Header Critique : KING KONG

Critique du film
KING KONG 1933

 

En 1933 aux USA, le cinéma fantastique hollywoodien est à son apogée. Après les triomphes des productions Universal DRACULA et surtout FRANKENSTEIN, cette firme se spécialise dans le cinéma d'épouvante parlant, en employant ses propres vedettes du genre rattachées à ces deux films : Bela Lugosi et Boris Karloff. Lugosi tourne pour eux DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE d'après Edgar Poe tandis que Karloff fait le monstre dans LA MOMIE et UNE SOIREE ETRANGE. Les deux stars du frisson trouvent le temps de travailler pour d'autres compagnies : Lugosi joue dans LES MORTS-VIVANTS ou CHANDU LE MAGICIEN, Karloff incarne Fu Manchu dans LE MASQUE D'OR pour MGM.

1931-1932-1933 : ces trois années, dans la foulée de la généralisation du parlant, voient se succéder d'autres classiques fondateurs du cinéma fantastique : DOCTEUR JEKYLL & MR HYDE et L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, produits par Paramount ; DOCTEUR X et MASQUES DE CIRE, réalisés par Michael Curtiz pour Warner ; la Universal qui dans les années 1920, avait produit plusieurs classiques de l'angoisse mettant en scène Lon Chaney, fait réaliser par Tod Browning LA MONSTRUEUSE PARADE ; Universal continue sur sa lancée avec L'HOMME INVISIBLE de James Whale...

Parmi tous ces classiques se trouve un film très particulier, un chef-d'œuvre mythique, aujourd'hui incontesté : KING KONG. Merveille de technique, histoire d'amour bouleversante et superbe spectacle cinématographique, il est le fruit d'années de travail. Commençons par présenter les principaux artistes qui ont donné vie au roi Kong...

MERIAN C. COOPER ET ERNEST B. SCHOEDSACK

La réalisation de KING KONG est le fruit de la collaboration entre deux réalisateurs ayant déjà travaillé ensemble à plusieurs occasions : Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack.

L'américain Merian C. Cooper combat pendant la première Guerre Mondiale en Europe, où il est fait prisonnier par les allemands. En 1919, il se bat aux côtés des polonais contre l'armée soviétique. C'est à cette occasion qu'il rencontre Ernest B. Schoedsack, qui a lui aussi participé à la Grande Guerre et œuvre alors pour la Croix Rouge. Schoedsack a été caméra-man dès 1914 et a tourné des images documentaires sur les conflits européens, notamment pour le compte de l'armée américaine.

Les deux compères réalisent par la suite des documentaires romancés : L'EXODE de 1925, sur les migrations kurdes en Turquie ; CHANG en 1927, histoire d'un habitant du Siam qui survit dans la jungle et affronte des animaux sauvages. Ces deux titres sont marqués par l'influence de Flaherty, le réalisateur de NANOUK L'ESQUIMAU.

Avec Lothar Mendes, ils réalisent leur première fiction en 1929 : LES QUATRE PLUMES BLANCHES, un film d'aventures coloniales de la Paramount, d'après le roman d'A.E.W. Mason, maintes fois adapté au cinéma. Puis, Schoedsack retourne, seul cette fois, au documentaire avec RANGO, tourné dans la jungle indonésienne. Vient ensuite la gestation de King Kong sur laquelle nous reviendrons plus bas...

Le triomphe de KING KONG sauve la compagnie productrice RKO de la faillite et Cooper abandonne la réalisation pour devenir directeur de production au sein de cette firme. Il remplace à ce poste David O. Selznick, qui retourne travailler chez MGM. Cooper lance alors chez RKO des œuvres majeures. Nous pensons à la première comédie musicale réunissant Ginger Rogers et Fred Astaire (CARIOCA de 1933), la première collaboration entre l'actrice Katharine Hepburn et le réalisateur George Cukor (LES QUATRE FILLES DU DOCTEUR MARCH, en 1933) ou au film d'aventures LA PATROUILLE PERDUE de John Ford. Après la seconde Guerre mondiale (au cours de laquelle il est officier), Cooper fonde Argosy avec John Ford, et produit quelques classiques de ce maître du cinéma américain : LE MASSACRE DE FORT APPACHE (1948), RIO GRANDE (1950), L'HOMME TRANQUILLE (1952) et bien sûr LA PRISONNIERE DU DESERT (1956), tous ces titres étant interprétés par John Wayne.

