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Critique du film
TETSUO : THE BULLET MAN 2009

 

Né d'un père américain et d'une mère japonaise, Anthony (Eric Bossick) vit à Tokyo avec sa femme (Akiko Monou) et son jeune fils Tom. Une existence sans aspérité si l'on excepte la paranoïa du père d'Anthony, scientifique de métier, qui l'oblige à des examens médicaux réguliers. Un jour, tandis qu'Anthony se balade dans les rues avec son fils, un chauffard fauche l'enfant volontairement. Fou de chagrin et de rage, le corps d'Anthony va peu à peu muter en un conglomérat métallique hérissé d'armes à feu.

Cela fait déjà vingt ans que le séisme TETSUO a fait trembler toute la planète cinéma. Avec son histoire de salary-man japonais se transformant en tas de métal, TETSUO imposait une métaphore incroyable de l'humain peu à peu avalé par le béton et l'acier de nos villes modernes. La forme, révolutionnaire, adaptait les principes du cinéma expérimental à la fiction pour un impact viscéral absolument étourdissant. Au travers de ce coup de maître, l'un des cinéastes les plus passionnants de notre époque, Shinya Tsukamoto, se révélait.

Trois ans plus tard, Tsukamoto signe TETSUO 2 : BODY HAMMER. Ni suite, ni remake, le film est une «variation» du même concept. Non sans provocation, Tsukamoto présente cet opus comme étant «le même film mais avec de la couleur». Plus orienté science-fiction, le film travesti pourtant l'idée de base en se concentrant sur des hommes se métamorphosant, certes en métal, mais surtout en armes de guerre. Les bras mutent en canon, les torses accueillent des mitrailleuses, tandis que le héros du film finit à l'état de tank prompt à raser la ville. Même si TETSUO 2 s'est rattaché avec le temps au statut culte du premier film, cette séquelle n'avait pourtant pas reçu, à l'époque, le succès escompté.

Alors que Tsukamoto construit la suite de sa carrière sur des histoires plus ancrées dans le réel, TETSUO 3 a longtemps été un fantasme réclamé par les fans toujours plus nombreux de son diptyque cyberpunk. Quentin Tarantino lui-même tente de co-produire un remake américain appelé FLYING TETSUO. Le film ne se fera jamais et Tsukamoto continuera de tourner ses films au Japon. Alors qu'il attaque les prises de vue en 2009 d'un film intitulé THE BULLET MAN, Tsukamoto estomaque ses fans en révélant sur le tard qu'il s'agit bel et bien de TETSUO 3. Tourné en langue anglaise, le film se déroule cependant à Tokyo. La majorité du casting reste japonais, mais le rôle principal est confié à un occidental quasiment inconnu, Eric Bossick. Tsukamoto avoue clairement vouloir s'ouvrir au marché international afin de bénéficier d'un meilleur budget pour enfin réaliser certaines idées folles qui lui étaient jusqu'alors interdites via ses maigres financements japonais. Pour autant, TETSUO : THE BULLET MAN ne semble pas avoir bénéficié d'une manne financière tant les décors sont peu nombreux et les effets spéciaux toujours aussi artisanaux (ce qui ne pardonne pas avec l'excellente définition de la HD dont bénéficie le film). Présenté en avant-première au festival de Venise, TETSUO : THE BULLET MAN reçoit de mauvais échos de la part d'un public qui lui semblait pourtant acquis. L'arlésienne s'est elle transformé en échec ? La réponse est non. Cet ultime volet de l'homme métallique est un monstre kinétique ultra abrasif à la hauteur de la réputation du cinéaste. Encore faut-il pouvoir (vouloir ?) vraiment l'encaisser.

