Header Critique : GRAND ALLIGATOR, LE (IL FIUME DEL GRANDE CAIMANO)

Critique du film et du DVD Zone 2
LE GRAND ALLIGATOR 1979

IL FIUME DEL GRANDE CAIMANO 

Amorcée en 1978 par LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE, la trilogie “orographique” de l'italien Sergio Martino confronte ensuite le spectateur aux créatures étranges du CONTINENT DES HOMMES POISSONS (1979) avant de l'entraîner en terre africaine à la rencontre du GRAND ALLIGATOR (1979). Devenu culte depuis, la réinterprétation européenne de L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU (THE ISLAND OF DR. MOREAU de Don Taylor, 1977) tend à éclipser une petite soeur elle-même apparentée aux célèbres DENTS DE LA MER ainsi qu'aux films de monstres américains qui s'y rattachent. LE GRAND ALLIGATOR convoque pourtant une bonne partie de l'équipe présente sur les plateaux de son illustre prédécesseur. La sublime Barbara Bach retrouve ainsi Claudio Cassinelli pour être superbement mise en image par un Giancario Ferrando en très grande forme. Massimo Antonello Geleng prend une nouvelle fois en charge la direction artistique d'une œuvre enrichie par d'ingénieux effets spéciaux conçus par Carlo De Marchis et Paolo Ricci.

L'histoire s'avère fort simple. Un jeune photographe (Claudio Cassinelli) se rend dans un luxueux hôtel près d'un village kuma en pleine forêt vierge. Si la rencontre avec une belle anthropologue (Barbara Bach) constitue l'indéniable point positif du voyage, ce dernier perd de son charme lorsqu'une mystérieuse bête vient à assassiner un indigène et une touriste.

Le GRAND ALLIGATOR assoit d'emblée son univers de référence en empruntant au genre certaines de ses figures majeures. Un photographe humaniste s'allie à une belle blonde en vue d'éradiquer le monstre à l'origine de la disparition d'un indigène et de touristes. Ces derniers n'échappent pas à la caricature pour se poser en décalage avec le cadre sauvage au sein duquel ils évoluent. Commentaires sur l'acoustique des chambres d'hôtel, soirées sophistiquées au bord de la piscine, idylles sans lendemain et déhanchements de lolitas en bikinis, figurent un monde fait de casquettes et d'appareils photo dont l'antagonisme entre l'hypocrite propriétaire de l'établissement (Mel Ferrer) et une enfant extrêmement franche, en reproduit le fonctionnement manichéen. Opposés à ces emblèmes de la Modernité, les kumas font également les frais du soubassement référentiel. Comme vissés à leur tam-tam, ces êtres peinturlurés enchaînent invocations de dieux et cérémonies funèbres en évitant, explique l'intelligente anthropologue, de s'accoupler à la pleine lune. Un missionnaire illuminé et une femme noire nymphomane surenchérissent l'exotisme du tableau.

Synthèse des archétypes issus de l'Aventure traditionnelle, des films de cannibales à l'italienne et des récentes histoires de monstres américaines, LE GRAND ALLIGATOR assume pleinement son héritage. Belle captive à libérer, folklore indigène, faune exotique, cascades paradisiaques et bête monstrueuse, alimentent une intrigue qui, faute d'être originale, demeure grandement menée.

En effet, le savoir-faire du réalisateur parvient à compenser l'apparente faiblesse du scénario. De fait, le film exploite ce qui pourrait a priori le desservir. Conformément à la carrière d'un cinéaste connu pour sa polyvalence, LE GRAND ALLIGATOR revendique la multiplicité un peu “fouillie” des références pour proposer au spectateur une œuvre baroque, subordonnée à l'esthétique grotesque d'une mise en scène éclatée. Bien que souvent utilisée ici, l'alternance classique des plans d'ensemble et rapprochés se trouve reformulée en enchaînement de ralentis et de surdécoupages. La première attaque de l'alligator est exemplaire sur ce point. Les séquences montrant l'assaut du monstre bénéficient d'un montage dynamique tandis que celles, simultanées, nous présentant une discussion entre les amants, comportent des ralentis. Comme à son habitude, Sergio Martino exploite l'interaction de procédés fort différents, voire opposés, pour imprimer un rythme particulier et susciter l'angoisse. Les quelques apparitions du saurien confirment ce parti pris. Durant quarante minutes, l'alligator se montre très brièvement au spectateur qui doit alors se contenter d'un œil, de crocs, d'écailles ou de morceaux de queue. Dans la lignée des DENTS DE LA MER et autres productions du genre, la synecdoque s'explique d'abord par d'évidentes restrictions budgétaires. D'autre part, le procédé s'inscrit dans la logique d'une œuvre désireuse de faire éprouver au public l'éclatement réel et symbolique de l'Harmonie universelle.