De son côté, Schoedsack continue à réaliser des films. Après KING KONG, il tourne pour RKO LE FILS DE KONG en 1933, dans lequel on retrouve les effets spéciaux de Willis O'Brien et l'acteur Robert Armstrong. Pour la même firme, il réalise BLIND ADVENTURE et LONG LOST FATHER, puis le péplum-catastrophe LES DERNIERS JOURS DE POMPEI. Contrairement à ce que pourrait laisser croire ce titre, ce dernier n'est pas une adaptation du célèbre roman homonyme d'Edward George Bulwer-Lytton.

Paramount le charge ensuite de tourner un grand film d'aventures : THE LIVES OF A BENGAL LANCER. Il tourne les extérieurs en Inde pendant plusieurs mois, mais à son retour aux États-unis, il découvre que toute la pellicule filmée a été détruite à cause des conditions climatiques et sanitaires inadéquates ! Après ce fiasco, le réalisateur Henry Hathaway reprend le tournage à zéro et le film sort en France sous le titre LES TROIS LANCIERS DU BENGALE.

Puis Schoedsack tourne deux films d'aventures pour la Columbia (TROUBLE IN MOROCCO (1937) et OUTLAWS IN ORIENT (1937)) avant de retourner au fantastique avec DOCTEUR CYCLOPS. Ce film Paramount, produit par Cooper, a la particularité d'être la première œuvre fantastique majeure tournée en Technicolor trichrome (procédé capable de restituer l'intégralité du spectre des couleurs,employé pour la première fois au cinéma dans BECKY SHARP en 1935). Un savant fou y réduit ses ennemis à la taille de jouets...

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Schoedsack a les yeux abîmés suite à une blessure, ce qui aurait du le détourner définitivement du cinéma. Pourtant, à l'occasion de la fondation d'Argosy, Cooper réunit l'équipe de KING KONG pour un nouveau film de gros singe : MONSIEUR JOE, réalisé par Schoedsack, avec des trucages de O'Brien. Ce sera le dernier long-métrage de ce réalisateur : une jeune fille vivant en Afrique y est amie avec un gorille. Un organisateur de spectacle les fait venir aux USA pour mettre au point des numéros de dressage. Mais cela tourne mal...

WILLIS O'BRIEN

Outre ses deux réalisateurs, KING KONG a un troisième parent : Willis O'Brien, responsable de ses effets spéciaux.

Après des débuts hésitants (il pratique des métiers aussi variés que cow-boy, trappeur, caricaturiste de presse, machiniste dans les chemins de fer...), O'Brien a l'idée d'animer image par image une figure de boxeur en argile. Son premier essai filmé met en scène un homme préhistorique et un dinosaure, tous deux modelés en argile sur un squelette de bois.

Un producteur de San Francisco, ville où travaille O'Brien, lui avance de l'argent pour poursuivre son travail. Il filme alors THE DINOSAUR AND THE MISSING LINK en 1915, saynète préhistorique animée de cinq minutes, qui lui prend deux mois de travail. Les studios Edison, firme de l'inventeur de l'ampoule électrique, du phonographe et du kinétoscope, se montrent intéressés et lui achètent ce programme avant de l'embaucher pour concevoir d'autres courts films animés. Mais, cette société connaît une grave crise financière et O'Brien les quitte en 1918, peu avant que la compagnie ne soit vendue.

Pour une autre firme, il tourne THE GHOST OF SLUMBER MOUNTAIN en 1918, un film de deux bobines, encore avec des monstres préhistoriques animés image par image. Enfin, O'Brien a l'opportunité d'appliquer ses découvertes à l'échelle d'un long métrage en adaptant le roman d'aventures LE MONDE PERDU de Sir Arthur Conan Doyle, créateur de Sherlock Holmes, pour la firme First National : en Amérique du sud, des aventuriers découvrent un plateau sur lequel des monstres préhistoriques ont survécu...

