Header Critique : GEMINI (SOSEIJI)

Critique du film et du DVD Zone 2
GEMINI 1999

SOSEIJI 

Shinya Tsukamoto s'est fait connaître avec l'incroyable TETSUO, un film totalement survolté dont vous pourrez lire la critique ici. Le réalisateur ne s'est pas arrêté là, puisqu'il a très vite fait une suite tout aussi déjantée (TETSUO II) après un intermède avec HIRUKO, THE GOBELIN, suivie de titres non moins violents, dont l'un des derniers en date, TOKYO FIST, vous balançait quelques méchants coups de poings dans la gueule. GEMINI s'inscrit donc très curieusement dans la filmographie du réalisateur aux débuts cyberpunk prêt à exploiter toutes les possibilités des genres cinématographiques. Ainsi, il travaille actuellement sur une histoire qu'il voudrait pornographique, fondée sur un triolisme incongru, où une femme atteinte d'un cancer du sein se découvre une nouvelle sexualité et sensualité, qu'elle partage entre son mari et un obsédé.

GEMINI plonge le spectateur dans l'ambiance feutrée d'une clinique familiale qui fait aussi office d'habitation, à l'époque Meiji qui mit fin à la structure féodale du Japon à la fin du 19è siècle et qui favorisa une occidentalisation très rapide de sa culture. En cette période charnière, modernisme et tradition cohabitent en parfaite harmonie chez les bourgeois. Yukio, un jeune médecin qui s'est distingué sur le front (on suppose qu'il s'agit de la guerre Russo-Japonaise de 1904) et qui se fait une fierté d'avoir redonné l'espoir à de nombreux mutilés de guerre, partage la vie de Rin, et celle de ses propres parents, dans la demeure cossue (une vraie maison Meiji splendide). Ces derniers, des bourgeois aux idées très arrêtées, n'apprécient pas la jeune épouse de leur fils, amnésique depuis un terrible incendie qui a failli lui coûter la vie. Le fait de ne rien savoir du passé de leur bru leur fait redouter une filiation indigne de leur fils. Par ailleurs, et selon les dires de la mère de Yukio, il se passe des choses bien étranges depuis l'arrivée de la jeune femme dans la maison familiale.

Shinya Tsukamoto ne s'en cache pas, son cinéma puise son inspiration chez d'autres talentueux réalisateurs, parmi lesquels David Cronenberg ou David Lynch sont les plus représentatifs. Pas étonnant, donc, qu'il s'attaque ici à une sombre histoire de rivalité gémellaire, rappelant immanquablement le film FAUX SEMBLANT. Fait troublant, pour les deux réalisateurs, dont la carrière s'est faite largement en dehors du mainstream, on remarquera que pour chacun d'eux, c'est une histoire de jumeaux qui les éloigne de leur style habituel. Tandis que David Cronenberg est resté un temps dans ce genre plus épuré, Shinya Tsukamoto semble lui aussi suivre une orientation plus sage, en imaginant son prochain film déjà évoqué et qui s'intitulerait A SNAKE OF JUNE.

Mais si le jeune réalisateur japonais n'hésite pas à citer ses confrères (contrairement à d'autres qui auraient plutôt tendance à nier tout rapport entre leur film et des références pourtant évidentes !), il marque d'une signature inimitable ses films, et même GEMINI, dans un sens, ne viendra pas contredire ce phénomène, quand il s'agit de style. Ainsi, on pourra reconnaître au détour d'une scène presque figée, un mouvement de caméra nerveux, voire épilieptique. On s'étonnera aussi des costumes, de Michiko Kitamura, et des coiffures dont sont parés les gens des taudis, qui empruntent beaucoup à l'imagerie du Théatre Kabuki. On remarquera aussi cette référence dans d'autres films de Shinya Tsukamoto, notamment dans la façon de surjouer de ses personnages (les grimaces de l'homme, dans TETSUO) ou dans les maquillages masculins de certains de ses personnages (les stigmates qui apparaissent sur leurs fronts, dans TETSUO, toujours, les maquillages des vampires dans DENCHU KOZO, ou encore celui du personnage que Tsukamoto incarne dans TETSUO II). On s'étonnera d'ailleurs de voir que les sourcils des acteurs de GEMINI ont été maquillés, afin de les rendre invisibles, l'idée de la maquilleuse étant de leur donner une beauté inédite. Les sourcils sont en effet la partie du visage la plus expressive, pour les japonais. Enfin la musique de Chu Ishikawa, qui a signé les musiques de tous les films de Shinya Tsukamoto, vient s'imposer dans ce film avec une violence à peine dissimulée. On notera au passage une erreur sur la fiche technique présente dans le livret, qui indique une musique de Katsumi Yanagishima, qui est le directeur photo de quelques-uns des films de Kitano, et en aucun cas le compositeur de GEMINI. Difficile pour finir, d'oublier une photo très suggestive, faite de tonalités froides pour l'univers aseptisé dans lequel évoluent les riches, et de teintes rougeoyantes, chaleureuses pour représenter l'univers des taudis, le monde de Sutekichi, le frère abandonné. Autant d'indices qui témoignent de la signature du jeune cinéaste, marquant d'une empreinte discrète, certes, mais non moins évidente, ce film très étonnant.

