5. Courts-métrages

EXCES DE LA MONDIALISATION TOUS AZIMUTS
La compétition de courts métrages d'animation regorgeait de créations vertigineuses. L'excellente sélection donne à voir un panorama important de la création graphique : Stop motion, numérique, dessin 2D classique, de crayon… le tout dans un déluge de dénonciation des effets néfastes de la globalisation des échanges, du consumérisme jusqu'au-boutiste… et heureusement, quelques parenthèses amoureuses et même tragiques. Un bémol : cette projection à l'enfilade des 10 courts se fit intégralement en anglais non sous-titré. Les francophones monolingues en furent pour leur frais.

SKYLIGHT : ou l'anti-HAPPY FEET, qui glisse sur le phénomène du désastre climatique touchant les espèces vivant dans les aires glacières. Le tout en se moquant également des clips de sensibilisation réalisés par le WWF. Bref, se moquer à la fois de la connerie humaine, des effets du réchauffement climatique et faire rire de la manière dont s'y prennent quelques ONG pour faire passer le message. C'est drôlissime, percutant, cela mise sur le gag à répétitions pour mieux dynamiter le propos et ce jusqu'après le générique final. Ce dernier donnant du reste un nouveau sursaut à l'ensemble. Voilà un court métrage qui a compris que bénéficier d'un temps de métrage court ne signifie pas se reposer sur un seul twist final, mais au contraire utiliser son propos, savoir se moquer de lui et aller au-delà du simple gag. Jubilatoire et le coup de cœur du rédacteur !

THE COW WHO WANTS TO BE A HAMBURGER : Bill Plympton de retour au LUFF par la case court. Au désespoir de sa mère, un jeune veau veut devenir un hamburger, avec le final tragique qu'on imagine. Avec le trait d'exagération qu'on lui connaît, Plympton dresse en quelques scènes un univers démesuré sur les travers de notre société de consommation (extrême). A devenir végétarien, à l'instar d'un long comme FAST FOOD NATION, où même à rapprocher dans le propos d'un autre court présent en compétition, CANNIBALIEN de Kaichi Saito. Sauf qu'ici le point de vue est celui du consommé, dont la progéniture est aveuglée par le message et l'apparent confort. C'est assez drôle, on a parfois le cœur serré mais c'est asséné avec la grâce d'un hachoir.

CANNIBALIEN rejoint un peu le propos, avec cette fois-ci le point de vue du consommateur, celui des cannibaliens qui élèvent des humains pour leur propre consommation. On pense au propos de l'homme-jouet de LA PLANETE SAUVAGE, torturé ici à l'extrême, à savoir dévoré en morceau et disponible à foison sur le marché global de la viande. Filmé comme une sorte de SOUTH PARK nippon, le propos là aussi démesuré fait mouche dès le début. A travers la trajectoire d'une journaliste acquise à la cause du cannibalisme, puis sensibilisée contre son gré (à la ORANGE MECANIQUE, presque !) par des terroristes environnementaux voulant l'arrêt de la boucherie. La longueur du court (près de 33 mn) est son principal défaut, car l'intrigue se perd dans des considérations romantico-cannibales qui ne trouvent pas leur fin. Il aurait alors mieux valu en faire un long-métrage, tant la thématique est vaste et les sujets abordés nombreux. Si bien qu'on décroche petit à petit, même d'un œil amusé, l'exercice devenant au final plus fastidieux, perdant son focus en diluant les propos.

SHE WHO MEASURES, déjà sélectionné au festival d'Annecy, ce court métrage possède une texture à mi-chemin entre le numérique et le dessin. Couleurs dessaturées, ambiance fin du monde, robotisation des comportements, horizon grisâtre et sans espoir… On pense fugacement à METROPIA pour l'atmosphère et le ton. Ensuite, le destin de l'humanoïde qui croise une floppée de ses semblables poussant des caddies et suivant un clown grotesque (faut-il y voir une critique à peine masquée du capitalisme aveugle à la McDonald's ?) tout en ramassant les déchets considérés comme un graal de consommation. Le message est là aussi asséné à coups de pelleteuse, et si la noirceur du ton séduit et que l'on apprécie le soin particulier apporté aux décors et au look général, c'est au profit d'un démonstratif assez lourdingue.