O'Brien recrute à cette occasion Marcel Delgado qui l'aide à modeler les monstres. Il s'initie aussi à la peinture sur verre, permettant de créer pour un coût modéré de superbes décors où faire évoluer ses monstres. En 1922, Conan Doyle lui-même présente des bouts d'essai effectués par O'Brien à une convention de prestidigitateurs : il se garde bien de révéler à ces magiciens professionnels s'il s'agit d'un vrai documentaire sur des dinosaures vivants ou d'un film truqué ! Le tournage commence vraiment en 1923. Pour incruster les acteurs humains dans les plans, on emploie des technique à base de caches.

A sa sortie, LE MONDE PERDU est un triomphe. Aujourd'hui, il reste un chef-d'œuvre admirable. O'Brien envisage alors de tourner une suite, ATLANTIS, et s'intéresse aussi à une adaptation cinématographique du roman «Frankenstein» de Mary Shelley, dans lequel il compte remplacer le monstre par une figure animée image par image dans certaines scènes. Rappelons que le classique FRANKENSTEIN de James Whale sortira en 1931 !

First National est racheté à la fin des années 1920 par Warner. Les deux projets sont abandonnés et O'Brien part pour RKO. Il travaille sur un projet appelé CREATION, ce qui nous amène déjà à la genèse de KING KONG, dont nous reparlerons plus bas...

Après le succès de KING KONG, il travaille aussitôt sur LE FILS DE KONG de Schoedsack en 1933, pour lequel il anime le (relativement ) petit bébé singe. Puis, il réalise quelques séquences d'effets spéciaux pour des films RKO, comme LES DERNIERS JOURS DE POMPEI.

Cooper le contacte à nouveau pour WAR EAGLES en 1938. Ce film devait mettre en scène les aventures d'explorateurs découvrant au pôle nord un plateau au climat tempéré, sur lequel vit, coupée du monde, une civilisation viking. Nous aurions rencontré dans cette aventure moult dinosaures et monstres des temps perdus. Hélas, avec l'arrivée de la Seconde Guerre Mondiale, Cooper rejoint l'armée et le projet tombe à l'eau. Néanmoins, l'excellent L'ILE SUR LE TOIT DU MONDE, film d'aventures de Robert Stevenson tourné pour Disney en 1974, propose une histoire fort semblable : des explorateurs voyageant en dirigeable découvrent dans une région polaire une civilisation viking oubliée de tous, dans une enclave tempérée...

En 1941, O'Brien œuvre sur GWANGI, autre projet de la RKO. Des cow-boys travaillant dans un cirque itinérant découvrent une vallée isolée dans le Colorado où vivent encore des monstres préhistoriques. Ce projet aussi tombe à l'eau ! Pourtant, le producteur Charles H. Schneer en acquerra plus tard les droits afin de le confier au grand spécialiste de l'animation image par image Ray Harryhausen : celui-ci effectue donc les trucages de LA VALLEE DE GWANGI, réalisé par Jim O'Connoly en 1969, en se conformant le plus possible aux travaux préparatoires réalisés par son maître Willis O'Brien.

En effet, Harryhausen, grand admirateur de KING KONG, s'est formé notamment en travaillant au service d'O'Brien sur son projet suivant : MONSIEUR JOE sorti en 1949, qui vaut à O'Brien un Oscar pour ses effets spéciaux. Cooper envisage ensuite de tourner, avec l'aide d'O'Brien, un remake de KING KONG en couleurs et en format Cinérama : mais la mort du technicien chargé d'élaborer les caméras de ce nouveau procédé met un terme à ce développement.

Les déveines s'accumulent pour O'Brien. Ainsi, son scénario THE BEAST FROM THE HOLLOW MOUNTAIN, dans lequel des cow-boys affrontent un dinosaure mangeur de bétail, est acheté par des producteurs qui l'empêchent de réaliser les trucages. La même malchance lui arrive avec le remake de LE MONDE PERDU d'Irwin Allen : la Fox l'engage pour ce film, puis l'écarte de l'élaboration des trucages. Le but de la manœuvre était seulement d'avoir le nom prestigieux d'O'Brien au générique !

