BOX OFFICE (10/02/2002)

10 février 2002 
BOX OFFICE (10/02/2002) Gros coup de gueule cette semaine à l'encontre de tout le monde : le public, les critiques, les magazines ciné, le distributeur Pathé et Claude Berri. En effet, personne n'a pu échapper à la sortie euphorique d'ASTERIX ET OBELIX : MISSION CLEOPATRE. Le cinéma français festoyait, encore un blockbuster qui allait permettre au cinéma hexagonal de rajouter une pierre à l'édifice de sa reconstruction. Les exploitants jubilaient tant le film ouvrait des perspectives monstrueuses et les spectateurs s'armaient de patience pour affronter les files d'attente et pour finalement sortir de leur séance plutôt satisfaits. Mais il y a un hic et ce hic est lui aussi ENORME, et peu en sont conscients. L'attaque d'Astérix et de ses acolytes n'a fait qu'affaiblir l'économie du cinéma alors que paradoxalement le nombre d'entrées n'a pas été aussi conséquent depuis quasiment deux décennies. Mais pourquoi le système cinématographique tel qu'on le connaît aujourd'hui est au bord de l'asphyxie ? Une explication s'impose.

Mes chers amis, l'inflation ne concerne pas que vos portefeuilles. Les salles de cinéma aussi pâtissent d'une forme d'inflation inéluctable, et ce n'est pas dû au passage à l'euro. Il s'agirait plutôt d'un mal international endémique. Les multiplexes poussent comme des champignons un peu partout en Europe après avoir éclos par centaines aux States. Cette politique somme tout avenante pour les cinéphiles, plus de salles signifient dans l'esprit de beaucoup une plus grande diversité de films et la possibilité accrue de voir ces films près de chez soi. C'est sans compter que les multiplexes sont des hypermarchés de l'image où le film est rabaissé au statut de produit pur et donc soumis aux règles impitoyables de l'économie de marché.

Le résultat est étonnant de médiocrité. Les Etats Unis ont été suréquipés en salles et les cinémas ont dû fermer par centaine à cause du manque de rentabilité et de la voracité des actionnaires. Certains pays européens ( la France et l'Allemagne les premiers) commencent à entrevoir les spectres du suréquipement. Danger.

Pis, les multiplexes ouvrent leur panel d'écrans à un nombre limité de films, un nombre principalement retreint aux quelques blockbusters du moment, bref aux films qui ont connu les joies d'une médiatisation intensive. Ces films sont souvent américains ou alors des productions locales boursouflées qui empruntent aux Ricains leurs écrasantes méthodes de promotion. C'est ainsi que les multiplexes programment le même film dans deux de leurs salles empêchant les petites œuvres de trouver un circuit digne de son nom. Bien pour la concurrence, n'est-ce pas ?

Nous avons trop de salles qui diffusent les mêmes films. Les distributeurs sont entraînés ainsi dans une spirale infernale les incitant à sortir leurs grosses productions dans toujours plus de salles. Alarmant. Les films coûtent toujours plus chers, les médias (qui appartiennent aux même groupes que les majors) se sentent ainsi tous obligés de parler de ces mêmes gros produits (qui a compté le nombre de couvertures pour ASTERIX, HUIT FEMMES, et OCEAN'S ELEVEN) empêchant les petits films de se faire une place, de se faire connaître, bref d'exister ! La compétition est rude et le constat grave. En France ASTERIX vient de sortir sur plus de 945 écrans et dépassera les mille écrans pendant les vacances. TAXI 3 sortirait lui directement dans plus de 1000 salles. En Allemagne, on propose désormais 1500 copies pour certains des gros films ! Aux USA, on a frôlé les 3.700 copies pour HARRY POTTER. A ce niveau, c'est de l'hystérie qui revient cher au distributeurs. Effectivement ces derniers sont les premiers à s'inquiéter de cette politique de la surenchère. Chaque tirage en plus leur coûte un peu plus cher et réduit donc les bénéfices. Donc il faut accroître la promotion en amont (certains teasers et posters apparaissent un an avant la sortie des films) pour être certains de créer l'événement.

Il faut aussi que le démarrage soit titanesque car désormais les films font le gros de leurs entrées dès leur première semaine d'exploitation. Aujourd'hui le public veut voir les spectacles tout de suite, il ne veut plus attendre. On lui présente chaque semaine l'événement de l'année, le film à ne pas rater. Attendre 40 minutes pour voir ASTERIX dans des salles bondées et donc surchauffées ? Ce n'est pas un problème, du moment que le film ait été vite consommé et digéré ! Attendre trois semaines ? Ca va pas non, l'effet médiatique serait retombé et c'est bien connu qu'en trois semaines le public a déjà oublié 80% des sorties cinémas !

Face à cette politique de la surenchère et de l'inflation, les productions moyennes ont du mal à être rentabilisées. Leurs distributeurs sont à leur tour contraints de les sortir dans des circuits conséquents, ce qui va souvent à l'encontre des films en question. Le coût de leurs sorties est important, trop peut être par rapport à leur potentiel et surtout face à la concurrence qui les rendent dispensables. Résultats ce type de spectacle perd la moitié de ses salles en deuxième semaine et n'existe plus dès la 5ème semaine.

