Header Critique : Zítra vstanu a oparím se cajem (TOMORROW I'LL WAKE UP AND SCALD MYSELF WITH TEA)

Critique du film
ZÍTRA VSTANU A OPARÍM SE CAJEM 1977

TOMORROW I'LL WAKE UP AND SCALD MYSELF WITH TEA 

Dans un futur proche, les voyages dans le temps permettent à des touristes de visiter différentes périodes historiques. Jan et Karel sont deux frères jumeaux. Le premier travaille en tant qu’ingénieur dans le développement des nouveaux appareils temporels. Et le second est un pilote emmenant des passagers dans le passé. Tout se déroulait pour le mieux jusqu'à ce qu'un événement inattendu oblige l’un des frères à prendre la place de l’autre. Une succession d’événements à base de quiproquos et autres rebondissements absurdes émailleront le déroulement de ZÍTRA VSTANU A OPARÍM SE CAJEM, un film de science-fiction réalisé par Jindrich Polak.

En 1968, le Parti communiste tchèque tente de démocratiser le régime. A partir de cet instant, la Tchècoslovaquie fait preuve d’une grande effervescence artistique. Cela ne va pas durer puisque les troupes du Pacte de Varsovie envahissent le pays et remettent de l’ordre selon les préceptes soviétiques. Durant les années qui suivent, c’est le début de la période de «normalisation» où une censure stricte est remise en place alors que des purges massives sont organisées à tous les échelons de la société. Dans le cadre du cinéma, des films déjà sortis sont purement interdits et des réalisateurs n’ont plus le droit de travailler. Milos Forman se retrouve licencié pour une raison de sortie illégale du territoire. Le cinéma tchèque a de quoi être morose ! Mais les comédies vont alors être florissantes car elles sont considérées comme des œuvres idéologiquement neutres. Le cinéma Fantastique donne lui aussi une vision qui semble totalement décalée de la triste réalité. Du coup, la censure se voit contournée par l’humour ou le Fantastique, voire les deux en mêmes temps. Cette «normalisation» ne commencera à s’estomper qu’au moment de la Perestroïka. C’est donc en plein dans cette période répressive que le film de Jindrich Polak va être réalisé.

Les maîtres de ces comédies loufoques, tirant souvent vers des éléments surréalistes, sont Milos Macourek et Václav Vorlícek. Les deux cinéastes vont ainsi enchaîner les succès en proposant des histoires hors du commun baignées d’un humour absurde. Mais les intrigues et les éléments de leurs films camouflent souvent des critiques directement liées à la situation de la société tchèque. Ils proposent par exemple des intrusions de la fiction dans la réalité, que ce soit des personnages de bandes dessinées ou des contes de notre enfance, de quoi critiquer des situations via des avatars imaginaires. Ils proposent des échanges de corps ou de cerveaux de façon à exprimer la dualité entre liberté individuelle et apparence sociale. Ils dépeignent des savants ou des machines bornés qui sont le reflet d’un système rigide et totalitaire. Tout cela reste évidemment en filigrane, il n’est pas question d’attaquer de manière trop ouverte le pouvoir en place sans risquer d’être censuré et banni des studios. Dans le registre du voyage temporel, le duo propose ZABIL JSEM EINSTEINA, PANOVE!, en 1970, où il est question d’assassiner Albert Einstein et, peut-être, contrecarrer l’arrivée de la bombe atomique. Ce thème, il en sera question de nouveau sept ans plus tard avec ZÍTRA VSTANU A OPARÍM SE CAJEM, c’est-à-dire littéralement «Demain, je me lèverai et je me brûlerai avec du thé», également tiré d'une histoire de l’écrivain Josef Nesvadba. Mais, cette fois, les deux hommes s’associent à un autre réalisateur, Jindrich Polak.

Jindrich Polak est avant tout connu pour une œuvre de science-fiction sérieuse. En effet, IKARIE XB-1 narre le voyage de l’équipage d’un vaisseau spatial en direction d’Alpha du Centaure à la recherche de formes de vie. Nous sommes en 1963, quelques années avant l’arrivée du mastodonte du genre 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE. Et si on cite le film de Stanley Kubrick, c’est aussi parce que IKARIE XB-1 adopte un ton réaliste tout en proposant une réflexion philosophique concernant la place de l’Homme dans l’univers. Quatorze ans plus tard, Jindrich Polak réalise donc une comédie de science-fiction composée de voyage dans l’espace, de voyage dans le temps et d’un complot délirant ! L’incursion spatiale dans le film se limite au processus de voyage dans le temps mais on peut réellement assister au décollage et à l’atterrissage d’un engin se promenant un certain moment en orbite autour de notre planète. Cela nous permet de voir quelques effets spéciaux plus ou moins réussis. Mais cela donne surtout une esthétique futuriste à une intrigue se déroulant dans un monde qui semble très proche visuellement des années 70.

