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Critique du film
TOM A LA FERME 2013

 

À 24 ans, Xavier Dolan joue à l'homme-orchestre : acteur, réalisateur, monteur, producteur de ses films... Véritable petit génie qui enflamme les critiques comme le public, qui à l'insolence de recevoir un prix à Cannes, recueillant en si peu de temps tous les éloges, forcément c'est un homme qui agace ! Pourtant, son quatrième film est un peu un ovni dans sa filmographie. Plus classique, plus posé, moins clipesque, moins pop aussi... Il touche au thriller psychologique et s'enfonce dans la perversion avec brio ! Il démontre une réalisation subtile et brillante en adaptant, avec TOM A LA FERME, une pièce de théâtre.

Avec son titre qui sonne comme celui d'une aventure de Martine, TOM A LA FERME évoque, en quelque sorte, une innocence perverse qu'on imagine forcément bafouée. Le film relate l'histoire d'un jeune homme qui se rend à l'enterrement de son amant. Homosexuel assumé, poète à ses heures perdues, dandy à sa manière et sensibilité à fleur de peau, le personnage principal n'a à l'évidence jamais quitté le milieu urbain. Il se retrouve alors face à une campagne pas vraiment sympathique : crasseuse, boueuse, avec des visages fermés, abimés et solitaires... Confronté à ce milieu rural hermétique, il va aussi devoir affronter la famille de son amoureux décédé ainsi que les habitants de cette farouche campagne. Cette confrontation prend alors des allures de conte social. Mais TOM A LA FERME va bien au-delà d'une simple leçon de vie et met en place une relation dominant / dominé qui n'est pas sans rappeler CALVAIRE. L'agressivité et la méchanceté du frère instaure assez vite un rapport violent, cassant, parfois surréaliste, bouleversant d'émotions intenses et surtout rempli d'une perversion absolue. La brutalité de TOM A LA FERME, ainsi que la perversité de ce qui est décrit, se rapproche d'un film d'horreur. La séquence dans la forêt, comme celle dans le champ de maïs, ne laisse planer aucun doute là-dessus. Tom doit survivre et s'enfuir. Il doit échapper aux griffes du monstre que représente ce frère, Francis. A la fois charmant dans l'image du paysan rugueux, un peu rustre dans ses manières cachant une facette qu'on pourrait croire sensible. Mais, il est tout simplement déviant et pervers. Au fond, il ne désire que dominer les êtres autour de lui. La séquence dans les champs de maïs est la plus évocatrice de ce rapport lorsqu'il maintient Tom au sol et lui crache au visage dans une séquence qui est d'une violence absolue. Elle brise alors tout ce que l'envoûtante et délicate mise en scène avait mise en place auparavant.

On sent l'esthétique léchée du réalisateur très présente. Pourtant très vite, elle s'efface, dans une recherche d'émotions intenses, pures et brutales. Le choix d'ellipses assez fortes en est la meilleure illustration. Tout d'un coup, un gros plan d'une intensité folle, sur des yeux humides soutenant toute l'émotion du monde, s'impose à nous, et ce sans qu'on sache ce qui s'est déroulé avant. On doit supporter la violence des images qui nous est imposée, avant de comprendre, à demi-mots, ce qui a pu se produire, sans que jamais quoi que ce soit ne nous le confirme. Ce mystère est omniprésent, les personnages ne sont présentés que comme des esquisse, leur passé trouble n'apparaît qu'en bref instant, de manière cryptique, pas forcément lisible au premier regard. Tout est fait pour que les pistes demeurent brouillées, et que l'émotion demeure la principale trame du film. Il n'y a pas d'indice ou très peu sur le passé des personnages, sur le pourquoi du comment, on devine, on pressent, mais il est impossible de deviner la suite.

Cette narration mêlée à la confusion et à la perversion de l'antagoniste rend la lecture du film trouble et nous oblige à rester dedans, pleinement dedans pour savoir ce qu'il va advenir, impossible de jouer aux devinettes. On est totalement et irrémédiablement plongé à l'intérieur de cette histoire de perversion. Et c'est justement ce qu'il faut pour que tous les mécanismes mis en place fonctionnent. Certains artifices sont visibles comme le changement de format. D'autres s'avèrent plus subtils comme les gros plans qui amènent des séquences particulièrement intenses. La réalisation fourmille d'idées, certaines riches, d'autres moins, mais on ne peut reprocher à Dolan d'essayer, de triturer, de trifouiller, de bidouiller, pour rendre son cinéma plus puissant et plus vrai. Il nous fait penser à des cinéastes français, à des Dumont et à des Noé. Des cinéastes nullement évoqués par hasard, eux aussi ont utilisé les codes du film d'horreur et ont joué avec pour livrer des œuvres hors norme, marginales et différentes de ce que l'on a pu voir. TOM A LA FERME est aussi un ovni parce qu'il utilise les codes de l'épouvante, ses ellipses tendent vers le jump scare en nous basculant tout d'un coup dans des images violentes sans qu'on y soit préparé. Le cinéaste contraste ainsi les images plutôt douces, d'amour, de tendresse et de deuil qui soudainement disparaissent face à une violence inattendue venant du frère qui se transforme en une sorte boogeyman aux apparitions soignées et empreintes de mystère.

Perversion, brutalité, marasme campagnard, scandales enfouis sous la paille et dénis, plus l'on s'enfonce dans le film, plus on sent le malaise nous prendre à la gorge. Très vite, le ton est donné. On quitte peu à peu le deuil et la tristesse pour s'enfoncer dans un cycle de dominant et soumis qui s'avère violent, pervers, et souvent gratuit puisque Francis, le frère, demeure peu lisible. Ses raisons sont difficiles à comprendre. Son charme dont il se vante ne semble perceptible que pour Tom. Celui-ci nous décline un syndrome de Stockholm assez marqué, mais qui ne manque pas de finesse, ni de subtilité. Pour autant, le défunt reste présent, en filigrane, jaillissant par de bref, mais intenses moments, quand la réalité masquée par le mensonge familial ressort, que ça soit par une astuce de Tom ou bien par une scène très forte où la mère de famille se décide à poser enfin les bonnes questions. Car nous entrons d'abord dans le film par la voie du deuil, de la découverte des différentes facettes d'un défunt. Ses proches, dont Tom, ne disposaient pas d'une image complète du disparu avant sa mort. Pour Tom, le fait qu'il provenait de la campagne est une découverte. De son côté, la famille ignore la sexualité de celui qui était considéré comme le fils prodige. Le contraste entre le classicisme de la mise en scène et les accès de violence du film se retrouve aussi dans les personnages. La relation avec la mère est tout le contraire de celle entretenue avec le fils. En douceur et en finesse, c'est cette nouvelle opposition qui rend la violence de Francis toujours plus tranchante, plus choquante encore pour le spectateur.

En bref, TOM A LA FERME est chaudement recommandé. Usant des ressorts du film d'horreur, avec une ambiance digne d'un REBECCA, TOM A LA FERME est une réussite, un bon film qui n'a rien d'arty.

Rédacteur : Sophie Schweitzer
Photo Sophie Schweitzer
Passionnée de cinéma et littérature de genre, elle a fait des études de cinéma et travaille désormais comme cadreuse. A côté de son travail, elle écrit des nouvelles fantastiques et horrifiques.
36 ans
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