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Critique du film et du DVD Zone 1
INK 2009

 

La nuit tombée, alors que nous nous endormons, des êtres invisibles apparaissent, répartis en deux camps. Les «Storytellers» s'infiltrent dans nos chambres pour nous confier de «beaux» rêves tandis que les «Incubis» viennent nous apporter des cauchemars. Cet équilibre entre le bien et le mal est bousculé une nuit par une âme damnée du nom de «Ink». Ce dernier va kidnapper une petite fille et disparaître dans l'espace temps. Une équipe de «Storytellers» se lance aussitôt à sa recherche. Pendant ce temps, dans la réalité objective, la petite fille est plongée dans le coma. Une situation qui obligera son père à réfléchir sur ses responsabilités, lui qui a abandonné son enfant à ses beaux-parents suite à la mort tragique de son épouse.

Attention, gros coup de cœur ! Débarquant de nulle part, INK est une surprise d'autant plus exceptionnelle que l'on ne l'avait pas vu venir. Le film est l'œuvre de Jamin Winans, un jeune metteur en scène américain qui s'était fait remarquer grâce à son excellent court-métrage SPIN mettant en scène un DJ qui remonte le temps grâce à ses platines disques. Le succès de ce court encourage Winans à passer au long en 2005. Produit en indépendant avec un budget très faible, 11:59 ne crée pas l'événement malgré des critiques extrêmement positives. Winans s'atèle ensuite à l'écriture de INK dans le but d'attirer l'attention des studio américains avec ce conte surnaturel. Malheureusement, aucun studio ne répond positivement face au projet. Cela aurait dû être la fin de l'histoire. Mais Jamin Winans et sa femme Kiowa, productrice, ne le supporte pas. Ils décident de concrétiser INK avec leurs propres moyens.

Doté d'un budget absolument ridicule compte tenu des ambitions du projet, le couple multiplie les casquettes. Déjà auteur du scénario, Jamin Winans réalise, monte, s'occupe d'une partie des effets spéciaux et compose la musique du film (sans parler de son activité de «producteur exécutif»). Sa femme Kiowa produit mais prend également en charge la direction artistique, les décors, les costumes mais aussi toute la post-production sonore. Le tournage se boucle tant bien que mal dans les environs de Denver grâce à des acteurs locaux. Un premier montage achevé, le couple Winans repart à l'assaut des distributeurs pour faire exister leur film. Un nouvel échec les assomme lorsqu'ils font à nouveau choux blanc. Ils décident alors de tourner intensivement en festival tout en préparant eux-mêmes la distribution vidéo du film via leur société de production Double Edge Films. C'est à ce moment que le miracle de INK se produit. Aguichés par les critiques dithyrambiques issues des festivals, les internautes se mettent à pirater une version du film traînant sur les sites de partage. Le bouche à oreille se répand massivement grâce aux clics des pirates, certains sites parlant d'un pic de 400.000 téléchargements en un seul week-end. Grâce à ce coup d'éclat, le couple Winans voit ses commandes de DVDs et Blu-ray augmenter considérablement. Présent aussi sur le marché de la VOD, INK produit des scores insolents comme lorsqu'il s'incruste à la quatrième place des films de science-fiction les plus téléchargés sur iTunes, derrière STAR TREK de J.J. Abrams ou encore DISTRICT 9 de Neill Blomkamp. INK est in fine un succès, porté par une armée de fans en contact direct avec le couple Winans via les sites de réseaux sociaux.

Au-delà de sa victoire sur Hollywood, au-delà de son buzz sur internet (très important aux Etats-Unis), INK est un film incroyablement inventif, sensible et intelligent, noir et lumineux à la fois. Il met en scène des personnages à la limite du conte de fée moderne, tel que le conçoit par exemple Neil Gaiman dans certains de ses travaux comme la série des Sandman. L'idée que les «Storytellers» et les «Incubis» évoluent dans une réalité «superposée» à la notre, réglant un conflit dans les interstices invisibles de notre monde, renvoie désormais à MATRIX. A l'instar du blockbuster des frères Wachowski, INK bénéficie même de quelques scènes d'action au corps à corps. Mais si l'on devait ne retenir qu'une référence, ce serait le DARK CITY d'Alex Proyas. INK est clairement influencé par la société secrète du film de Proyas, société qui agissait pendant le sommeil des êtres humains. Graphiquement, le film de Winans montre même quelques similitudes notamment via le costume des «Incubis». INK pousse cependant le concept plus loin en plaçant devant le visage des créatures une glace déformant leur reflet. Et lorsque les «Incubis» décident de baisser cette façade le temps d'un ultime combat, ce sont leurs lunettes qui émettent une vive lumière. Une lumière destinée à cacher leur regard, miroir d'une âme qu'ils ont abandonnées depuis longtemps.

S'il met en place une mythologie cohérente et visuellement bluffante, la raison d'être de INK est ailleurs. Le film mise sur une narration éclatée entre le passé, le présent, le rêve et les différents espaces de réalités dans lesquels évoluent les personnages. En terme d'images, Winans choisi de les teinter de codes couleurs flagrants pour nous donner quelques repères. En terme de récit, le cinéaste est déjà plus ambigu. Il nous laisse volontairement un peu perdus dans son univers durant la première partie du film avant de commencer à intégrer au fur et à mesure des éléments de compréhension. Le récit, jusqu'alors collé aux «Storytellers» lancés à la poursuite de Ink, bifurque sur l'intimité du personnage jusqu'alors le plus ingrat de l'histoire, John (Christopher Kelly), le père de la petite fille kidnappée. En s'enfonçant dans les souvenirs de cet homme froid et odieux, le film met à jour un passé tragique et bouleversant. Au fur et à mesure que INK avance vers sa conclusion, les éléments de Fantasy et de science-fiction s'estompent peu à peu pour laisser le champs libre au véritable sujet du film : le portrait d'un homme brisé essayant de reconnaître l'amour qu'il porte à sa petite fille, reconnaissance qui l'obligera à accepter la souffrance engendrée par la mort de son épouse.

