Bradford 2010 : Widescreen Week-end

2. Partie 1

L'ouverture fut consacrée à la diffusion du film THIS IS CINERAMA. Près de 60 ans après sa première projection, le film garde un impact émotionnel et technique des plus saisissants. Ni film narratif, ni travelogue, THIS IS CINERAMA a servi de tremplin technique afin de montrer ce que l'œil humain n'avait jamais pu voir. La technologie utilisée : Trois projecteurs diffusant trois images différentes qui se forment en une seule sur un écran incurvé à 180 degrés. Ceci correspondant peu ou prou au champ de vision de l'œil humain. Filmé et supervisé aux quatre coins du monde par Merian C. Cooper – l'un des co-réalisateurs de KING KONG -, Michael Todd – futur créateur du système TODD-AO – ou encore Fred Rickey, le spectateur assiste pendant deux heures (avec intermission) à un déluge d'images spectaculaires. Cela début, lors de la première scène, par une caméra vissées à l'avant d'un rollercoaster (montagnes russes). Doté d'un son stéréophonique six pistes, une nouveauté en 1952, le spectateur est littéralement projeté dans l'action et vit le "ride". Il n'y avait qu'à regarder dans la salle et voir chaque spectateur suivre l'action et pencher de côté à chaque fois que la caméra épousait la courbe du manège ! Après, on peut suivre une caméra aérienne, survolant les Chutes du Niagara comme jamais. Certes, celles-ci ont été vues dans le NIAGARA d'Henry Hathaway, ou récemment dans un documentaire tourné en IMAX… mais jamais l'impact du plan d'ouverture de la séquence n'aura été aussi fort. Doté d'un aspect d'image de 2.59 :1, THIS IS CINERAMA a lancé ce qui devaient être par la suite les procédés comme le CinemaScope – et ses dérivés-, tout comme les différents systèmes de 70mm connus ou tout procédé anamorphique. Sans le Cinerama, le cinéma en écran large n'aurait jamais vu le jour. Il est clair que le film même souffre de comparaison avec l'ensemble des documentaires et autres films sur le même modèle : daté, naïf et parfois hors de propos, il n'en reste pas moins une pierre angulaire. Mais, surtout, le film contient des scènes d'actions (en hors bord, ski nautique aux Cypress Gardens de Floride) qui sont parfois à couper le souffle ainsi que des plans aériens dans le Grand Canyon d'une audacité rarement atteinte.

Nombre de nouveaux systèmes de projection à écran large commencèrent alors à fleurir. Le festival donna à voir le premier procédé anamorphique à avoir été projeté – même avant LA TUNIQUE, premier film projeté en CinemaScope. Un documentaire nommé ALOHA NUI sur l'ile d'Hawaïi, tourné en Vistarama, qui deviendra le "Warner SuperScope" après l'achat par Jack Warner du système (puis enfin le SuperScope après un procès intenté par CinemaScope). Désarmant de naïveté, ce documentaire restera en mémoire pour sa valeur purement historique.

