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Critique du film
SURVEILLANCE 2008

 

Quinze ans après son controversé BOXING HELENA, Jennifer Lynch revient donc à la mise en scène. Accompagnée de quelques acteurs réguliers l'ayant accompagnée dans ses divers projets depuis 1993 (Kent Harper ou encore Charlie Newmark), elle présenta hors compétition au Festival de Cannes 2008 ce SURVEILLANCE qui ne laissa pas indifférent l'assemblée. Toujours délicat lorsqu'on est «fille de» de pouvoir se détacher de l'influence et l'aura du paternel afin de trouver sa propre voie (même si David garde ici la place de producteur exécutif…).

Suite au massacre de plusieurs personnes par un tueur en série, deux agents du FBI (Bill Pullman et Julia Ormond) viennent procéder à l'interrogatoire des survivants. Un flic retors (French Stewart), une junkie (Pell James) et une enfant (Ryan Simpkins) qui cachent tous pour une raison précise certains pans de la vérité.

Surveillance totale, craintes partagées, mensonges permanents. Jennifer Lynch a créé un jeu de dupes croisées entre chaque personnage qui se suspecte mutuellement. Cette surveillance commence par les écrans derrières lesquels Bill Pullman observe chacune des salles d'interrogatoire. Il scrute les mouvements, détermine le doute. Julia Ormond joue les électrons libres, tentant d'extirper à l'enfant le moindre détail susceptible d'éclairer ce qu'il s'est réellement passé.

L'œil. La caméra. L'écran. L'œil trompe, volontairement ou non. Si les deux agents du FBI surveillent (veillent sur ?) les protagonistes, il en va de même dans l'autre sens. L'enfant semble d'ailleurs particulièrement doué pour ce jeu. Tant il fit de même lors du meurtre de sa famille. Simple spectateur passif ou témoin actif ? Question triviale et pourtant cruciale : le sens du détail prime dans la progression de l'investigation.

Un troisième niveau de surveillance apparaît alors : le spectateur. Témoin de la scène des meurtres mais également des trois témoignages croisés, puis de l'enquête menée et donc des omissions, des maquillages de la (des) vérité(s), du drame qui se noue, de la tension qui monte, des théories qui s'échafaudent. Mais surtout des affrontements psychologiques et physiques qui en découlent.

La construction narrative demeure en ce sens plutôt adroite, à la fois pour perdre les personnages et le spectateur. Les pistes égrenées dans la première partie du récit sont là aussi pour tromper l'œil du spectateur, attirer son attention, sa «surveillance» du déroulement du récit. Pour mieux déjouer son œil. Des mouvements anodins qui ne le sont plus. Tout comme la clé de l'énigme qui se déroule subrepticement devant chacun sans que personne ne s'en aperçoive.

Il s'agit petit à petit d'une atmosphère de déviance qui se construit autour des relations. De trois récits à la RASHOMON montés en parallèle lié par un fil rouge représenté par l'enquête du FBI, le film aboutit à une scène nodale qui va le précipiter vers une nouvelle direction. Ces trois, plus un, récits ne font plus qu'un mais pas dans le sens que la mise en scène ne le laissée imaginer à tous (personnages comme spectateurs).

Comme si Jennifer Lynch avait élaboré un jeu savant, transgressif, aux confins de la sexualité. La violence comme catalyseur de la sexualité et vecteur charnel rejoint dans une certaine mesure le CRASH de David Cronenberg. Toute notion de justice, de morale commune se trouve dynamitée au profit d'un ordre moral atypique contraire à ce qu'un certain cinéma grand public américain aurait pu laisser entrevoir. Jennifer Lynch joue ainsi avec les codes utilisés par ce cinéma «mainstream» pour les délaisser et se diriger vers quelque chose de plus extrême. Une violence éruptive, des éclairs sanglants, un certain refus de l'ordre établi et la certitude que la cellule familiale ne représente plus le havre sacré du salut. Même si, finalement, le dernier plan laisse à penser que la réalisatrice n'a pas eu le culot de pousser son principe jusqu'au bout.

Tous les personnages apparaissent dans une sorte de désordre moral. Le policier (French Stewart) souhaite régner sur son petit monde et terroriser d'innocents conducteurs qui ont le malheur de passer devant lui. D'abord en provoquant une crevaison puis en jouant sur son statut dominateur de représentant de la loi. Le jeune couple qui se drogue, se croyant libéré de tout carcan social. L'enfant dont la mère est presque violentée par le policier. Le récit s'avère complexe, s'articulant autour des caractères oscillant entre vérités et mensonges. L'occupation de l'espace et la science du mouvement pointent sur les regards, les déplacements dans le cadre et l'attention portée sur des gestes à priori anodins. Jennifer Lynch créé ainsi une opposition entre les espaces clos des entretiens (ou la vérité se cache) et l'espace ouvert désertique de l'agression (ou le mensonge prend place).

La gestation du projet semble avoir été longue depuis son premier film. La construction du récit et l'aspect rugueux de la mise en scène indiquent des efforts sur chaque élément. La direction d'acteurs, la disposition des acteurs dans le cadre. Jusqu'à un certain point culminant –Eros et Thanatos, nos bien-aimés- où les thèmes entrelacés de la violence/du désir/de la douleur/de la mort semblent voués à un orgasme ultime. Et non réprimé. Impuni. Il y a très peu de frontières que SURVEILLANCE ne franchit pas, glissant le film vers un thriller trash, certes peu nouveau dans sa thématique, avec un Bill Pullman parfois en roue libre et une Julia Ormond au charme froid toujours plus sophistiqué.

Mais il s'agit d'un exercice salutaire pour un cinéma qui est soit dévolu à une hégémonie du nivellement par le bas (la politique des grands studios) ou à une conduite de l'extrême par la forme choisie ou le caractère graphique de sa représentation (la vague actuelle du «torture porn», par exemple). Jennifer Lynch n'a pas choisi un chemin simple pour s'exprimer mais qui se révèle parfois passionnant pour qui veut s'y perdre, en pardonnant les quelques scories d'agression sonore et visuelle parfois faciles.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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