Header Critique : SEVICES DE DRACULA, LES (TWINS OF EVIL)

Critique du film et du DVD Zone 2
LES SEVICES DE DRACULA 1971

TWINS OF EVIL 

Alors que la fin des années 1950 et les années 1960 avaient été dominées par l'épouvante gothique, deux films de 1968 annoncent un revirement complet du cinéma d'horreur. LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, une toute petite production tournée par George Romero, propose une approche du fantastique nouvelle, plus réaliste par son contexte contemporain, par les problèmes sociaux qu'il évoque sans détour, et par sa représentation crue de la violence. D'autre part, la major hollywoodienne Paramount commande à un réalisateur européen réputé, Roman Polanski, une oeuvre d'angoisse : ROSEMARY'S BABY, lui aussi inscrit dans un contexte contemporain et réaliste. Ces deux films sont des succès commerciaux et auront une énorme influence. Le fantastique gothique, qui a fait les belles heures de la firme Hammer, semble donc menacer de se démoder. Qui plus est, les grosses compagnies hollywoodiennes se remettent à produire elles-mêmes des oeuvres de terreur, s'attaquant ainsi à un domaine qu'elles avaient abandonné, depuis les années 1940, à des petites compagnies (AIP aux USA, la Hammer en Grande-Bretagne...).

La Hammer va t-elle prendre en compte ces revirements du marché ? Non, car le gros succès de son DRACULA ET LES FEMMES aidant, elle va, au contraire, persévérer dans son style gothique, multipliant les films de vampires au tournant de la décennie. De 1969 à 1973, le petit studio aligne cinq aventures de Dracula, ainsi que d'autres productions vampiriques. Si toutes ces oeuvres restent dans le plus pur style de l'horreur anglaise des années 1960, une touche de modernité va être apportée afin de prendre en compte l'évolution des mœurs : la violence va devenir de plus en plus gore et l'érotisme de plus en plus explicite. Marchant sur les sentiers défrichés par le français Jean Rollin (LE VIOL DU VAMPIRE), les nouveaux films Hammer mêlent sexe et vampirisme avec plus d'audace qu'auparavant.

La première de leurs productions mettant en scène de vraies nudités est THE VAMPIRE LOVERS, avec Ingrid Pitt et Peter Cushing. C'est le producteur Harry Fine qui, avec ses associés Michael Style et Tudor Gates, apporte à la Hammer l'idée et le scénario de cette nouvelle adaptation de "Carmilla", un célèbre texte de Sheridan Le Fanu. Ces partenaires signent un accord de production, tandis que la firme indépendante américaine AIP apporte elle aussi son soutien. Avant même la sortie de THE VAMPIRE LOVERS, la préparation de LUST FOR A VAMPIRE, sa suite, est lancée. Tout aussi vite après l'achèvement de LUST FOR A VAMPIRE, on envisage de tourner LES SÉVICES DE DRACULA, troisième et dernier volet de ce qu'il convient d'appeler "la trilogie Karnstein", d'après le nom de famille de la vampire Mircalla Karnstein, personnage principal de "Carmilla".

Pour mettre au point le financement des SÉVICES DE DRACULA, la Hammer s'allie avec les anglais de la Rank. Fine, Style et Gates sont, comme pour THE VAMPIRE LOVERS et LUST FOR A VAMPIRE, impliqués dans la production. Pour la réalisation, on choisit John Hough, qui avait surtout travaillé pour la télévision, et reviendra régulièrement au fantastique (LA MAISON DES DAMNES par exemple), notamment sous la houlette des studios Disney (LES YEUX DE LA FORET...). Deux vedettes britanniques apparaissent au casting : l'incontournable Peter Cushing est le fanatique Gustav Weil, tandis que Dennis Price (NOBLESSE OBLIGE) tient aussi un rôle, toutefois assez mineur. Surtout, la Hammer met la main sur les jumelles Mary et Madeleine Collinson, deux maltaises dont les principales références étaient d'avoir agrémenté les pages centrales d'un numéro de "Playboy". N'étant pas de véritables comédiennes, souffrant d'un élocution entachée d'un accent, elles doivent être doublées afin de rendre leurs interprétations acceptables. Quant au jeune premier, il est interprété par un juvénile David Warbeck (L'AU-DELA), qui n'était pas encore une vedette des petites productions italiennes.