Pis, que dire de la situation des petites productions et des films d'art et essai ? Ces films aux publics restreints n'ont pas la possibilité de s'offrir des couvertures, presque personne ne les connaît et ils sortent donc dans l'indifférence générale. Ces films sont devenus des bouche-trous. Les petits distributeurs se retrouvent ainsi avec des films qu'ils ont payé un bon prix et qu'ils ne parviennent pas à sortir décemment. Et oui, pas facile de trouver des écrans puisque même dans le domaine de l'art et essai on donne les meilleures salles MK2 à HUIT FEMMES qui se retrouve parallèlement dans des multiplexes. On prive ainsi de sortie des œuvres modestes ou bien on restreint leurs sorties à une ou deux salles. Bref, on les voue injustement à l'anonymat.

Mais bon, DeVil Dead est un site spécialisé dans le fantastique, alors pourquoi cet article ? Tout simplement parce que notre genre préféré en est la première victime. Des perles restent toujours inédites ou sont sans cesse repoussées parce qu'elles ne trouvent pas d'écrans sur notre territoire. Le circuit est embouteillé, congestionné par une poignée de gros films qui s'accaparent toutes les salles et ne laissent aucune chance à des films comme JASON X (sans cesse repoussé), RING 2 (prévu finalement pour mars), JEEPERS CREEPERS (qui sortira quasiment un an après les USA), SOUL SURVIVORS, FAUSTO, AVALON, ou bien du dernier Rollin LA FIANCEE DE DRACULA. Combien de films de Takeshi Miike sont parvenus à trouver si ce n'est une seule salle en France (même les Belges auront eu AUDITION sept mois avant nous) ? Qu'en est-il de K. Kurosawa, de Tsukamoto, de tous les sous RING qui se sont multipliés au Japon et du cinéma fantastique espagnol ? Pourquoi LE COUVENT n'est-il sorti que dans une seule salle à Paris l'an dernier ? Et le dernier Argento, LE SANG DES INNOCENTS pourquoi sort-il si tard ? Et le Romero, BRUISER, pourtant produit par Canal +, pourquoi ne parvient-il pas à être distribué (sa sortie a été annoncée maintes et maintes fois pour finalement être abandonnée) ? Et LE VOYAGE DE CHIHIRO pour quelle raison a-t-il été différé de janvier à février et finalement de février à avril ! Heureusement qu'il y a encore quelques passionnés comme les gars de Mad Movies qui ont permis à VERSUS de trouver 30 salles un an après son passage à Gérardmer.

Quand on regarde ce qui s'est passé ces dernières semaines la désaffection pour le cinéma de genre a été magistrale. Perdus aux milieux des gros films, ils sont morts nés, faute d'un écho suffisant dans les magazines ou à une concurrence impitoyable. Vu le système vicieux de la surenchère ils ont dû se contenter de miettes en matières de salles et de petits écrans qu'ils ont dû quitter trop vite. Une honte.

DONNIE DARKO avait besoin de temps pour s'installer. Il aura été sacrifié sur l'autel du veau d'or. Sa première semaine a été décevante : 43.889 ados perturbés y ont cru, mais dans 107 salles en France, cela ne pardonne pas. Il a donc perdu plus de la moitié de ses salles en deuxième semaine et il n'aura donc pas la belle carrière qu'il mérite. Sinistre.

Que dire de la carrière pitoyable de L'ASCENSEUR NIVEAU 2 dont le sort a été sans appel. Il est passé de 136 salles en 1ère semaine à 41 copies par la suite (pour un total de 41.278 entrées). Sa carrière est déjà finie. Idem pour LA PRISON DE VERRE qui a vu sa combinaison dégringoler de 118 à 31 écrans en deuxième semaine (et moins de 60.000 spectateurs au total).

Stallone a jadis connu l'ivresse des sorties prestigieuses. Son (tout) petit dernier COMPTE A REBOURS MORTEL est passé, quant à lui, inaperçu : 94 salles en première semaine, puis 37 et finalement 5 écrans. Carrière achevée.

13 FANTOMES a eu plus de chance : 294 écrans en première semaine puis 261 et 131 écrans. C'est encore trop pour le navet qu'il est mais bon, au moins il aura permis au genre de perdurer tant bien que mal. Tout comme FROM HELL qui après son score américain décevant (environ 30M$) s'est emparé de la deuxième place du classement de la semaine avec 281.170 spectateurs France. Mais il ne s'agissait pas là d'un petit film fantastique comme on les aime, mais d'une machine bien huilée avec une star en haut de l'affiche.

Pour ceux qui sont intéressés, ASTERIX a tout écrasé sur son passage, pulvérisant les records : 3.685.000 entrées France sur 945 copies, dont 600.651 moutons de Panurge sur Paris. Il a représenté 67% de la fréquentation hebdomadaire. Comme si le public ne pouvait pas attendre. No comment.

Frédéric Mignard aka Zecreep

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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