Un autre de ses projets tourne mal : KING KONG CONTRE FRANKENSTEIN, dans lequel le singe géant devait affronter un monstre gigantesque créé par le docteur Frankenstein. O'Brien contacte un producteur pour trouver des financements : dans son dos, celui-ci vend l'idée aux studios japonais Toho pour KING KONG CONTRE GODZILLA d'Inoshiro Honda, tourné en 1962. O'Brien, encore une fois floué, est réduit à l'inactivité !

Néanmoins, il travaille encore sur deux films de monstre : LE SCORPION NOIR en 1957, d'Edward Ludwig et THE GIANT BEHEMOTH en 1959, tous deux tournés avec des moyens limités. Il œuvre aussi sur des séquences d'animation conçues pour être insérées dans des long-métrages, comme pour le documentaire LE MONDE DES ANIMAUX de 1956, d'Irwin Allen ou la comédie à grand spectacle UN MONDE FOU, FOU, FOU de Stanley Kramer.

LA GENESE DE KING KONG

Revenons en 1931...

Merian C. Cooper entend parler des fameux "dragons" de Komodo, énormes lézards découverts sur cette île indonésienne par un aviateur en 1912. Cela lui donne l'idée de tourner sur place l'affrontement entre un de ces sauriens et un gorille d'Afrique. Mais, au lendemain de la crise de 1929, l'économie américaine est en pleine dépression et il ne paraît pas vraisemblable qu'un studio investisse de l'argent sur un projet aussi coûteux.

Au même moment, Cooper est chargé par David O. Selznick (qui vient de produire en 1929 LES QUATRE PLUMES BLANCHES), nouveau directeur de production de la RKO, de mener une enquête sur les coûts et les méthodes de production de la firme. Cooper étudie à cette occasion le projet CREATION, une aventure dans le style de LE MONDE PERDU qu'O'Brien cherche à monter au sein de RKO, et pour lequel il a réalisé un bout d'essai.

Cooper est impressionné par les trucages, mais il juge l'histoire inintéressante et fait arrêter le développement du projet. Ayant entendu parler du film de gorilles que Cooper tente de monter, O'Brien lui explique qu'avec ses effets spéciaux, il peut réaliser une telle histoire en studio, sans recourir à de coûteux tournages en extérieurs exotiques. Cooper est convaincu et propose, avec l'appui de dessins réalisés par O'Brien, ce projet à David O. Selznick, qui l'accepte.

Les scénaristes sont réunis : Merian C. Cooper, James Ashmore Creelman, Ruth Rose (l'épouse d'Ernest B. Schoedsack) et Edgar Wallace (fameux écrivain anglais de romans policiers) se mettent au travail. Wallace meurt en février 1932, et son apport est considéré comme minime sur ce script. Certains dirigeants de RKO hésitent encore et demandent le tournage d'un bout d'essai. O'Brien se met au travail et les trois acteurs principaux du film sont recrutés.

Fay Wray (comédienne canadienne dont la carrière a décollé avec LA SYMPHONIE NUPTIALE de Von Stroheim en 1927, et qui a joué dans LES QUATRE PLUMES BLANCHES de Schoedsack et Cooper en 1929) sera Ann Darrow. Robert Armstrong sera le réalisateur-aventurier Carl Denham. Bruce Cabot (alors inconnu) sera le courageux marin Jack Driscoll. Les bouts d'essai sont convaincants et le tournage de KING KONG commence en 1932, pour un budget évalué par RKO à plus de 600.000 dollars (estimation peut-être gonflée pour des raisons publicitaires ; certains considèrent que le budget réel était d'environ 400.000 dollars) : c'était alors énorme ! KING KONG est ainsi souvent considéré comme un coup de poker de la RKO qui, menacée de faillite, met toutes ses billes sur un gros budget susceptible de la rétablir durablement.

