2. Cinerama ! Cinerama !

Ce cru 2012 du WSW célébrait le 60ème anniversaire du Cinerama, apparu en 1952, avec une projection de trois bandes 35mm sur un écran incurvé, donnant une impression d'immersion dans l'image. Ceci avec un format de 2.89:1, sur un angle de 146°, avec un son doté de 7 pistes stéréophoniques. Seuls 10 films ont été tournés avec ce procédé, dont 8 travelogues et deux films scénarisés. Le souci principal demeure la disponibilité et l'état des copies. Les organisateurs du festival, dont on remerciera au passage Bill Lawrence & Duncan McGregor, entre autres, pour leurs efforts, ont pu tracer deux types de support afin de pouvoir rendre un hommage appuyé à ce format quelque peu oublié. Tout d'abord le format original des trois bandes 35mm et 7 pistes stéréo. Puis le format digital qui a permis de voir deux films restaurés pour l'occasion.

THIS IS CINERAMA : par là où tout a commencé. On vous conseille tout d'abord de vous diriger sur notre chronique couvrant le WSW 2010 sur l'explicatif technique du système. Ensuite, pas de fête Cinerama digne de ce nom sans la projection de cette borne mémorielle des formats larges existants aujourd'hui. Sans ce film et les innovations techniques et marketing apportées, aucun CinemaScope ou VistaVision ne seraient peut être apparus. Plus encore : Michael Todd a participé à différents stades à l'aventure Cinerama. Il quitta la firme avec la ferme intention de créer un format large qui soit diffusé sur un seul projecteur. Il en résultera le Todd-AO, qui révolutionnera le troisième quart du XXème siècle en généralisant l'utilisation du 70mm. THIS IS CINERAMA représente une pièce ultime du rêve cinématographique américain. Donner envie de revenir en salle et de vivre des sensations inédites : l'idéal d'un voyage autre. Aucune histoire mais une collection de scènes à couper le souffle, tel que l'œil humain peut les percevoir. Découvrir les chutes du Niagara d'un seul tenant, voler sous le Golden Gate Bridge, la caméra vissée à l'avant d'un Rollercoaster, sur des hors-bords et transporter les oreilles au cœur de la Scala de Milan en pleine représentation d'Aïda… Novateur dans son approche de l'image et du traitement du son, le film tente d'utiliser au maximum son potentiel Les auteurs ont bien saisi qu'il fallait provoquer le désir et le rêve chez le spectateur. Dans une copie aux couleurs encore resplendissantes et doté d'un son puissant n'ayant pas encore rencontré les affres du temps, le naturel explose à la figure du spectateur ébahi. Qu'il s'agisse de la première fois où d'une nouvelle vision : les mêmes frissons parcourent l'échine dès les premières images du Rollercoaster new-yorkais s'élançant dans le vide. Le film tient un statut allant au-delà de la simple curiosité. Un vrai condensé de rêve sur pellicule, de la promesse de l'évasion du quotidien – en replaçant le film dans le contexte de la sortie "habillée", avec réservation du billet placé, à une époque où l'on sortait en robe de soirée et smoking pour se rendre à cette représentation ! Le survol des Etats-Unis dans le second acte demeure ce qu'il y a de plus spectaculaire et de plus dangereux – notamment pour le pilote d'avion Paul Mantz qui a réussit ces prouesses inédites à l'époque. Un arrêt sur image sur l'année 1952, documentaire malgré-lui et témoin d'un imaginaire populaire aujourd'hui révolu et quelque peu naïf (voir l'épisode en Floride), mais toujours évocateur. A noter qu'en septembre 2012, le film sera disponible pour la première fois dans un combo DVD/Blu-Ray chez l'éditeur Flicker Alley.

