Header Critique : FELINE, LA (POCKET)

Critique du film et du DVD Zone 2
LA FELINE 1942

CAT PEOPLE 

Irena Doubrovna est une jeune et séduisante femme, dessinatrice de mode mais aussi célibataire. Une solitude imposée par une crainte liée à ses origines : sa famille serait porteuse d'une malédiction ancestrale. Les descendantes sont vouées à se transformer en panthère si elles succombent à l'amour. Or celui-ci se manifeste sous la forme d'un charmant américain, Oliver, qu'elle épouse malgré son appréhension. Comme elle est incapable de s'offrir à son mari, le couple va s'étioler graduellement jusqu'à ce qu'une rivale se présente attisant les démons qui sommeillent en Irena.

C'est dans les années 30 que débute l' «Age d'Or» de l'Horreur aux Etats Unis avec DRACULA, FRANKENSTEIN, LA MOMIE, DR JEKYLL ET M. HYDE et autres adaptations sur grand écran de la littérature fantastique. Les années 40 marquent l'avancée de l'épouvante et la fin des années 50 sera marquée par la reprise du flambeau par la Hammer Films en Grande-Bretagne. Auparavant, en France, le genre fantastique s'empreint d'une poésie que l'on retrouve dans LES VISITEURS DU SOIR de Marcel Carné, LA MAIN DU DIABLE de Maurice Tourneur, LA BELLE ET LA BETE de Jean Cocteau ou encore LA BEAUTE DU DIABLE de René Clair.

Réalisateur de LA FELINE, Jacques Tourneur démarre sa carrière cinématographique en France au début des années 30, comme monteur ( notamment des films de son père Maurice Tourneur) mais aussi comme assistant et scénariste. Il passe à la réalisation pour quelques métrages avant de s'expatrier aux Etats-Unis où il effectuera le plus gros de son oeuvre parcourant différents genres mais surtout le fantastique où il se démarque par son style elliptique tout en non-dit.

C'est en 1942 que Jacques Tourneur réalise LA FELINE. Comme toute série B, la production est contrainte financièrement donc pas de petites économies : on (ré)utilise des décors existants (l'escalier menant chez Irena est une récupération du décor de LA SPLENDEUR DES AMBERSON d'Orson Welles) et on évite ou limite les effets spéciaux. Le tout sera immortalisé sur pellicule en 21 jours pour un coût final de 130.000 dollars. Agréable stupéfaction, la sortie du film sera accueillie avec succès ce qui permettra à la maison de production RKO, en plein marasme suite à l'échec au box office de CITIZEN KANE du même M. Orson Welles, de renflouer ses caisses grâce au profit généré (déjà un million de dollar cette même année).

Le parti pris de LA FELINE étant de ne pas montrer de front l'horreur, le film laisse l'esprit du spectateur sillonner ce qui lui est suggéré. Et ça marche. Nul besoin d'effets numériques révolutionnaires, Tourneur nous fait croire à l'existence d'un «monstre» de façon subtilement habile, par des preuves de son passage : des moutons tués, les empreintes d'un animal sauvage se poursuivant en foulée de talons aiguilles. Un fantastique invisible qui fit son chemin parmi des films de référence, on pense entre autres et bien plus tard à LA MAISON DU DIABLE de Robert Wise (le cinéaste ayant d'ailleurs fait ses premières armes à la RKO).

LA FELINE s'appuie sur un cadre réaliste, sur fond de mélodrame, dans lequel on introduit un soupçon de fantastique alimenté par une légende slave. Sans pour autant s'ancrer pleinement dans l'extraordinaire, le film tend vers le film noir, genre apparu dans les années 40. On y retrouve les ingrédients habituels : un homme qui se retrouve malgré lui embarqué dans une situation problématique, un pessimisme ambiant menant à une issue létale, la jalousie, le meurtre etc... Et, bien sûr, la femme fatale représentée par le personnage ambigu d'Irena et interprétée par l'actrice Simone Simon décédée cette année (2005).

LA FELINE reprend par ailleurs les codes visuels du film noir avec une mise en scène influencée par le cinéma expressionniste allemand. Le directeur de la photo Nicholas Musuraca avait notamment travaillé avec Fritz Lang. L'éclairage est très contrasté faisant la part belle à l'ombre chargée de traduire à escient le fantastique, le danger. La fameuse scène de la piscine crée une atmosphère inquiétante à partir de peu de chose, l'ondoiement de l'eau se reflétant sur les murs et le plafond devient une menace emprisonnante soutenue par le grondement d'une bête invisible. La mise en scène enferme ainsi les personnages dans des espaces réduits comme cette poursuite dans une ruelle alternant lueur ponctuelle des réverbères et zones d'ombre appuyée par un cadrage serré pour mieux nous faire sursauter face à l'inconnu du hors champ. Outre l'ambiance, ce clair-obscur tranchant crée une composition d'image esthétique : lors d'une séance d'hypnose, Irena est plongée dans le noir d'où seul émerge son visage.