Un long tournage commence, qui implique des trucages de toutes sortes. A aucun moment, on ne voit un acteur déguisé en singe. Certains détails de Kong sont en grandeur nature pour des plans rapprochés : main géante qui tient Fay Wray lorsqu'elle est portée par le singe ; pied géant écrasant des indigènes sur l'île du Crâne ; buste animé de Kong pour les gros plans de son visage et les séquences où il mastique des humains. Tous les autres plans présentant Kong et les autres monstres utilisent des poupées miniatures animées image par image.

Étant données les nombreuses interactions entre les monstres et les acteurs, il faut utiliser des techniques plus élaborés que celles vues dans LE MONDE PERDU. Certes, nous retrouvons divers systèmes à base de caches. Mais on emploie surtout la rétroprojection sur un nouvel écran translucide (alors très innovant : auparavant, les rétro-projections étaient faites sur verre, ce qui donnait des résultats moins bons). Les rétroprojections sont placées derrière les acteurs (par exemple lorsque Fay Wray, accroché aux poteaux de sacrifice est confrontée à Kong pour la première fois) ou, plus complexe, derrière les figures réduites et animées (lorsque Kong passe sa main devant une caverne où un marin s'est réfugiée).

Tout cela implique un travail si minutieux et lent que les acteurs et les réalisateurs ont le temps de travailler sur d'autres projets en même temps ! Si Merian C. Cooper s'est, semble-t-il, plutôt attelé à la réalisation des plans truqués aux côtés de Willis O'Brien, Ernest B. Schoedsack est avant tout responsable des scènes classiques, avec acteurs. Pendant le tournage de KING KONG, il co-réalise avec Irving Pichel, toujours pour la RKO, un autre chef-d'œuvre du film d'épouvante : LA CHASSE DU COMTE ZAROFF dans lequel jouent aussi Fay Wray et Robert Armstrong. Tourné dans des décors de jungle, dont une bonne part sert aussi pour KING KONG, il raconte les aventures de naufragés échoués sur une île où vit le comte Zaroff (incarné génialement par Leslie Banks, vedette du théâtre anglais faisant alors ses débuts au cinéma). Ce cruel aristocrate organise des chasses à l'homme pour se divertir. Fay Wray tourne aussi en 1932 pour la Warner dans des films d'horreur DOCTEUR X et MASQUES DE CIRE de Michael Curtiz.

KING KONG !

Carl Denham, réalisateur aventureux et ambitieux. veut tourner un film d'aventures sur une île mystérieuse, appelée l'île du Crâne. Selon des légendes, des animaux incroyables y vivraient ! Mais, il peine à trouver une actrice pour un tournage aussi dangereux. Dans la rue, il repère Ann Darrow, figurante au chômage, réduite à voler des fruits pour ne pas mourir de faim. Denham lui propose le rôle principale de son film, qu'elle accepte sans hésiter. Ils partent en bateau pour cette mystérieuse île du Crâne, qui n'apparaît sur aucune carte marine et dont seul Denham connaît les coordonnées. Une fois sur place, l'équipe tombe nez à nez avec des indigènes allant sacrifier des jeunes filles à "Kong".

Le sorcier de la tribu, fasciné par la blondeur d'Ann, exige qu'elle soit livrée à ce Dieu. Les explorateurs refusent et se replient sur leur navire. Les insulaires kidnappent Ann et l'offre à Kong, qui est en fait un gorille géant ! Il emmène Ann vers son antre aux confins de la jungle. Les voyageurs suivent sa trace et doivent affronter de nombreux dinosaures : stégosaure, brontosaure... Kong lui-même combat un tyrannosaure. Il précipite aussi la plupart de l'expédition dans un ravin. Seules deux personnes survivent : Driscoll le marin, qui continue à pister le singe géant, et le réalisateur Denham, qui part chercher du secours. Après maintes péripéties, Driscoll sauve Ann des griffes de Kong, qui semble s'être épris de la jeune femme ! Furieux qu'elle lui soit ravie, Kong poursuit les explorateurs et massacre le village indigène avant d'être neutralisé à l'aide de bombes au gaz. Denham ramène Kong à New York et l'expose enchaîné sur la scène d'un théâtre. Le soir de la première, Kong brise ses chaînes, s'échappe et sème la terreur ! Il retrouve Ann et l'emporte avec lui. Des avions de l'armée interviennent pour le neutraliser, alors qu'il se réfugie au sommet de l'Empire State Building...