GEMINI bénéficie d'un casting de qualité, grâce aux moyens que le réalisateur a eus pour faire ce film. En effet, le rôle principal est tenu par Masahiro Motoki, une vraie star au Japon, souvent récompensé par l'académie des Awards nipponne. Rin est interprétée par Ryo, dont c'était le premier rôle au cinéma, mais qui était déjà connue au pays du Soleil levant comme mannequin et pour avoir tourné dans des films réalisés pour la télévision. Les autres rôles, secondaires voire anecdotiques, sont eux aussi attribués à des acteurs célèbres, notamment l'homme riche, Naoto Takenaka, qui s'est fait connaître à l'extérieur de ses frontières grâce à son film en tant que réalisateur, MUNO NO HITO, obtenant un prix de la critique à La Mostra de Venise en 1999 ou encore le mendiant, interprété par Renji Ishibashi, qu'on a pu voir récemment dans AUDITION.

Pour réaliser ce film de commande, Shinya Tsukamoto a eu carte blanche, son producteur lui ayant accordé toute sa confiance. Ce dernier, Toshiaki Nakazawa président des studios Sedic International, est d'ailleurs le producteur le plus impliqué dans la production indépendante au Japon. Il a permis de faire connaître d'autres réalisateurs (Takashi Miike par exemple) ou acteurs et surtout de leur faire franchir les frontières de leur pays, leur donnant l'opportunité d'une carrière internationale. La seule directive portait donc sur l'interprète principal. Pour le reste, Shinya Tsukamoto a pu choisir les acteurs qu'il voulait, et puisqu'il en avait les moyens, s'est entouré des personnalités dont je vous parlais plus haut.

Ainsi, de film de commande, GEMINI, librement inspiré d'une courte nouvelle de Edogawa Rampo, intitulée Sôseiji (Les Jumeaux), devient un film personnel où Shinya Tsukamoto a pu laisser libre cours à son talent et à son imagination. Il a ainsi écrit le scénario en partant de la nouvelle du Edgar Allan Poe local (l'écrivain japonais, grand admirateur de ce dernier, s'est tout naturellement rebaptisé Edogawa Rampo, la prononciation de Edgar Allan Poe en japonais donnant ce résultat phonétiquement). Shinya Tsukamoto appréciant cet auteur depuis l'adolescence, comme la plupart des Japonais, le scénario s'est bien greffé à l'histoire originale, qui ne parlait que d'une rivalité entre deux jumeaux s'entretuant pour une femme. Le scénario va plus loin, faisant de cette dualité un paradoxe pour le spectateur. En effet, alors que dans la nouvelle on distinguait clairement la frontière entre le bien et le mal, Shinya Tsukamoto laisse volontairement floue cette question, pour susciter le questionnement sur ces deux notions parfois mal définies.

Ne nous étendons pas sur l'image, celle-ci est claire et nette. Autant ne pas se répandre inutilement. Par contre, pour l'audio, deux bandes sonores japonaises sont proposées. Pour la première, il s'agit simplement de la version originale en stéréo surround. Sans être exceptionnelle, elle remplit son office très correctement avec des ambiances enveloppantes et même quelques effets directionnels avant-arrière plus que satisfaisants. Dès lors, on s'étonne de la présence de la seconde bande-son qui n'est autre qu'un bidouillage Arkamys en 5.1. En dehors d'attirer les spectateurs équipés de grosses installation et ne comprenant pas pourquoi tous les films ne sont pas en multi-canaux, cela reste un mystère. Surtout que sur ce coup-là, en dehors d'une "puissance" sonore, pas mal d'effets subtils prennent des ampleurs disproportionnées. Ami éditeur, arrête de gaspiller ton argent en procédé aussi inutile que futile !