LA CONQUETE DE L'OUEST : on vous en a déjà parlé longuement dans notre compte-rendu de l'édition 2011 du WSW. Cette année, une autre copie venant droit des USA a été projetée, toujours sur trois bandes. Un visuel quelque peu amoindri, mais toujours une version plus complète avec les plans du tomahawk en plein dos et les dernières images du monde contemporain. Etonnant de constater que les 7 canaux stéréophoniques soient toujours aussi percutants et précis. La scène finale du train réussit à faire trembler l'ensemble de la salle, tout comme le troupeau sauvage de bisons déferlant sur l'écran, tout en donnant à la musique d'Alfred Newman une prestance noble au milieu des effets et des dialogues. En fait, faute d'être un chef d'œuvre du genre, (re)voir LA CONQUETE DE L'OUEST en Cinerama le rehausse qualitativement quelque peu à chaque fois. Les défauts y sont certes encore plus évidents. La différence de traitement entre Henry Hathaway, très à l'aise et maîtrisant l'espace et celui de John Ford. Sa version de la Guerre Civile est statique, morne. Ford n'aimait pas le Cinerama et ça se voit. Le comble : les séquences les plus impressionnantes proviennent de scènes de batailles… venant d'un autre film, L'ARBRE DE VIE d'Edward Dmytryk, dont les scènes ont été converties d'une copie Camera 65 (un système sorti par MGM doté d'un ratio 2.76:1) en trois bandes 35mm Cinerama (donc en 2.89:1). Egalement, on voit une scène de l'arrivée des troupes mexicaines et françaises dans des plans provenant de THE ALAMO, tourné en Todd-AO. Voir en ce sens les costumes des soldats qui sont différents d'une scène à l'autre. Une nouvelle vision donne en outre la possibilité de se concentrer un peu plus sur des détails techniques. Notamment que le film ne fut pas tourné intégralement en Cinerama. En effet, les scènes d'action ou avec une projection arrière furent tournées en Ultra Panavision 70 et converties en trois bandes après coup. Ceci se remarque sur les courtes focales utilisées et des scènes d'actions avec effets spéciaux optiques. Ainsi dans la scène du radeau perdu dans les eaux en furie, les plans rapprochés de Karl Malden, Carroll Baker et Agnes Moorehead concentrent l'action sur le panneau central, alors que les plans d'ensemble avec les cascadeurs répartissent l'action sur les trois panneaux. Enfin, le travelling final depuis le ciel sur les USA provient intégralement de THIS IS CINERAMA, réutilisé ici de manière (presque) fidèle. Nonobstant ces points de détail, il n'en reste pas moins que cette CONQUETE DE L'OUEST demeure l'un des plus beaux exemples de cinéma grandiose, épique, dynamique et qui traverse les générations avec une insolente bonne santé.

A noter que le WSW eut l'excellente idée d'inviter Loren Janes, le chef cascadeur sur le tournage du film. Et l'un des cascadeurs les plus connus à Hollywood pour avoir doublé Steve McQueen pendant près de 25 ans, mais également John Wayne, Sean Connery, Elvis Presley… et qui effectua ses dernières cascades à l'age de 70 ans sur le tournage de SPIDER-MAN ! Ici, à 81 ans, cet ancien sportif est apparu d'une vitalité incroyable, bordé de souvenirs précis et venu avec des documentaires sur le tournage de LA CONQUETE DE L'OUEST, plus précisément sur la réalisation des cascades. Loren Janes y double notamment (entre autres indiens chutant de cheval et bandit sautant sur un cactus géant d'un train en voie de dérailler)… Debbie Reynolds lors de l'attaque des indiens. En regardant le film, on y décèle pratiquement rien, mais en le sachant, cette intervention tue quelque peu le rêve sur pellicule ! Mais qu'importe, cet hommage valait largement le déplacement, tant ces témoignages apparaissent rares et précieux.

LES AMOURS ENCHANTEES représente l'un des points d'orgue de ce festival, l'une des raisons pour laquelle beaucoup se sont déplacés depuis l'Europe entière et même les Etats-Unis. Pour la première fois depuis plus de 40 ans, le film fut projeté dans son format original Cinerama trois bandes et 7 pistes stéréo. Ceci ne fut possible qu'à partir de deux événements : tout d'abord une souscription visant à refaire les pistes audio au bord de virer au vinaigre du fait de leur pauvre état. Et de payer l'envoi de la copie depuis l'Australie où un furieux amateur de Cinerama, John Mitchell, conservait la seule copie en état d'être projetée aujourd'hui et sur laquelle fut opérée la reconstruction des canaux audio. Le Festival de Bradford en profita pour également rendre hommage à John Mitchell, l'homme qui projette du Cinerama dans son jardin (!), où il a élaboré un écran spécifique et qui a passé son temps à collecter le matériel et l'ensemble des films tournés dans ce procédé.