Egalement, un procédé nommé CineMiracle, succédané du Cinerama, promettait encore plus. 7 pistes audio stéréophoniques, un système de projection sur 3 projecteurs diffusant les trois images par des miroirs réfléchissants sur un écran incurvé spécifique (présent au Pictureville) constitué de bandelettes verticales d'environ 5 cm de large afin d'atténuer les effets négatifs de la lumière. Soit 3 copies en 35mm, avec 6 perforations par image diffusées en même temps et donc parfaitement synchronisées afin de donner une image complète de format 2.59 :1. Hormis bien sûr, à l'instar de THIS IS CINERAMA, la séquence de présentation qui fut tournée, quant à elle, dans un format standard jusque là en 1.37 :1. L'année dernière avait été présenté le documentaire/film WINDJAMMER : THE VOYAGE OF THE CHRISTIAN RADICH réalisé par Louis de Rochemont III. Il fut Longtemps invisible bien que le métrage a tout de même fait partie des meilleures recettes mondiales en 1958. Un travail de remasterisation à partir d'une copie 35mm retrouvée en Suède a été effectuée par David Strohmaier, avec pour but une sortie en DVD et en Blu Ray dans le courant de l'année 2011. La version digitale a donc été présentée cette année, via le système SmileBox de simulation de projection en écran incurvé comme ce fut le cas, par exemple, sur le Blu-ray de LA CONQUETE DE L'OUEST. Malheureusement, la copie retrouvée n'étant pas d'une qualité optimale, le résultat fut décevant du point de vue de la qualité (couleurs passées, contrastes diminués) mais la traversée effectuée depuis Oslo à travers l'océan Atlantique et l'odyssée de la quarantaine de marins norvégiens sur le vaisseau-école Christian Radich garde une certaine fraîcheur. Deux heures et vingt deux minutes de traversée, découvertes d'endroits "exotiques" (pour 1958, s'entend), à mi-chemin entre le documentaire et la narration romancée, le film se focalisant sur le destin de quelques uns des marins, dont l'un des cadets qui est une jeune pianiste virtuose. Emprunt là aussi d'une certaine naïveté due à l'époque, le film donne à découvrir de spectaculaires plans aériens du navire, le dotant d'une sensation réellement immersive ; De somptueux plans sous-marins complètent le tableau, dont un particulièrement complexe et magnifique : la caméra rivée à l'avant d'un sous-marin se préparant à émerger des flots afin de découvrir le Christian Radich dans toute sa splendeur. Sur grand écran, l'expérience demeure inégalable. A noter que le vaisseau est actuellement toujours en fonction et a conservé son aspect mythique intact.

WINDJAMMER ayant rencontré un énorme succès, il fut de ce fait copié. Et survint en 1962 ce qui est considéré comme la réponse allemande… A savoir FLYING CLIPPER (ou MEDITERRANEAN HOLIDAY lors de sa sortie américaine en 1964), travelogue suivant un vaisseau-école suédois qui fut tourné dans un nouveau procédé allemand en 70mm : le MCS-70. Dans le cadre de la rétrospective 70mm en 2009, le Festival de Berlin commanda un nouveau tirage 70mm de FLYING CLIPPER, film qui fut ainsi présenté lors de la dernière Berlinale. Le festival de Bradford projeta ainsi la copie restaurée dans son format d'origine (quoiqu'un peu sombre, il faut le reconnaître) et en version allemande non sous-titrée. Qu'importe la langue, le métrage donna à voir là aussi quelques plans sublimes et d'une précision remarquable. Ceci dit, FLYING CLIPPER – initialement intitulé WINDJAMMER 2 avant un procès intenté par Cinemiracle - demeure inférieur en tous points à WINDJAMMER. Insistant surtout sur le dépliant touristique dû à la visite des différents ports abordés, il oublie les personnages/marins afin de se concentrer sur les vues et curiosités. Toutefois, on peut noter une ascension de la pyramide de Kheops assez spectaculaire, mais les deux heures et trente huit minuties du métrage, bien que passionnantes à découvrir, ne sont pas aussi diversifiées et audacieuses que celles de WINDJAMMER. Il reste cependant intéressant de constater que ces films ont réussi à capturer une certaine essence d'un temps perdu. La plupart des endroits filmés ont ainsi dramatiquement changé depuis plus de cinquante ans et ce FLYING CLIPPER fonctionne comme une machine à remonter le temps. Présentant des personnages, la princesse Grace de Monaco remettant le Grand Prix Automobile de Monaco à Graham Hill ou encore la Begum Aga Khan en plein désert égyptien, venant se recueillir dans le mausolée érigé en l'honneur de son mari. Ou des endroits comme Port Saïd ou encore Dubrovnik, qui ont été depuis théâtre d'affrontements en tous genres et dont la spécificité s'est effacée avec le temps… Tant de morceaux d'histoire d'hier au plus haut de la culture populaire, aujourd'hui largement oubliés du commun des mortels et à fortiori des cinéphiles.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier