Header Critique : FUNERAL PARADE OF ROSES (BARA NO SORETSU)

Critique du film et du DVD Zone 2
FUNERAL PARADE OF ROSES 1969

BARA NO SORETSU 

Ha-llu-ci-nant ! Proprement hallucinant, BARA NO SORETSU (traduit par FUNERAL PARADE OF ROSES –La Parade Funéraire des Roses- ou encore Funeral procession of Roses et en Allemagne Pfahl in Meinem Fleisch) s'annonce comme une des oeuvres les plus subversives jamais tournées dans les années 70. Tant et si bien qu'il est cité par quelques sources comme étant une influence d'ORANGE MECANIQUE de Stanley Kubrick. Et c'est fort possible, vu le mélange audacieux contestataire-gore-gay-inceste-révolte-communiste qui agite le métrage pendant 105 minutes !

Il s'agit de l'histoire d'Eddie (Peter, acteur travesti ayant joué par ailleurs dans RAN d'Akira Kurosawa, ZATOICHI ABARE HIMATSURI, GUINNEA PIG : DEVIL WOMAN DOCTOR et le rôle de Madame dans LES FRUITS DE LA PASSION de Shuji Terayama), jeune travesti travaillant au Genet bar, qui nage entre les visions de meurtre de sa mère, sa relation avec un trafiquant de drogue et ses expériences cinéphiliques dans un groupe de jeunes japonais. Ceci s'entrecroise avec des interviews des acteurs jouant dans le film, de gays a drag-queens interrogés sur leurs états d'âme dans le Japon de 1969.

Film collage, montage d'images fixes, parfois volontairement granuleuses, FUNERAL PARADE OF ROSES reste une expérience cinéphilique sans pareil. Provocant et troublant à plus d'un titre, le film est en avance sur son temps quant au sujet et son traitement. Les origines de metteur en scène de théâtre du réalisateur Toshio Matsumoto s'effacent au profit d'une narration disjonctée.

L'éclatement de la famille demeure un des axes autour duquel s'articule le film. Entre la cigarette qui brule le visage du père absent sur une photgraphie jusqu'au meurtre sauvage de la mère par son jeune fils (qui s'acharne ensuite à coups de couteaux sur le corps de l'amant de sa mère), il reste en droite ligne avec le cinéma contestataire de la fin des années 60 (un peu comme Marco Bellocchio l'avait fait avec LES POINGS DANS LES POCHES). Ainsi cette réunion du groupe de jeunes les montrent en train de tourner un film. La caméra filme en fait un écran de télévision qu'Eddie frappe afin d'obtenir une image distordue, ce qui rend l'assistance heureuse ! Le tout alternant d'images de policiers chargeant une foule de manifestants, d'une procession étrangement muette en pleine ville… le film se montre ainsi un véritable pamphlet de contre-culture, de rejet sporadique de la forme narrative du cinéma, une tentative godardienne d'approche sociologique d'un sujet jouant sur le côté superficiel de l'image renvoyée.

Ici, la représentation graphique de la destruction de la cellule familiale et de ses pendants se voit mise en avant. Le geyser de sang qui s'échappe de la blessure de la mère apparaît révélatrice non seulement d'une volonté de choquer le spectateur. Même si ce phénomène n'est pas nouveau (le sang giclant de blessures fut initié par les films d'Akira Kurosawa à la fin des années 50), il se double ici d'un discours sociologique frontal, misant sur la crise identitaire du héros. Société en pleine mutation ? Perte de répères ? ou simplement création de nouveau repères ? En qualité de repères, l'image propre et le superficiel ont beau jeu. Ainsi cette exposition à laquelle se rendent Eddie et son amant. Des masques difformes, des visages tordus dont un mutilé se confondent avec les images de la mère d'Eddie en train de mourir.

La musique de Yoji Yuasa ajoute au décalage, comme pour dédramatiser les images projetées. Ainsi la scène d'amour plutôt crue (25mn) apparaît dérangeante… pour finalement réaliser qu'il s'agit du tournage de la scène d'amour par l'équipe du film (Toshio Matsumoto y compris), embrayant sur un entretien avec un travesti. La narration s'ingénie ainsi à brouiller les pistes entre fiction et documentaire, pour virer aussi à la remise en question du support même : le film devient une quasi Bande dessinée (54mn49). Jusqu'à perdre le spectateur, entre le délire obsessionnel qui se déroule comme réalité diégétique ou simplement expression de la folie du héros ? Sa beauté androgyne, ses aller-retours entre personnalité masculine et féminine est un pendant de ce doute permanent du film. Il existe aussi une musique funéraire sur une autre scène d'amour entre Eddie et un personnage nommé Guevara (qui souhaite d'ailleurs ressembler au Che)… scène elle aussi interrompue par l'interview de Peter jouant le rôle d'Eddie, parlant de la simillitude de leur caractère.

