
Lors de sa sortie dans les années 20 en France, HAXAN a pour nom LA SORCELLERIE A TRAVERS LES ÂGES. Il n’y a pas de tromperie sur la marchandise, le film de Benjamin Christensen retrace l’histoire de la sorcellerie en s’intéressant particulièrement au Moyen Age.
A l’époque de sa sortie, HAXAN est le film muet le plus cher produit en Scandinavie. Cela surprend en raison de son sujet et de ce qu’il représente, surtout que la censure existe quasiment depuis les débuts du cinéma. Les maisons de production ne sont donc pas sans savoir que le contenu d’un film peut les exposer à des coupes ou à des interdictions pures et simples en fonction des pays. Et HAXAN sera justement distribué à l’époque en version raccourcie. Dans certaines régions allemandes, le film est même interdit alors que la Grande Bretagne le bannit tout bonnement durant plusieurs années avant d’accepter d’en diffuser une version censurée. Dans les autres pays, dont la France, le film est jugé obscène, immoral, violent, contraire aux bonnes mœurs, pervers, blasphématoire et anticlérical !

Mais revenons en arrière… Le parcours de Benjamin Christensen est assez surprenant. Il étudie la médecine au Danemark puis s’oriente vers le chant lyrique et le théâtre. Il est acteur d’opéra pendant plusieurs années avant d’œuvrer dans le commerce des spiritueux. Cette seconde reconversion ne dure qu’une poignée d’années et cette carrière s’arrête lorsqu’il décide de se lancer dans le cinéma en 1910. Tout d’abord acteur, il passe à la réalisation avec le thriller d’espionnage DET HEMMELIGHEDSFULDE X en 1914. C’est un succès immédiat qui lui donne l’occasion de réaliser un deuxième film. Bien que certains critiques de l’époque n’hésitent pas à dire qu’il s’agit d’un réalisateur comparable à un Fritz Lang, il a un peu de mal à monter d’autres projets. En 1916, la concurrence des cinémas suédois, allemand et américain provoque l’effondrement de studios au Danemark. Le cinéaste décide alors de retourner vers le commerce de vin et de champagne, activité qu’il stoppera de nouveau car l’envie est trop forte de retourner au cinéma. Pour cela, il lui faut proposer une œuvre marquante. On trouve bien dans sa filmographie un film inachevé intitulé HELGENINDERNE. Le cinéaste l’aurait planifié pendant la période où il travaillait pour la maison de production suédoise Svensk Filmindustri. En effet, Benjamin Christensen a réussi à convaincre l’une des sociétés de production les plus puissantes d’Europe de mettre en chantier HAXAN. C’est son fameux projet marquant ! Le cinéaste vend son idée comme une œuvre pédagogique à propos de l’histoire de la sorcellerie et des dérives de l’Inquisition. Au moment de l’après-guerre, le goût de l’étrange et de l’occultisme a les faveurs du public et ce sujet semble être un bon filon commercial. De plus, le cinéaste promet une œuvre particulière n’ayant rien à voir avec ce qui a été vu auparavant au cinéma !

Et pour cause, HAXAN n’est pas une fiction. Le film est une sorte de thèse ou de documentaire à propos de la sorcellerie. S’étant intéressé à la médecine, il est probable que le réalisateur ait vu à cette période des «Kulturfilms» allemands, des films scientifiques qui, entre anatomie, biologie et pathologies, proposaient de voir réellement ce qui était explicité auparavant seulement en théorie dans les livres. Justement, Benjamin Christensen se serait plongé dans de nombreux ouvrages, récits de procès de sorcellerie et autres documents historiques pour préparer avec un grand sérieux son sujet. En l’état, HAXAN n’est pas un film d’horreur mais une évocation des croyances au sujet de la sorcellerie et des liens que l’on peut établir avec la superstition et les maladies mentales. Parler de sorcellerie, c’est le plus souvent approcher le thème de la religion. Affirmer que le diable est une superstition mène à mettre la religion dans le même sac. Et cela fait partie des raisons pour lesquelles HAXAN a été perçu comme blasphématoire dans la plupart des pays. L’évocation des chasses aux sorcières par des membres du clergé pas tout à fait nets et prompts à la torture, a fini de donner à HAXAN un ton anticlérical. Car si le film démarre sur un aspect historique à base d’images de gravures et de textes, petit à petit, il propose des mises en situation de ce qui aurait pu arriver dans le passé. On peut ainsi y voir une tranche de vie d’une sorcière dans son antre, un sabbat avec le diable (interprété par le réalisateur lui-même) ou encore un procès mené par des hommes d’Eglise aux pratiques douteuses. Ceux qui combattent les sorciers et les sorcières ne sont pas épargnés, bien au contraire ! Pour illustrer son propos, le cinéaste n’hésite pas à proposer de la nudité ou encore des scènes de tortures. Clairement, HAXAN expose l’obscurantisme et lorsqu’il propose des visions fantastiques et diaboliques, c’est pour illustrer l’aspect hallucinatoire et irréel de ces croyances.

Le scandale et le soufre entourant HAXAN met Benjamin Christensen dans une situation compliquée en Scandinavie. Il tourne encore deux films mais pour continuer sa carrière cinématographique, il décide de partir aux Etats-Unis au sein de la MGM. Il y réalisera quelques films mais ceux-ci sont jugés trop sombres ou étranges et donc peu commerciaux. Il opère une transition vers le cinéma parlant en réalisant SEVEN FOOTPRINTS TO SATAN ou encore HOUSE OF HORROR. La Grande Dépression de 1929 marque l’arrêt brutal de son travail à Hollywood qui cherche à réduire les risques durant une période financièrement compliquée. Le cinéaste retourne au Danemark en 1935 pour y réaliser une poignée de films dramatiques…
HAXAN a souvent été distribué en version tronquée. Mais il a aussi connu une version sonorisée à la fin des années 60. Cette version raccourcie d’une trentaine de minutes proposait une narration de l’écrivain William S. Burroughs. Le film gomme en partie l’approche scientifique pour ne proposer que les passages les plus spectaculaires, sorte d’amalgame d’images hallucinatoires. Curieusement, c’est peut-être cette version sonore qui a permis à HAXAN de perdurer dans le temps et de ne pas sombrer dans l’oubli. Il faudra attendre le XXIème siècle pour que le film soit intégralement restauré dans sa version d’origine, tel que prévu par Benjamin Christensen en 1922. Aujourd’hui, les éditions vidéo proposent généralement cette version restaurée et même parfois en accompagnement de la version sonore de 1968.

Aujourd’hui, certains passages de HAXAN ont un côté aride et peu spectaculaire. Seules certaines scènes, en particulier le sabbat, sont de grande envergure. La construction du film semble assez inégale entre ce qui semble être une thèse didactique durant les premières minutes et les reconstitutions historiques que l’on peut voir par la suite. A l’époque, certaines évocations ont dû être particulièrement saisissantes et impressionner le public grâce aux maquillages et aux effets spéciaux. Evidemment, de nos jours, HAXAN a perdu son aspect sulfureux. Le cinéma a montré bien plus horrible et bien plus explicite… Mais Benjamin Christensen n’avait pas l’intention de réaliser un film d’horreur. Il voulait apporter un éclairage scientifique sur un sujet occulte. Il était certainement plus risqué de réaliser HAXAN dans les années 20… 1920… que THE CRAFT: LES NOUVELLES SORCIÈRES en 2020. Ce n’est que bien plus tard que le film rejoindra le panthéon du cinéma «Fantastique» comme une œuvre étrange et atypique dans l’histoire du cinéma d’Horreur.