernier point qui retient l'attention. De mémoire, on aura rarement vu un film où le dégueulasse est aussi submergeant. De ce fait, l'élément trash éclipse quelque peu les autres caractéristiques du film, qu'elles soient positives (excellente interprétation de Signy Coleman, une narration très sadique dans ses rebondissements) ou négatives (les effets spéciaux parfois franchement ratés, l'étonnant discours sur l'avortement). Une curieuse surprise qui laisse pantois, dans le bon sens du terme cependant.

NECRONOMICON possède une quatrième histoire, intitulée "The Library", qui sert de lien entre les trois sketches principaux. Egalement réalisée par Brian Yuzna, cette dernière se veut plus qu'une transition entre les segments en se permettant une petite intrigue. Malheureusement, c'est de loin ce que le film a de moins convaincant à proposer. Lovecraft en personne est opposé à des moines incongrus, dans un final particulièrement décontenançant notamment à cause d'effets spéciaux optiques effroyables. Dommage que le film s'achève donc sur cette dernière note, alors qu'il nous a donné à découvrir trois histoires certes inégales mais de qualité.

On connaît Laurent Bouzereau et ses éditions spéciales des films de Steven Spielberg, on se souvient de Van Ling et ses écrasants Laserdiscs et DVDs dédiés aux films de James Cameron, il faudra maintenant compter sur Sébastien Prangère pour perpétuer le travail de Christophe Gans sur support numérique. Monteur de profession, Prangère a travaillé sur la collection HK Vidéo dirigée par Gans en montant bandes-annonces et documentaires. Au cinéma, il termine le montage du PACTE DES LOUPS (toujours de Gans) commencé par David Wu (le monteur attitré de John Woo époque THE KILLER), puis travaille sur BROCELIANDE de Doug Headline ou encore SAINT ANGE de Pascal Laugier. Producteur et réalisateur de DVDs, on lui doit le copieux disque dédié à CRYING FREEMAN, tandis qu'il s'occupe avec Pascal Laugier du passionnant Making Of du PACTE DES LOUPS sur l'édition complète de ce dernier.

Grâce à la relation professionnelle entre Gans et Prangère, NECRONOMICON se voit ainsi honorer d'une édition de très grande qualité, de celle qui justifie plus l'achat que le film lui-même. Techniquement, le film nous est présenté dans une version optimale, que ce soit au niveau de l'image que des pistes sonores en 5.1. Autant dire que la retranscription audio/vidéo écrase complètement un antédiluvien disque sorti au Brésil il y a plusieurs années. Mais, c'est bien entendu dans la longue liste de bonus que l'édition se montre incontournable. On commence par un commentaire audio réunissant Christophe Gans et Brian Yuzna. Dans une convivialité qui n'exclue pas le sérieux, les deux hommes reviennent avec passion et sans langue de bois sur le film. Le commentaire se montre vite très prenant car les interventions ne faiblissent jamais. Le résultat d'une méthode d'enregistrement atypique, Gans et Yuzna ayant la possibilité de mettre le film en pause pour continuer à parler. L'excès de paroles est ensuite trié et remonté sur l'image pour un meilleur rythme de l'ensemble.

DVD français
DVD brésilien

On passe au second disque de suppléments. La pièce maîtresse est un documentaire de plus d'une heure intitulée «L'enfer du B». Les principaux intervenants de NECRONOMICON reviennent sur la production extrêmement houleuse du film, où le manque de temps et d'argent ont provoqué des situations surréalistes. Les nombreuses mésaventures rencontrées sur le film sont racontées avec beaucoup d'humour, des effets spéciaux totalement ratés qu'il a fallu refaire en urgence (un coup dur pour une petite production) à la gestion humaine parfois très difficile sur un projet qui pousse tout le monde à bout. Au delà du récit du chantier de NECRONOMICON, "L'Enfer du B" dresse un portrait à la fois drôle et effroyable du travail lié aux films à petits budgets, bien loin du faux glamour du cinéma dit plus traditionnel. Un documentaire jubilatoire et indispensable à qui s'intéresse aux artisans fous de la série B.

Pour accompagner "L'Enfer du B", d'autres documentaires spécialement conçu pour l'édition vont s'arrêter sur des points un peu plus ciblés. "La Musique" donne la parole à Joseph Lo Duca, compositeur découvert grâce à la série des EVIL DEAD, et qui en toute logique s'occupe de la partition du sketch de Gans ainsi que du segment liant dans la librairie. Avec une grande simplicité, l'homme revient sur son travail et ses inspirations, n'hésitant pas à rejouer pour nous certains thèmes du film sur son clavier. Un document d'autant plus intéressant que les compositeurs n'ont pas toujours la parole qu'ils méritent dans les éditions DVDs. "La Direction Artistique" nous présente en détail le travail d'Anthony Tremblay (déjà responsable du même poste sur EVIL DEAD 3), et ses astuces pour livrer des décors et accessoires de qualité malgré un faible budget. Enfin, "La Production" propose une rencontre entre Brian Yuzna, le producteur Samuel Hadida et le producteur exécutif Taka Ichise. Plus improvisé par rapport aux autres documentaires, ce module se focalise sur la gestion entre autre financière du film. L'occasion d'aborder le souhait d'un NECRONOMICON 2, totalement envisageable compte tenu du concept.

Le disque donne à voir également trois courtes Featurettes d'époque. L'une est américaine et se concentre sur le personnage de Brian Yuzna. Les deux autres sont d'anciens reportages du journal du cinéma de la chaîne Canal +, et se focalisent sur le travail de Christophe Gans (d'autant plus que le rédacteur en chef de cette émission était alors un ancien rédacteur de Starfix). Enfin, le disque propose la bande-annonce du film, la bande originale de Joseph Lo Duca en intégralité (cette dernière n'ayant jamais été commercialisée), une galerie de 700 story-boards, de 200 photos de production ainsi que d'illustrations. Ajouté à cela deux bonus cachés (le story-board d'une scène coupée, ainsi que SILVER SLIME, le court-métrage d'école réalisé par un jeune Christophe Gans en plein trip Argento / Mario Bava), ainsi qu'un livret reproduisant une interview d'époque de Gans et Yuzna parue dans le magazine Mad Movies, et vous obtenez l'une des éditions les plus complètes et qualitatives du marché français.

En se réclamant directement de Lovecraft, pour finalement ne pas véritablement respecter son univers ou ses écrits, NECRONOMICON risque de froisser les admirateurs de l'auteur. Ne leur en déplaise, le film est une agréable réussite, fondamentalement inégale de par sa nature de film à sketches, au rendu parfois limité mais à l'ambition réelle. Une vraie série B, où règne encore l'amour du genre et les effets spéciaux en latex. L'édition du film est un modèle, tant dans sa rigueur technique que dans son ambition éditoriale.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
48 ans
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287 critiques Film & Vidéo
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Un bon film à sketches
Une édition dvd qui mérite à elle seule le détour
On n'aime pas
Parfois limité, notamment dans ses effets spéciaux
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L'édition vidéo
NECRONOMICON DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
2 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h33
Image
1.85 (16/9)
Audio
English Dolby Digital 5.1
Francais Dolby Digital 5.1
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Commentaire audio de Christophe Gans et Brian Yuzna
    • L’Enfer du B (58mn)
    • La Musique (21mn10)
    • La Direction Artistique (14mn25)
    • La Production (13mn01)
    • Featurette (9mn38)
    • Le Tournage (4mn31)
    • Les Effets Spéciaux (3mn01)
    • Bande Annonce
      • Galerie de Storyboards pour "The Drowned"
      • Hotel of the Drowned
      • La Tempête
      • Résurrection
      • Climax
      • Climax Alternatif (l’attaque des zombies)
    • Galerie de photos et illustrations de production
    • Musique de Joseph Lo Duca
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