Le film co-réalisé par Henry Levin (pour la partie avec les frères Grimm) et George Pal (pour les trois contes) a pu ainsi retrouver sa splendeur d'antan et de manière complète. En effet, la seule version en format large disponible était le Laserdisc NTSC dont il manquait la scène d'ouverture – seul le son était présent, l'écran restant noir ! Il reste le second et dernier film narratif à avoir été tourné en Cinerama, mais se targue d'avoir été distribué avant LA CONQUETE DE L'OUEST. Malgré ses trois nominations aux Oscars, l'un d'eux remporté pour les meilleurs costumes, le film fut considéré comme un échec, n'arrivant pas à capter l'audience familiale espérée. Rétrospectivement, c'est grandement dommage. Les effets de stop motion du dragon ne convainquent guère, malgré l'apport de Jim Danforth – non crédité au générique. Ils souffrent de la comparaison avec le travail effectué par Ray Harryhausen, ne serait-ce que pour le dragon du 7e VOYAGE DE SINBAD. Ceci dit, en ajoutant à la difficulté technique de tourner des scènes d'effets spéciaux optiques et mécaniques de stop motion en Cinerama, il se dégage du film une certaine grandeur naïve qui colle parfaitement à l'atmosphère des contes des frères Grimm. La romance entre Jacob Grimm (Karl Boehm) et Greta Heinrich (Barbara Eden) est superficielle, d'une chasteté et d'une bêtise redoutables aujourd'hui. Nous avions peu apprécié la vision en Laserdic, mais en le revoyant en Cinerama, le film acquiert une toute autre dimension. Le spectacle se met clairement en avant. Et les cascades/acrobaties de Russ Tamblyn se détachent du simple comique vers un spectaculaire familial mais qui impressionne de par l'utilisation judicieuse du Cinerama. Sensations de vertiges et d'urgence dans la poursuite en calèche, combinaison des effets optiques de la cape d'invisibilité, complexité des plans, charme de son couple dansant avec Yvette Mimieux… et si l'on complète avec l'animation des Puppetoons dans la partie du "Cordonnier et les Elfes" qui fait très conte de Noël et le dernier conte de "L'Os chantant" combinant dragon cracheur de feu et slapstick via Terry-Thomas et Buddy Hackett, on obtient un mélange assez fluide en terme de narration qui retrouve parfaitement l'équilibre des contes de fées destinés à la fois à maintenir les enfants en émoi, voir la narration menée avec brio par Martita Hunt dans le rôle de la sorcière, tout en les émerveillant.

Pour compléter cette projection exceptionnelle, le WSW invita également la fille du décorateur Edward Carfagno qui oeuvra sur LES AMOURS ENCHANTEES et obtint pour l'occasion une nomination aux Oscars. Entre documents d'époque, dessins et photographies de tournage, un témoignage fascinant sur une autre conception de l'élaboration des décors et le style particulier de Carfagno. En n'oubliant pas de préciser qu'il fut responsable des décors de LES ENSORCELES (1er Oscar), JULES CESAR (2ème Oscar), BEN HUR (3ème Oscar) mais aussi SOLEIL VERT, QUO VADIS, L'ODYSSEE DU HINDENBURG (nominé à chaque fois), puis ALERTE A LA BOMBE, LE KID DE CINCINNATI, PALE RIDER, METEOR, C'ETAIT DEMAIN... un grand, tout simplement.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Bill Lawrence et toute l’équipe du Widescreen Weekend, Jean-Luc Peart, Jan-Hein Bal et Marina Lavroff pour les traductions russes