Dans une petite ville d'Europe centrale, Gustav Weil dirige une confrérie de puritains obsédés par la chasse aux sorcières. Avec la bénédiction des autorités religieuses, il jette au bûcher des jeunes filles soupçonnées d'être des adoratrices de Satan. Weil doit, en plus, recueillir Maria et Frieda, ses deux nièces devenues tragiquement orphelines. Habituées à la vie mondaine et légère de Venise, ces deux jeunes filles tombent de haut en découvrant qu'elles vont devoir vivre sous l'autorité de ce très intransigeant vieillard. Dans la même région, le comte Karnstein, un aristocrate décadent, mène une vie de débauche et d'ennui. Bien que ses frasques choquent les compagnons de Weil, ils ne peuvent rien faire contre ce personnage, protégé par l'Empereur. Au cours d'une cérémonie sataniste, le comte ramène à la vie sa sinistre ancêtre, Mircalla Karnstein la vampire. En échange de l'âme de son descendant, elle accepte de faire de celui-ci, à sa demande, un non-mort buveur de sang. Pendant ce temps-là, Frieda, la plus effrontée des deux jumelles, envisage de devenir la maîtresse de Karnstein, afin d'échapper à la sévérité de son tuteur...

THE VAMPIRE LOVERS, le premier film du cycle Karnstein, adaptait plutôt fidèlement la nouvelle "Carmilla" de Le Fanu. Son personnage principal était Mircalla Karnstein (Ingrid Pitt), une redoutable vampire cachant sa nature maléfique sous l'apparence d'une belle et douce jeune femme. Elle revient dans LUST FOR A VAMPIRE, en se réincarnant dans un nouveau corps (en l'occurence, celui de l'actrice suédoise Yutte Stensgaard). Dernier volet de cette saga, LES SEVICES DE DRACULA n'accorde plus un rôle important à Mircalla, bien qu'elle ait tout de même droit à une courte apparition. Sous les traits de Katya Wyeth, elle transmet à son descendant, le comte Karnstein, la malédiction du non-mort, malédiction que le jeune homme, cynique et avide de sensations nouvelles, accueille à bras ouverts. Toutefois, Mircalla disparaît ensuite, sans qu'on sache ce qu'il advient d'elle. Le vrai vampire, celui qui va terroriser la région, sera donc le comte Karnstein, noble cruel et immoral, dans la grande tradition de l'aristocratie vue par la Hammer (LE CHIEN DES BASKERVILLE, L'INVASION DES MORTS-VIVANTS...).

Face au comte se dresse une confrérie de dévots, prêts à tout, même à un peu trop, pour faire vaincre les forces du bien et de la chrétienté. Peter Cushing avait déjà été chasseur de vampires (Van Helsing dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA et LES MAÎTRESSES DE DRACULA ; le général Von Spieldorf dans THE VAMPIRE LOVERS). Il incarne ici Gustav Weil, chef de ces soldats de Dieu, clairement décrits comme des obscurantistes, des bigots sinistres et incultes, privilégiant la violence et la destruction plutôt que l'action réfléchie et mesurée. Cette milice se livre à des brutalités absurdes (lynchages...), qui indiffèrent les vampires, ces monstres étant invulnérable au feu purificateur des bûchers dressés à tour de bras par Weil et ses sbires.

En effet, comme chacun sait, les flammes sont inefficaces pour détruire les non-morts, qui ne peuvent être terrassés que par la décapitation ou un pieu aiguisé planté en plein cœur. Les méthodes expéditives de ces fous de Dieu ne provoquent donc que la mort de quelques paysannes aux mœurs trop légères, injustement assimilées par les puritains bornés à des créatures démoniaques ! Terrorisant le village qu'il prétend protéger, Weil est confronté au brave Anton, un jeune homme intelligent et cultivé. Dégoûté par l'ignorance et la cruauté inutile, il reproche à ce zélateur de combattre le mal par le mal, plongeant ainsi, malgré ses bonnes intentions, la population dans la terreur et le malheur. Ce regard critique d'Anton, assimilant un serviteur des forces du bien à un croisé fanatique et assoiffé de sang, est original et audacieux. Il annonce, avec bien des années d'avance, le portrait ambiguë du Van Helsing exalté et brutal décrit dans le DRACULA de Coppola.

La spécificité la plus remarquable des SEVICES DE DRACULA est la présence des sœurs Collinson, incarnant des jumelles aux caractères diamétralement opposés. Autant Maria est prudente et modeste, autant Frieda est audacieuse, arrogante et semble avoir le Diable au corps. En se jetant dans les bras du comte Karnstein, elle cherche à échapper à l'existence oppressante imposée par son oncle et tuteur. Pour elle, le statut de non-mort est un moyen de jouir d'une existence libérée des entraves morales imposées par Weil et ses compagnons. La présence des deux jeunes filles permet, en, plus, à la Hammer de se lâcher quant à l'érotisme. Leurs nuisettes deviennent quasi-translucides, leurs décolletés béent, et quelques plans de vraies nudités sont recensés. Toutefois, au vu de nos critères actuels, les scènes chaudes des SEVICES DE DRACULA évoquent, plutôt qu'un exhibitionnisme forcené, un art habile de la suggestion.