À ce propos, Sergio Martino conforme sa conception de l'intrusion du Mal moderne au sein de Mère Nature à celle de ses prédécesseurs. À l'instar de CANNIBAL HOLOCAUST, le film dénonce la présomption d'une civilisation visant à asservir la jungle à son pouvoir économique et culturel. Ainsi LE GRAND ALLIGATOR évoque t-il la construction d'un luxueux hôtel en pleine forêt. L'irrespect du lieu nourrit l'ironie de maintes séquences dont celle nous dépeignant la progressive destruction du dit locus amoenus. Néanmoins, l'artiste élargit son champ de réflexion en intégrant cette critique dans le cadre d'une mise en abyme édifiante. Si Deodato pointait du doigt une certaine forme de voyeurisme audiovisuel, Martino réinterprète le thème en termes cinématographiques, par le biais d'une parodie des films de genre. Tels des acteurs, les indigènes simulent des scènes de massacre, s'aspergent le visage pour effacer leur maquillage et préfèrent le jean au pagne. D'un autre coté, les touristes endossent le rôle du réalisateur pour diriger les autochtones ou éclairer la faune environnante à l'aide de projecteurs.

Finalement, LE GRAND ALLIGATOR consacre le savoir-faire d'un réalisateur bien décidé à transfigurer certaines contraintes (économiques et culturelles) liées au genre en exercice de style, certes modeste, mais efficace. Pari gagné, le film se laisse regarder sans déplaisir.

Sorti une première fois chez les marchands de journaux, sous le titre LE DIEU ALLIGATOR et dans une édition plus spartiate, le film de Sergio Martino ressort dans une version plus fournie et sous un nouveau nom (rappelons que lors de sa sortie en salles en juin 1980, le film s'appelait tout simplement ALLIGATOR). La réédition du film offerte par Neo publishing présente une copie respectueuse du format scope original, en ajoutant pour notre plaisir le 16/9ème. Nonobstant, l'image demeure “laiteuse” (manque de contraste), faiblesse accentuée par une dominante rouge et une légère intermodulation de chroma (images qui “bavent”). En version originale sous-titrée comme sur le doublage français, le son mono reste tout à fait correct, en proposant des basses toutefois un peu plus péchues dans le second cas.

Les bonus inédits également en 16/9ème, qui complètent l'édition nous offrent la possibilité d'entendre le cinéaste parler d'un film qui, de son propre aveu, n'inspire “aucune nostalgie”. Néanmoins, les huit minutes d'interview s'avèrent fort instructives pour ceux qui s'intéressent à la façon dont fut perçue la vulgarisation des “prises de son direct” à la fin des années 70 en Italie. Comme ses prédécesseurs, le troisième opus de la série “Petit désordre entre amis” ici fort logiquement intitulé “Terzo tempo”, donne la parole à trois fidèles compagnons du réalisateur, le directeur photo Giancarlo Ferrando, le scénographe Massimo Antonello Geleng, et l'un des techniciens des effets spéciaux Paolo Ricci. Les trois amis reviennent non sans humour sur un tournage haut en couleur en étayant leurs souvenirs d'anecdotes fort amusantes. Le naturel des personnages permet ainsi au cinéphage d'apprécier le rapport toujours très ambigu entretenu par ce type de “bis” italien vis à vis de modèles américains tout à la fois revendiqués comme tels et distanciés. Seul bémol, l'absence de véritable conduction de l'interview laisse les trois hommes tergiverser comme bon leur semble. Résultat, la pudeur d'un Paolo Ricci, en retrait par rapport aux deux autres intervenants, aurait certainement pu alimenter bien plus la discussion par un savoir que l'on devine immense.

Fiche technique (deux écrans), filmographies, galerie photos (sept affiches et douze photos d'exploitation), très beau diaporama et bande annonce complètent enfin un DVD indispensable pour ceux capables d'apprécier l'intégrité foncière d'un cinéma visant d'abord à divertir par un dépaysement géographique, fantasmatique (ah, Barbara Bach !) et cinématographique (époque révolue des films de genre artisanaux, dixit Martino). En bref, un exotisme de qualité.

Rédacteur : Cécile Migeon
46 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Renouer avec la vocation première du cinéma: divertir
Une sérigraphie bien sympathique
Les menus bien animés sans être trop longs
Les très beaux dessins de préparation livrés par le diaporama
On n'aime pas
La qualité moyenne de l’image
La non-conduction d’interview de “Petit désordre entre amis”.
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L'édition vidéo
IL FIUME DEL GRANDE CAIMANO DVD Zone 2 (France)
Editeur
Neo
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h25
Image
2.35 (16/9)
Audio
Italian Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Petit Désordre entre amis : Terzo Tempo (14mn50)
    • Sergio Martino sur Il Fiume Del Grande Caimano (8mn04)
    • Fiche technique
    • Filmographies
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