A bien des égards, la trame de KING KONG reprend celle de LE MONDE PERDU. Des explorateurs s'aventurent dans une région inexplorée où survivent des espèces préhistoriques. A la fin, un monstre est ramené dans une grande ville, se libère et sème la terreur. Dans LE MONDE PERDU, un brontosaure en colère ravage Londres, mais, à la différence de Kong, il parvient à échapper à ses poursuivants et survit.

Un enrichissement à ce canevas apporté par KING KONG consiste à mettre en scène une équipe de tournage menée par un aventurier très téméraire, qui évoque assez irrésistiblement Cooper et Schoedsack lorsque ceux-ci se rendaient aux quatre coins du globe pour ramener des documentaires spectaculaires. On se rappelle alors l'idée originale de Cooper pour ce film, qui consistait à aller tourner sur l'île de Komodo les aventures d'un vrai gorille parmi les sauriens géant...

KING KONG, c'est encore un admirable mélange de genres, parmi lesquels dominent l'aventure, l'épouvante et la romance. En effet, il s'agit d'un superbe film d'aventures,s'inscrivant dans la lignée de LE MONDE PERDU, mais aussi d'œuvres de Jules Verne, comme «Le voyage au centre de la Terre». Décor de studio, mattes, peintures sur verre et maquettes contribuent à créer un superbe environnement exotique sur la fantastique île du Crâne. O'Brien, admirable dessinateur comme nous pouvons le constater avec les superbes croquis préparatoires de KING KONG, avoue l'influence déterminante des gravures de Gustave Doré sur la direction artistique. La parenté de son travail avec l'art de la gravure est encore soulignée par l'emploi du noir et du blanc. En s'ouvrant sur des scènes banales, à New York, soulignant le morne quotidien d'une chômeuse ordinaire dans l'Amérique de la crise économique, le récit renforce encore le fantastique et la démesure de l'île du Crâne.

Quand les voyageurs y arrivent, la réalisation se déploie majestueusement en de vastes plans d'ensemble tandis qu'éclate dans toute sa vigueur la superbe musique de Max Steiner, interprétée par un orchestre de quatre-vingt musiciens (ce qui est extrêmement innovant et aussi coûteux, les musiques de film du début du cinéma parlant étant en général enregistrées par de bien plus petites formations). Cette démesure grandiose, inégalée, est encore présente dans les scènes new-yorkaises du dénouement : l'affrontement de Kong avec les avions au somment de l'Empire State Building reste la représentation la plus célèbre, le plus cinématographique et la plus populaire de cette cité dans l'histoire du cinéma.

KING KONG est aussi un film terrifiant. Sa violence est encore aujourd'hui marquante. Kong broie des humains dans ses mains et entre ses mâchoires. Il balance une femme du haut de dix étages ou démolit à coups de poings un wagon bondé de voyageurs. Son comportement envers les autres animaux n'est pas moins terrifiant : le sanglant et inoubliable combat avec le tyrannosaure reste un des grands moments de bruit et de fureur du cinéma fantastique. La violence du film a même été jugée telle que, à l'occasion de sa ressortie en 1938, les censeurs américains, appliquant le code Hays, castrent KING KONG de plusieurs de ses scènes les plus crues (ces séquences ont heureusement été réintégrées de nos jours). Cooper pratique lui-même l'auto-censure en retirant une séquence au cours de laquelle des monstres, parmi lesquelles des araignées géantes, dévorent des marins précipités au fond du précipice par Kong : il trouve que ces scènes ralentissent l'action et en plus, sont si violentes et dérangeantes qu'elles nuisent à l'homogénéité du film.