Déjà évoqué dans ZABIL JSEM EINSTEINA, PANOVE!, le thème du voyage dans le temps propose de changer l’Histoire. Dans le film de 1970, cette opération a pour but d’influencer de manière bénéfique le futur. En éliminant Albert Einstein dans le passé, il serait «possible» d’éviter l’apocalypse nucléaire. Dans le film réalisé par Jindrich Polak, toujours scénarisé par Milos Macourek et Václav Vorlícek, la modification du passé prend une autre tournure. En effet, un complot fomenté par des nazis vise à changer le cours de la Seconde Guerre Mondiale. Cette idée de la réécriture de l’Histoire par une dictature, c’est clairement ce que vivent les résidents des pays sous régime communiste. Ainsi, les manuels d’Histoire sont réécrits, les photographies officielles sont retouchées, les archives officielles sont falsifiées. Si dans «1984», George Orwell disait «Qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé», cet adage n’est pas que le reflet d’une œuvre de fiction. On le voit encore de nos jours où des dirigeants jouent sur les mots ou mentent éhontément pour atteindre leurs buts. Dans le film de Jindrich Polak, la métaphore apparait des plus évidentes avec des personnes qui veulent imposer une idéologie en changeant le passé et donc le présent. En prenant des nazis comme complotistes, les scénaristes ont passé la censure.  D’autant plus que les nazis du film sont des personnages particulièrement bêtes offrant des possibilités comiques mais aussi une critique ironique du totalitarisme.

N'oublions pas que ce film est une comédie loufoque. L’humour qui est déployé ne sera pas forcément au goût de tout le monde. On ne peut pas dire que l’on fait ici preuve d’une grande subtilité. Certaines situations s’avèrent même grotesques ou peu crédibles. Les interactions avec les soldats allemands durant la Seconde Guerre Mondiale sont assez ridicules, à la limite d’un spectacle de clown. Cela explique peut-être pourquoi l’humour des comédies tchèques de l’époque passait la censure sans grand problème. Mais il est important tout de même de noter que ce film est assez novateur en proposant une petite réflexion sur les paradoxes temporels. Il s’avère difficile de ne pas faire un rapprochement avec RETOUR VERS LE FUTUR et particulièrement sa suite directe. Dans le film de Jindrich Polak, des personnages sont amenés ainsi à croiser leurs doubles temporels. Cela donne quelques situations amusantes et plutôt surprenantes dans un film datant de 1977. Par exemple, un officier nazi fait torturer son double du futur sans même s’en rendre compte. Mais c’est surtout le retour dans le futur qui se trouve être le passé du moment où sont partis les personnages que les situations deviennent les plus délirantes ! Encore une fois, il est bon de préciser que l’humour mis en oeuvre ne vole pas toujours très haut. De même qu’il sera peut-être un peu difficile de comprendre pourquoi l’un des deux frères prend la place de l’autre au début du film. On le comprendra beaucoup plus tard dans un épilogue qui peut rappeler vaguement un rebondissement du récent MICKEY 17 dans des contextes totalement différents.

Le film de Jindrich Polak est encore à ce jour une rareté dans nos contrées. A l’époque, il a été distribué de manière assez limitée en dehors du bloc soviétique. Il est totalement inédit en France et n’est pas non plus accessibles sur les plateformes de streaming dans notre pays. Si on le trouve bien à l’achat en dématerialisé, c’est sur la plateforme tchèque de Canal+ et le film n’est donc pas accessible dans l’hexagone. En réalité, à ce jour, la manière la plus simple de le voir est de se tourner vers le Blu-ray anglais. Bien qu’il soit dénué de français, il comporte tout de même un sous-titrage en langue anglaise.

Près de cinquante ans plus tard, ce ZÍTRA VSTANU A OPARÍM SE CAJEM, ou en anglais TOMORROW I'LL WAKE UP AND SCALD MYSELF WITH TEA, est une petite curiosité plutôt intéressante pour les fantasticophiles curieux. Aujourd’hui, il a perdu de son double langage, particulièrement pour des Français, mais il est un représentant du cinéma Fantastique tchèque qui reste encore à ce jour assez méconnu. D’autant plus qu’il s’avère très différents de la poésie des films de Karel Zeman ou encore du cinéma dérangeant d’un Juraj Herz.

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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