Guevara citant Jonas Mekas, le parrain du cinéma indépendant d'avant-garde américain dans les années 50, reste symptomatique du film «Toutes les définitions du cinéma ont été effacées. Les portes sont dorénavant ouvertes». Toshio Matsumoto veut faire éclater le langage cinématographique comme il souhaite éclater la cellule familiale et l'ordre sociétal japonais. Tout comme les influences de Mekas, entre Jack Smith et Jean Genêt, Matsumoto cite ces mêmes sources. On sent l'influence de Querelle de Brest dans l'argument narratif, jusque dans le nom du bar où Eddie travaille. Avec un peu de recul, on peut noter une résonnance lointaine aujourd'hui à TOKYO GODFATHERS de Satoshi Kon et son personnage de travesti se rendant dans le bar où il travaillait avant de devenir clochard.

L'idée de mort prédomine le long du film, des passages de corbillard aux morts violentes qui s'égrènent, la musique funéraire, les processions, les enterrements. Volontairement subversif, il s'ingénie à briser énormément de tabous sociaux et narratifs… L'intrigue policière (Eddie et son homme souhaitent éradiquer Lida à la tête du Genet bar et faire prospérer un trafic de drogue) s'entrecoupe de séquences documentaires puis d'hallucinations morbides du héros. L'ambiance de mort suinte dans toutes les scènes ou presque (hormis celle où le groupe de jeunes se met à fumer des joints et à délirer), jusque dans la vision d'un cimetière noyé par les eaux. Qui amène Eddie à souhaiter la submersion du Japon. Une atmosphère qui doit immerger les personnages du film comme les spectateurs. Pour enfin arriver à un délire freudien mélant inceste (le film OLD BOY n'a décidemment rien inventé) et violence : la réalité est-elle si terrible qu'il faille se crever les yeux ? Oui. On assiste d'ailleurs à une scène très dure de crevaison de deux yeux en gros plan, référence directe à un autre manifeste avant-gardiste, UN CHIEN ANDALOU de Luis Bunuel, autre oeuvre en parfaite symbiose idéologique et visuelle.

Le film est présenté en version plein cadre dans un excellent transfert. Peu de grain visible et surtout une grande qualité dans les contrastes, notamment dans les scènes intérieures. Les scènes extérieures (avec caméra à l'épaule, par exemple), dénotent une belle clarté. Tout comme les moments qui se déroulent dans un noir quasi complet (la scène où Eddie ramasse un homme poursuivi par la police dans son escalier). La séquence d'ouverture, dans une surexposition volontaire de lumière, plusieurs notions de blancs apparaissent même dans une clarté aveuglante : le contour des corps se dessinent, révélant des tons doux et inattendus. Côté sonore, nous avons droit à une piste mono d'origine japonaise avec sous-titres anglais amovibles. La piste est claire, les bruitages, le fond sonore et les dialogues se détachent parfaitement de l'action. Malgré les 35 ans d'age, la clarté du son demeure d'une remarquable complétude avec la qualité de l'image. Les pauses sonores imposées par la narration deviennent limpides, même le silence se fait assourdissant de par sa présence. La quasi-absence de souffle sur l'ensemble du métrage y est notable.

Doté de plusieurs bonus hélas non sous-titrés (commentaire audio, bande annonce d'époque, entretien récent avec l'acteur principal, biographies et filmographies) mais aussi d'une galerie de 10 affiches dont une allemande, le DVD offre une vue visiblement complète de cette oeuvre méconnue mais résolument novatrice. Il est dommage que seuls celles et ceux comprenant le japonais pourront profiter amplement de tout ce qu'offre cette édition. On peut également trouver ce BARA NO SORETSU dans un coffret regorupant trois autres films de Toshio Matsumoto : SHURA (DEMONS), JUROKU-SAI NO SENSO et un thriller horrifique DOGURA MAGURA, son dernier film en 1988.

Le ton nihiliste du discours sur la violence place le film dans une logique de dynamique et historique plutôt que d'un point de vue moral. BARA NO SORETSU devient une oeuvre entière, violente, sauvage, un rare manifeste cinématographique sur la forme de l'art et sa fonction essentielle d'exprimer des idées, faire voler en éclat l'ordre établi. Le cinéma est politique et il doit employer ces formes d'éclatement (narratif, visuel, mode d'expression) afin de parvenir à ses fins. Ceci ne l'empeche pas d'avoir vielli et subi les modes changeantes mais le discours demeure toujours aussi efficace. Assurément pas pour tous les goûts mais il ne laissera pas indifférent pour qui aime tenter de vraies expériences cinéphiliques.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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Un film totalement fou dans sa construction et sa narration
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Des bonus non sous-titrés
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L'édition vidéo
BARA NO SORETSU DVD Zone 2 (Japon)
Editeur
SPO
Support
DVD (Simple couche)
Origine
Japon (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h45
Image
1.33 (4/3)
Audio
Japanese Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Entretien avec l’acteur principal du film 35 ans après. (22mn46 – non sous-titré)
    • Bande annonce
    • Galerie de 10 affiches
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