KING KONG, c'est bien entendu une superbe histoire d'amour. Le terrifiant roi Kong s'éprend de la minuscule (à son échelle) Ann Darrow. Dès lors, sa redoutable fureur animale s'estompe pour laisser paraître une humanité bouleversante, au détour d'une mimique sensible, d'un geste de tendresse envers la petite femme en robe de soie qu'il tient au creux de sa main. La fameuse scène où Kong déshabille Ann est ainsi un célèbre moment d'érotisme, d'autant plus fantasmatique que profondément imprégné de fantastique et de merveilleux. Le sacrifice final de Kong qui, par amour et imprudence, se réfugie au sommet de la plus haute tour de New York, véritable impasse verticale, est lui aussi bouleversant.

Lorsque les premières rafales de mitrailleuses l'atteignent, lorsqu'il se sait perdu, Kong dédie ses derniers moments à poser doucement Ann sur une corniche et à lui prodiguer quelques derniers signes de tendresse, sans prêter attention à la ronde menaçante des avions. Le génie de Willis O'Brien transparaît dans toutes ces scènes. Kong la marionnette est de loin le meilleur acteur du film, le plus bouleversant, le plus humain. Peu importe les quelques défaillances techniques, KING KONG reste un des monuments inégalés des effets spéciaux parce qu'il rend l'illusion de la vie et de l'amour.

KING KONG, à partir de l'arrivée sur l'île du Crâne n'est qu'une succession de morceaux d'anthologie inoubliables. Chef-d'œuvre inépuisable, il fait partie de ces très rares films qui supportent d'innombrables visions sans jamais rien perdre de leur fraîcheur et de leur puissance d'évocation. Autre trait singulier, il fait partie de ces chefs-d'œuvre qui, comme LE KID de Chaplin ou LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS de Michael Curtiz, sont capables d'engendrer chez le spectateur la passion du cinéma à vie. KING KONG provoque à chaque vision un émerveillement toujours renouvelé, émerveillement qui est sans doute l'essence même du cinéma en général et du cinéma fantastique en particulier.

KING KONG connaît un triomphe fracassant aux USA. RKO s'empressa de faire réaliser par Schoedsack une suite, LE FILS DE KONG, toujours avec les trucages d'O'Brien. Mais, encore aujourd'hui, elle souffre d'être comparée à son inégalable modèle. Cooper demande en 1949 à Schoedsack et O'Brien de renouveler les formules de KING KONG avec MONSIEUR JOE, un film bien plus gentil. Les japonais parviennent à mettre la main sur les droits du personnage King Kong et le mettent à la sauce de leurs films de grands monstres : autant dire que le pauvre Roi, interprété par un comédien costumé ou par quelque marionnette maladroite, perd de sa superbe dans le consternant KING KONG CONTRE GODZILLA ou le néanmoins réjouissant LA REVANCHE DE KING KONG (dans lequel on croise un pittoresque robot Kong mis au point par un savant fou).

En 1976, Dino De Laurentiis produit un fade et laborieux KING KONG. Universal, de son côté, annonce à ce moment qu'elle prépare un autre film sur le fameux monstre, mais rien de concret ne sort de ce studio. Par contre, KING KONG II, toujours produit par De Laurentiis, reçoit un accueil désastreux, qui semble compromettre pour un bon moment le futur cinématographique de ce monstre.

A la fin des années 1990, Peter Jackson qui tente de mettre sur pied un nouveau remake avec Universal : en vain. Il se console en réalisant sa trilogie monumentale LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, dont le succès lui permet de concrétiser son propre KING KONG. Un film spectaculaire et très ambitieux, mais qui, à l'aune de son prestigieux modèle, fait pâle figure. Au printemps 2017 arrive KONG : SKULL ISLAND, un projet Warner opportuniste, surfant sur le succès de GODZILLA et JURASSIC WORLD et avec le projet, à moyen terme, d'une nouvelle confrontation entre King Kong et Godzilla.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
50 ans
1 news
640 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
RECHERCHE
Mon compte
Se connecter

S'inscrire

Notes des lecteurs
Votez pour ce film
Vous n'êtes pas connecté !
8,15
13 votes
Ma note : -
Autres critiques