A l'instar du second opus, il est une nouvelle fois difficile de parler de suite ou de remake tant Tsukamoto reprend certains fils des précédents films en les faisant évoluer de manière plus ou moins radicale. Le scénario est d'ailleurs un véritable collage de références aux deux premiers métrages : Anthony se transformant en une arme pouvant envoyer des balles de ses nombreux orifices, la mort de son petit garçon, l'accident de voiture, le Némésis du héros joué par Tsukamoto lui-même (et arborant le même t-shirt imprimé d'une croix), la course en vélo… Le cinéaste se permet de plus quelques clins d'œil à ses autres films en utilisant un costume issu de NIGHTMARE DETECTIVE ou encore au détour d'une séquence d'automutilation rappelant BULLET BALLET. Nous sommes donc bel et bien en terrain connu, à quelques différences près. Sûrement dans l'idée de ne pas froisser le marché américain, Tsukamoto abandonne les délires sexuels qui avaient tant marqués les spectateurs des deux premiers TETSUO. Plus grave, le scénario de TETSUO : THE BULLET MAN cherche à rationaliser le concept de l'homme se transformant en machine de guerre. Le destin d'Anthony est donc explicité au détour d'un argument (fragile) de série B qui amoindrit du même coup la force métaphorique du concept. Ajoutons à cela des comédiens japonais peu à l'aise avec la langue anglaise, et nous tenons un début d'explication à propos du rejet du film. TETSUO : THE BULLET MAN est narrativement raté !

Mais celui qui connaît bien les deux premiers TETSUO sait à quel point la narration n'a jamais été un argument pour ces métrages. Les TETSUO sont conçus comme des expériences viscérales, triturant le médium cinéma jusqu'à l'hystérie tout en densifiant l'espace sonore afin de nous donner l'impression d'être au premier rang d'un concert de musique noïse. L'ambition de TETSUO : THE BULLET MAN est bien de repousser les limites kinétiques des deux premiers films encore plus loin. Faisons l'impasse sur les scènes narratives du film, qui ne doivent d'ailleurs pas représenter plus de 10% du métrage. Arrêtons-nous sur les scènes fortes, unique justification de ce troisième volet : un générique malmenant le comédien principal sous des jets d'eau rythmé par un martèlement industriel, Anthony attaquant la voiture de son adversaire en la soulevant à mains nue et la lardant de balles, ou encore une course poursuite entre les interstices des immeubles de Tokyo. Tsukamoto bouge sa caméra encore plus fortement que jamais, accélère son montage jusqu'à un niveau d'abstraction jamais atteint, superpose les images entre elles jusqu'à ce que le concept de champ / contre-champ n'existe plus. Nous ne voyons parfois plus rien. Mais nous ressentons, toujours plus fort. La grande séquence du film, celle qui le justifie totalement, est cette attaque de l'armée dans la maison d'Anthony. Alors en pleine mutation, ce dernier se tord de douleur sous l'effet du métal compressant sa chair, se colle au plafond et répond a ses assaillants par une pluie de balles s'échappant de manière anarchique de son corps décharné, le tout sous les cris de sa femme. La forme ultra abrasive de la séquence, qui nous empêche de «lire» clairement l'image, nous fait adopter le point de vu émotionnel des personnages : la douleur physique et mentale d'Anthony, la panique de sa femme, la peur des soldats balayés par cet adversaire en extrême métamorphose. La scène devient alors un «flux» sensitif qui nous emporte complètement, saturant notre regard et notre audition pour mieux nous donner à «vivre» la furie de l'action.

TETSUO : THE BULLET MAN est donc une expérience extrême à ne pas confondre avec la mode de la «shaky cam» très répandue en ce moment dans le cinéma. Tel un artiste abstrait, Tsukamoto sculpte les images et les sons jusqu'à aboutir à une forme à peine figurative mais visant plus que jamais les tripes. D'une durée très ramassée, un peu plus d'une heure, TETSUO : THE BULLET MAN nous relâche épuisé par son broyeur cinématographique. Nous retenons du film quelques images éparses et mobiles, comme tirées d'un cauchemar sous fièvre. Nous retenons la musique exceptionnelle de Chu Ishikawa, le complice de toujours, secondé sur le générique de fin par Nine Inch Nails pour un morceau inédit. Nous retenons l'excellente performance d'Eric Bossick, dont la froideur bouillonnante se fond à merveille dans l'univers très japonais du cinéaste. Nous retenons aussi et surtout un frisson qui nous a parcouru l'échine durant toute la projection. En voulant s'ouvrir au marché américain, Shinya Tsukamoto a paradoxalement livré son film le plus fou et expérimental. Plus qu'un cinéaste, Tsukamoto nous prouve à chaque film qu'il est un auteur avant-gardiste. TETSUO : THE BULLET MAN est une nouvelle pièce passionnante de son œuvre, même si l'effort demandé pour en appréhender positivement les excès sera certainement bien au delà de la tolérance du grand public !

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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