Comme on peut le constater, la diversité des personnages mis en jeu, la richesse de la situation et l'originalité du propos sont autant de qualités pour LES SEVICES DE DRACULA. Toutefois, ces points forts sont assemblés en un ensemble linéaire et très répétitif, ne réservant, somme toute, que peu de surprises aux habitués des films de vampires. Plus grave, le ridicule est bien souvent frôlé, voire atteint, dans des passages aux relents parodiques. La confrérie des chasseurs de sorcières adopte des comportements hystériques parfois cocasses. Damien Thomas n'est un comte Karnstein que passable, peu impressionnant et parfois même risible. De même, les intentions érotiques sont parfois désuètes et, aujourd'hui, peuvent faire sourire. Enfin, un flottement est ressenti entre, d'une part une volonté de dépeindre l'ambiguité du camp des "gentils", et d'autre part un retour, dans le final, à un manichéisme des plus classiques.

Là où LES SEVICES DE DRACULA marque des points, c'est sur la qualité de son travail de production : costumes et décors sont fastueux et variés. On reste ainsi ébahi devant le superbe plateau représentant la salle de réception du château Karnstein, bâti pour l'occasion dans les studios Pinewood. La réalisation de John Hough est d'une efficacité et d'une rigueur plaisante, assurant un très spectaculaire final, bourré de rebondissements brutaux et encore impressionnants aujourd'hui. Enfin, l'interprétation, portée par l'énergie de Warbeck, et la composition à la fois cruelle et émouvante de Cushing emportent l'adhésion.

LES SEVICES DE DRACULA n'est pas un très grand film de la Hammer, et il est évident qu'il ne parvient pas vraiment à renouveler un thème déjà bien rabâché dans la décennie précédente. Mais, techniquement soigné, il reste un agréable divertissement horrifique, qu'apprécieront sans doute les fans d'horreur british.

LES SEVICES DE DRACULA est le premier et seul film de la trilogie Karnstein à être distribué en France dans les salles, sous un titre qui, vous l'aviez deviné, relève de l'inexactitude pure et simple, voire de l'escroquerie. Il n'y est en effet jamais question du comte Dracula ! Cette petite arnaque sera pratiquée dans d'autres pays, comme l'Allemagne (DRACULA HEXENJGAD) ou l'Italie (LE FIGLIE DE DRACULA). Aux USA, il est distribué par la major Universal, qui croit pertinent de pratiquer plusieurs coupes dans les séquences sanglantes ou sexy. Un quatrième scénario de la saga Karnstein (intitulé VAMPIRE VIRGINS) est préparé par les compères Fine-Style-Gates. Mais, le projet est abandonné lorsque le fils de James Carreras, Michael Carreras, se voit confier par son père les rennes de la Hammer. Peu motivé par ce script, Michael ne lui donnera donc pas suite, bien que la production d'un quatrième Karnstein sera un moment annoncé par la firme, en 1972, sous le titre VAMPIRE HUNTERS.

LES SEVICES DE DRACULA a déjà eu droit à plusieurs éditions DVD à travers le monde, la plus connue étant celle proposée en Grande-Bretagne par l'éditeur Carlton, au sein d'un coffret incluant, en prime, COMTESSE DRACULA et LE CIRQUE DES VAMPIRES. Ce film est arrivé, sans crier gare, en France, dans une édition économique, disponible, le temps d'une opération promotionnelle, dans certains supermarchés et, encore actuellement, par correspondance auprès de son distributeur TF1 vidéo.

Le film est proposé dans son format d'origine, c'est-à-dire en 1.66. L'option 16/9 est absente, contrairement à l'édition anglaise. Mais cette dernière avait l'inconvénient de couper un peu d'image en bas du cadre, afin d'adapter le cadrage à la fenêtre 1.77... Le disque français offre une image convenable, notamment grâce à une copie (uncut) paraissant quasiment neuve. On peut être un peu réservée sur des contrastes et des couleurs manquant légèrement d'intensité, mais le prix de ce DVD invite à la clémence.

La bande-son est proposée dans un très bon mono d'origine, que ce soit dans la version originale anglaise (dont la sélection impose la présence d'un sous-titrage français) ou dans un très sympathique doublage français. Édition "budget" oblige, on ne trouve pas le moindre signe d'un bonus à l'horizon.

Bref, cette édition est une aubaine pour les amateurs de la Hammer qui, pour une somme modique, disposeront des SEVICES DE DRACULA dans des conditions très correctes.

P.S. : Pour plus d'informations, on peut consulter le copieux dossier dédié aux adaptations cinématographiques de "Carmilla" au cinéma, et plus particulièrement à la trilogie Karnstein de la Hammer, publié dans le "Fantastyka" numéro 5.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
TWINS OF EVIL DVD Zone 2 (France)
Editeur
CIDC
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h23
Image
1.66 (4/3)
Audio
English Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
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