INK est donc une réussite exceptionnelle. Touchant et aérien, le film est porté par des scènes hypnotiques et magiques, comme lorsque l'un des «Storytellers» décide de créer une réaction en chaîne de micros évènements qui influenceront pourtant considérablement l'issue de l'histoire. Le final, qui voit les «Storytellers» et les «Incubis» s'affronter dans un hôpital tandis que le père ère à la recherche de sa fille, est à couper le souffle. La superbe musique, signée de la main de Jamin Winans, est pour beaucoup dans la sensation d'apesanteur que l'on ressent à la vision de INK. Pour profiter convenablement du film, il ne faudra cependant pas être trop réfractaire au rendu très numérique de l'image. Shooté en HD, INK mise fortement sur des filtres de diffusion de lumière et a régulièrement recourt à des astuces de stylisation (comme de rajouter des bords flous tout autour de l'image). Le rendu de l'ensemble, très différent de l'image cinéma classique, ne sera pas au goût de tout le monde. Il serait pourtant dommage de ne pas tenter de dépasser ce parti pris tant INK est un film qui parle à l'âme. Petit ou gros budget, on n'avait pas vu ça depuis très longtemps. Trop longtemps.

Ne bénéficiant pas de distributeurs, INK est disponible en VOD ou directement en import depuis la société du couple Winans en DVD ou Blu-ray (tous deux en «Region Free» donc lisibles sur tous les lecteurs). S'il est possible d'acheter le film depuis des sites de vente en ligne connus, nous vous recommandons chaudement de vous procurer l'une des éditions depuis le site du cinéaste www.doubleedgefilms.com. En plus d'avoir la satisfaction de lui donner directement vos sous, vous recevrez votre disque dédicacé de la main de l'artiste. Le DVD offre une image bien définie même si quelques petits artefacts de compression apparaissent furtivement au détour de certains plans (comme l'accident de voiture ouvrant le film). Petit budget oblige, le film n'a été mixé qu'en stéréo. La piste est très efficace même si l'on aurait aimé que INK bénéficie d'une piste multi-canaux. A noter que le DVD propose des sous-titres en espagnol et en anglais là où le Blu-ray n'en propose aucun. C'est la seule différence de contenu entre les deux supports.

Le disque offre quelques bonus dont un commentaire audio réunissant le couple Winans. Ces derniers nous expliquent de manière très didactique leurs astuces pour que le film puisse être au plus proche du scénario original malgré le manque d'argent. Contrairement à la majorité des productions indépendantes qui sont tournés sur des périodes très courtes pour favoriser les économies, les Winans ont fait le choix d'étaler les prises de vue sur quatre mois mais avec une toute petite équipe. Le manque de moyen est ainsi compensé par la minutie du détail qu'offre un tournage plus long. Au fil des propos, les époux nous font part de la dureté de l'expérience de faire un film en solo, sans le recul ni l'appui d'une production extérieure. Jamin Winans affirme avoir été déprimé en tournant le plan des «Incubis» aux lunettes lumineuses. Sans les effets, le plan lui paraissait idiot et peu impressionnant. Ce n'est qu'après la finition du métrage, des mois plus tard, que Winans pris conscience de la force de cette image relayée depuis sur tous les visuels liés à INK.

L'intérêt des autres bonus est malheureusement plus limité. Le making-of présent est en réalité une grosse bande-annonce d'un éventuel documentaire sur les coulisses du film. Sur dix minutes, le module brosse rapidement la production de INK, des répétitions au plateau de tournage pour s'achever sur un carton «à suivre». Frustrant, d'autant qu'il existe sûrement une excellente matière pour raconter le destin hors norme du film. Nous retrouvons ensuite le comédien Christopher Kelly et sa jeune partenaire Quinn Hunchar pour une interview mutuelle (et promotionnelle) à l'intérieur d'un café. Si le but de ces quelques minutes est toujours de vendre un métrage, cet échange permet de s'arrêter quelques instants sur le ressenti de la petite actrice qui n'avait alors jamais tourné dans un film. Une scène coupée très anecdotique avec les «Storytellers» nous attend encore, ainsi que deux bandes-annonces de INK.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
48 ans
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287 critiques Film & Vidéo
On aime
Un film qui parle à l’âme
Des séquences tour à tour bluffantes et magiques
On n'aime pas
On aurait aimé un véritable documentaire sur la production hors norme du film
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L'édition vidéo
INK DVD Zone 1 (USA)
Editeur
Double Edge
Support
DVD (Double couche)
Origine
USA (Zone 1)
Date de Sortie
Durée
1h46
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Anglais
  • Espagnol
  • Supplements
    • Commentaire audio de Jamin et Kiowa Winans
    • Behind the scenes (8mn38)
    • Coffee with Chris and Quinn (6mn35)
    • Scène coupée avec ou sans commentaire (1mn32)
    • Bandes-annonces
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