ORANUS – déjà chroniqué précédemment sur le site, il vient à point compléter cette sélection dans son côté grotesque et énorme d'une dénonciation unilatérale d'un consumérisme qui mène l'humain à sa propre perte. Et qui ne voit plus qu'il s'autodétruit en produisant, consommant, avalant et rejetant ses propres excréments. En suivant un mode de fonctionnement télévisuel (avec interruptions publicitaires à la clé), le récit pousse tous les bouchons aussi loin et profond que chaque intestin peut le permettre. Il se dote également d'un univers visuel dément, doublé d'une richesse incongrue dans les détails. La télévision, un robinet à merde ? Certes, selon les degrés de compréhension et de saturation de chacun(e). Mais la forme pourra en rebuter plus d'un(e), la stop-motion scatologique étant une forme inhabituelle d'expression visuelle… Peut-être faut-il provoquer à l'extrême pour faire réagir le grand public adepte du consensus ? Le grand public verra-t-il au moins cette œuvre ? On en doute un peu…

AMOURETTE – stop motion encore, mais du côté helvète. Deux mannequins de bois virevoltent de positions amoureuses, entre pénétrations boisées et galipettes en poussière, jusqu'à se consumer d'amour. Cette mort par la petite mort rappelle le message proféré par le personnage de Maud dans MES NUITS AVEC… mais on peut se douter que la réalisatrice Maja Goerig ne s'est pas inspirée d'un porno français pour montrer l'épuisement amoureux ! Techniquement au point, joliment mis en images et assez drôle, ce court reste toutefois assez inconséquent.

GIFT – ce court métrage américain de fin d'études universitaires de Seyong-Young Kim porte les stigmates du court-métrage misant sur une punchline qui fait dire : oui, et alors ? Un boucher tente de tuer un poulet avec des résultats loufoques à la clé. Coup de crayon fun, petit sourire au final avec le gag qui conclut 2mn10 là aussi sans grande conséquence.

DEUX EX MACHINA du Roman Urodovskikh (Suisse) possède une vitalité et une noirceur assez peu communes. Sombre récit de la transformation d'hommes en machines/dieux, peuplé de morts-vivants et directement alimenté par la culture du jeu vidéo. Véritable agression visuelle et sonore –sans dialogue-, les quelques 8 minutes se déroulent sous des torrents de sonorités limite bruitistes, de graphismes acérés, de couleurs violentes. Maintenant, tout ça pour quoi ? La virtuosité de la mise en images ? Certes. C'est brillant, l'agencement des scènes, les différents niveaux de lecture sur un même plan. L'originalité ? Là aussi, bingo et cela va de paire avec la mise en images qui regorge d'idées de montage. Mais pour le propos même, cet espèce de "Survival" aux accents de cyberpunk croisé avec, comme l'indique le programme, la série des RESIDENT EVIL (tout comme tout autre jeu où l'on dégomme une quelconque armée d'agresseur qui ressemble vaguement à des morts-vivants) n'a que les ressources mises à disposition afin de créer un univers qui se tient en huit minutes. Il y a beaucoup d'influences dans ce court étouffant rythmé par les pulsations breakcore d'Otto Von Schirach. On est quand même très heureux quand ça s'arrête.

A ROYAL NIGHTMARE – une logique à LA LINEA ou encore COCOSHAKER, des gags à répétition qui s'empilent et une situation saugrenue (un roi qui empêche un homme d'entrer dans son château) qui de déglingue. En noir et blanc, au rythme assez fou, utilisant la forme comme base simple d'une réalité qui se dérobe… les arches du pont qui sont en fait des fantômes, le château qui bascule, un bourreau qui perd la tête… foisonnement des rebondissements, complètement nonsensique, très drôle et jusqu'au-boutiste, une très belle réussite excellemment rythmée.

BACKWARD d'Aaron Hughes tente la narration à l'envers afin de créer le suspens et la surprise. Une histoire d'amour tragique commence par un cœur brisé et un homme renversé par un camion… Le réalisateur remonte le fil des événements pour se terminer sur un beau pied de nez. Côté dessin, on peut être amusé par le côté délibérément foutraque de l'entreprise. Manque de perspective, grossissement des traits, abstraction quasi-totale de la 3e dimension. Si le propos amuse et le déroulé à l'envers fonctionne d'un point de vue narratif, la mise en image moins. Elle s'avère pénible à la longue, et ce choix de la naïveté (sans parler de couleurs ternes) dessert le court métrage plutôt qu'il ne l'honore. Et ce même s'il est au diapason du ou des sujets.

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