Par moments, on retrouve ce qui a pu être source d'inspiration pour Hitchcock, notamment dans PAS DE PRINTEMPS POUR MARNIE. Le plan du baiser n'est pas sans rappeler Sean Connery se penchant pour embrasser une Marnie frigide (Tippi Hedren). Même l'histoire s'en rapproche d'ailleurs, Irena rejette l'intimité et ne peut consommer son mariage, à cette différence que le trouble mental est ici présenté sous la forme du fantastique.

Oliver, personnage rationnel, ne peut croire à la supposée malédiction selon laquelle tout contact charnel transformerait son épouse en une bête meurtrière. La société où vit cet homme est organisée selon une binarité opposant l'homme et la femme, l'étranger et les USA, la sauvagerie animale et la civilisation humaine, etc... Une logique bivalente et une rigidité que l'on retrouve d'ailleurs dans la mise en scène, le décor en ombre/lumière et formes géométriques. La scène d'introduction de LA FELINE est tout à fait représentative de la situation : Irena polluant l'espace après avoir jeté à terre une boule de papier (gâchant ainsi la beauté du parc), perturbe l'ordre établi par la société américaine.

On tente de rationaliser le mal d'Irena sous l'éclairage de la psychanalyse. Une incompréhension qui la pose en être différent par son origine étrangère et par son statut «hybride» de femme-féline. Malgré les tentatives mutuelles, on comprend vite qu'il n'y a pas de convergence possible entre les deux mondes. Ainsi l'héroïne est en perpétuel conflit intérieur entre le désir de se conformer et sa condition, créant de ce fait une ambiguïté dans ce qu'elle dégage.

Irena possède un côté animal qui suscite à la fois la peur et le désir. La malédiction évoque le tabou en plantant la panthère comme symbole de luxure, du Mal (lors d'une scène, l'employé du zoo évoque la panthère en référence à l'Apocalypse biblique). Sous des dehors angéliques, la jeune femme est en proie à la tentation et y succombe en dérobant au zoo, la clé servant à ouvrir la cage d'une panthère, permettant ainsi de libérer ses refoulements. Le déclic sera la découverte de la relation adultère de son mari qui attisera ses pulsions négatives. Un constat d'échec pour Irena à rentrer dans le moule.

Tout est très imagé, face à la menace, Oliver brandit une équerre comme un prêtre exorciseur brandirait son crucifix pour chasser le démon. Afin de rétablir la normalité, l'issue ne peut être que fatale. Même si elle rentre dans une logique, elle évoque aussi la victoire de l'ordre moral. Un dénouement qui s'avère somme toute conservateur.

Surfant sur la réussite de LA FELINE, une séquelle intitulée LA MALEDICTION DES HOMMES CHATS voit le jour en 1944 sous la direction du regretté Robert Wise (LE RECUPERATEUR DE CADAVRES, STAR TREK, LE JOUR OU LA TERRE S'ARRETA, WEST SIDE STORY...) qui réalisait ici son premier film. Une partie de l'équipe première est réembauchée, à savoir les acteurs formant le triangle amoureux ainsi que Dewitt Bodeen au scénario, Nicolas Musuraca en directeur photo et Roy Webb à la composition. L'original donne notamment lieu à un rip off sorti en 1946, THE CATMAN OF PARIS. En 1982, Paul Schrader (AMERICAN GIGOLO) réalise sa version remakée de LA FELINE avec en tête d'affiche Nastassja Kinski et Malcom McDowell (ORANGE MECANIQUE). Une version qui suit l'évolution du genre vers le démonstratif, avec une horreur plus exploitée visuellement et un érotisme plus présent.

Les éditions Montparnasse avaient déjà sorti précédemment LA FELINE dans une édition proposant un "master numérique restauré" (voir notre critique), puis un Coffret Jacques Tourneur regroupant la trilogie LA FELINE, VAUDOU et L'HOMME LEOPARD. Concernant la première édition, nous avions été indulgent en ce qui concerne la qualité globale mais ce que l'on pouvait accepter il y a cinq ans est un peu plus problématique aujourd'hui. Sur cette nouvelle édition, l'image, au format, laisse apparaître quelques poussières et griffures. On regrette une perte de détails et de définition à certains moments. Un défaut sans doute à imputer à l'âge du film mais qui aurait certainement pu être corrigé tout comme le fait que la compression numérique se fait parfois sentir. Le son est en mono d'origine, relativement clair, il souffre parfois d'un léger souffle. Le disque propose en outre une piste audio en version originale avec ou sans sous-titrage.

Dans cette nouvelle édition que l'on qualifiera de "poche" en raison de son format, le seul supplément nous est proposé par Serge Bromberg, passionné des films anciens et créateur de la société de production Lobster Films, il porte la multi-casquette de restaurateur de films, producteur, animateur, directeur de festival et éditeur de DVD. Ce monsieur nous présente donc une introduction au film agréable et instructive. Imposée à l'enclenchement disque, il est possible de la revisionner indépendamment.

Avec un budget réduit LA FELINE crée une œuvre plus orientée vers l'esthétisme que la démonstration de l'horreur. Par son évocation toute en pudeur, LA FELINE tient finalement plus du drame que du fantastique. La copie n'est pas exempte de défauts mais cette édition minimaliste est proposée à petit prix.

Rédacteur : Sandrine Ahson
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L'édition vidéo
CAT PEOPLE DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h16
Image
1.33 (4/3)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
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