Non content de sortir en France ce film en DVD, l'éditeur a fait un très gros effort pour rendre cette collection très attractive. Pour ce qui est de ce disque, on découvrira avec bonheur un moyen-métrage de 45 minutes du jeune réalisateur japonais, DENCHU KOZO, adapté de l'une des pièces de théâtre du Kaiju Theatre, une troupe qu'il a créée étant adolescent, hommage aux Kaiju Ega dont il était fan. Tourné avant TETSUO, on retrouve dans ce moyen-métrage toutes les caractéristiques de ce qui allait faire très vite la réputation du réalisateur à travers le monde. De nombreuses connotations sexuelles, du sang qui gicle, une petite dose d'humour nippon, des caméras qui virevoltent dans tous les sens, des scènes filmées à 400 à l'heure, une des idées reprises dans TETSUO, dans lequel un téléviseur diffuse un court passage de ce petit film… Le son et l'image ne sont pas terribles sur ce moyen-métrage, c'est le moins qu'on puisse dire ! Il s'agit d'un drôle de film complètement expérimental où des vampires plongent le monde dans les ténèbres. Heureusement, Denchu, qui a un poteau électrique dans le dos (oui, vous avez bien lu !) est propulsé à travers le temps pour rendre la lumière au monde.

Mais ce n'est pas tout : une interview du réalisateur malheureusement assez courte et ne parlant à aucun moment de GEMINI puisque Shinya Tsukamoto n'y parle que de son prochain film ou presque. Pour en apprendre plus sur le film, il faudra donc lire les informations contenues dans le livret. Vingt pages de textes agrémentés de photos contenant deux interviews, des fiches artistique et technique, les mini-biographies de Shinya Tsukamoto et de Chu Ishikawa. Parfait pour en savoir davantage sur ce film et sur le jeune réalisateur. Enfin, on découvrira la désormais célèbre présentation de Jean-Pierre Dionnet et trois bandes-annonces. Rien que ça ! Quand on se souvient de ce que nous disait Dionnet lorsque nous l'avions interviewé. Les films de Shinya Tsukamoto étaient en projet chez Studio Canal, mais le matériel était tellement cher au Japon qu'ils ont dû se débrouiller pour en trouver d'autres qui satisferaient tout de même aux exigences de ces éditions. Dès lors, on ne s'étonnera pas que le Making-Of de GEMINI (réalisé par Takashi Miike) n'apparaisse pas dans la liste des bonus.

On remarquera une petite note négative, quand même pour cette édition française, puisque sur un lecteur de salon Pioneer, le disque que nous avons testé se bloque à 8'32 , et il nous a fallu faire une avance de deux secondes pour poursuivre le visionnage du film. Essayé sur des lecteurs Toshiba et DVD-Rom Pioneer, cette erreur ne s'est pas reproduite. Un bug qui ne devrait donc gêner qu'une infime partie des acheteurs potentiels.

Une édition indispensable à tout inconditionnel de Shinya Tsukamoto qui se respecte. Le prix de ces éditions étant tout à fait honorable si l'on considère le joli packaging et la présence des deux films, GEMINI et HIRUKO, THE GOBELIN, il serait dommage de s'en priver. D'autant plus que malgré le fait qu'il ne s'agisse pas d'un film personnel à l'origine, mais d'un film de commande, GEMINI est une des réussites de Shinya Tsukamoto, un film dans lequel il a eu l'entière liberté d'exprimer son talent.

Rédacteur : Nadia Derradji
Cofondatrice du site DeVilDead en l’an 2000, Nadia Derradji s’est, depuis, orientée vers d’autres projets personnels et professionnels.
55 ans
84 critiques Film & Vidéo
On aime
Ambiance de cauchemar sur fond zen
Très belles images et musiques
Denshu Kozo
On n'aime pas
Juste pour mettre quelque chose, le petit bug constaté sur un lecteur de salon Pioneer
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L'édition vidéo
SOSEIJI DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
2 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h24
Image
1.85 (16/9)
Audio
Japanese Dolby Digital Stéréo Surround
Japanese Dolby Digital 5.1<br>(Arkamys)
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Présentation de Jean-Pierre Dionnet
    • Interview de Shinya Tsukamoto (5mn)
    • Bandes-annonces (3)
    • Adventure of Denshu Kozo (moyen-métrage - 46mn)
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