6. Interview Max Perrier & Valérie Gagnon

Le réalisateur Max Perrier et la productrice Valérie Gagnon avaient fait le déplacement au Festival Mauvais Genre de manière à présenter leur film. C'était la première fois que THE ANTE était présenté dans le cadre d'un festival en France et le film faisait d'ailleurs l'ouverture de Mauvais Genre. L'occasion de leur poser quelques questions entre deux films lors de la Nuit Interdite, moment où a été réalisée cette interview…

Christophe Lemonnier : Est-ce que vous pouvez vous présenter à nos lecteur, comment en êtes vous arrivé à vouloir monter ce projet ?

Valérie Gagnon : Moi je suis plutôt multidisciplinaire en ce qui concerne les Arts. Je suis directrice artistique, Max est réalisateur et ça faisait un bout de temps qu'il voulait faire un premier long-métrage. On s'est rencontré sur des plateaux, par l'intermédiaire d'autres personnes et on a décidé de travailler ensemble…

Max Perrier : J'ai une formation liée à la photographie et je fais partie d'une compagnie indépendante que tu ne connais sûrement pas. On a commencé à faire des vidéo-clips et après en avoir mis en boite une cinquantaine, on est passé aux courts-métrages. Ensuite on a essayer "d'évoluer" vers le long-métrage.

Vous avez fait combien de courts métrages ?

Max Perrier : J'ai fait quelques adaptations d'Edgar Allan Poe. Quelques films noirs aussi, un peu dans le même style que THE ANTE.

Le Film noir et le thriller sont vos influences majeures ? Vous parlez d'Edgar Allan Poe, le Fantastique fait aussi parti de vos influences ?

Max Perrier : Oui, notre prochain film sera orienté vers le Fantastique, ce sera un film d'horreur qui reprendra pas mal d'idées exploitées dans nos vidéo-clips. On cherchera aussi à récréer l'univers de Poe dans ce projet là…

Les vidéo-clips, c'était pour des artistes locaux ?

Max Perrier : Oui, des artistes comme The RespectablesEric Panic... Un ou deux artistes Américains également…

Revenons sur THE ANTE, ce n'est pas vous qui avez écrit le scénario ?

Max Perrier : Non, c'est mon frère qui, à la base, avait écrit un scénario de court-métrage. On a rajouté un personnage et avec un scénariste, on a aussi ajouté un acte. Le court-métrage n'a jamais été tourné mais quand on regarde aujourd'hui le film, on peut dire que les trente premières minutes sont le reflet de ce qu'aurait pu être le court-métrage.

Quel a été votre parcours pour arriver à financer THE ANTE ?

Valérie Gagnon : On a essayé de passer par la voie normale de l'industrie cinématographique Québécoise mais on a essuyé que des refus… Donc on a décidé de prendre les choses en main de notre côté, en regroupant des financements privés, ainsi que notre argent. Au final, c'est essentiellement des entreprises qui ont participé et qui ont été sensibles au fait qu'on se présente comme "la relève". Je parle par exemple des labo Technicolor ou de "Caméra au Poing" qui souhaitait s'établir à Montréal, qui était nouveau, voulait infiltrer le marché et nous a fait de bons prix. C'est un peu par des moyens comme ça qu'on a réussi à tourner le film.

Max Perrier : Exactement, on a cherché à faire appel à la motivation de chacun.

Au-delà des problèmes de financement, est-ce qu'il a été dur pour vous de passer du court au long métrage ?

Max Perrier : Oui, bien sûr, ça a été dur. Le plus marquant pour moi, c'est le changement de rythme parce qu'un tournage de trente deux jours n'a rien à voir avec un tournage de trois jours. Tu ne peux pas brûler ton énergie comme tu le fais sur un tournage court. Il faut changer de rythme, se montrer plus "posé", plus réfléchi. Surtout quand tu as entre les mains un petit budget, comme c'était notre cas.

Justement, quand vous parlez de petit budget, qu'entendez-vous par là ?

Max Perrier : Environ un demi million… Pas d'euros hein ! De dollars, canadiens ou américains, maintenant il n'y a plus vraiment de différence.

Valérie Gagnon : Il faut dire aussi qu'il y a la "valeur" du film et puis il y'avait aussi ce qu'on avait en argent liquide pour le faire, c'est complètement différent…

Vous avez investi personnellement beaucoup dans ce film ?

Valérie Gagnon : C'est-à-dire qu'on s'est lancé en se disant qu'une fois le projet en bonne route, l'industrie commerciale du film se déciderait peut-être à nous aider. En fait pas vraiment ! Ca ne fonctionne pas du tout comme ça et c'est pour ça qu'on a du mettre la main à la poche…

Vous avez eu tant de difficultés à obtenir des aides ? On ne connaît pas le système québécois, la SODEC etc.

Max Perrier : La SODEC c'est la Société de Développement des Entreprises Culturelles.

Valérie Gagnon : Ils sont mandatés par le gouvernement pour sélectionner les projets qui vont être soutenus.

Et ils ne vous ont pas soutenu ? Il y a peu de films québécois alors s'ils ne vous aident pas vous, qui aident-ils ?

Valérie Gagnon : Il faut voir qu'on parle là de l'argent public. Donc ils préfèrent éviter de prendre des risques et, à mon avis, ils préfèrent épauler des gens qui sont déjà établis dans le métier. Ils n'aident pas ce que j'appelle "la relève".

Donc vous nous parlez d'un système qui aide ceux qui n'ont pas de souci pour faire des films ?

Valérie Gagnon : Oui effectivement, tout simplement parce que ça présente moins de risques. Sinon, ils peuvent se faire taper sur les doigts. D'ailleurs c'est déjà arrivé et c'est pour ça qu'il y a beaucoup de remises en question en ce moment. Maintenant, ils font attention à ce que les films soient plus vendeurs, plus rentables, qu'on ne puisse pas leur reprocher d'investir à perte.

Max Perrier : Faut dire aussi qu'on parle là d'un très petit marché. C'est d'ailleurs pour cela qu'on a tourné THE ANTE avec dans l'idée de toucher le marché américain. On voulait miser sur un "volume" plus important.

Ca explique le tournage en langue anglaise…

Max Perrier : Oui, complètement.

Ca ne vous a pas semblé osé et compliqué de tout miser sur seulement trois personnages ? Ca peut être quelque chose de rebutant pour un financement non ?

Max Perrier : Oui, c'est exact et c'était d'ailleurs un sujet de préoccupation pour moi au début. Tout comme le fait qu'on se soit basé sur un scénario de court-métrage, j'avais peur qu'on sente le film "étiré". Bon, le film ne fait au final que quatre vingt deux minutes, ce n'est pas très long, donc on ne peut pas dire qu'on ait tiré beaucoup. Mais c'était risqué. D'un autre côté, je pense que grâce à ça, on peut ressentir une ambiance, la campagne, la nature, etc...

C'est vrai que de part son cadre rural, votre film est assez atypique dans le monde du thriller. C'était un choix délibéré ou une obligation budgétaire ?

Max Perrier : C'était voulu. Pour moi, la nature est le quatrième personnage et c'est pour ça qu'il y a beaucoup de plans larges, que les personnages apparaissent petit à l'écran. Je voulais une nature écrasante et des personnages à sa merci. A l'image de ce personnage principal qui cumule les coups du sort. Pour moi, ça justifie pleinement l'usage du format Scope pour le film.

Aujourd'hui, l'industrie cinématographique a tendance à se revendiquer de son pays. On parle par exemple beaucoup de cinéma de genre japonais, espagnol, de touche britannique, etc... Chacun se revendique de sa culture alors qu'en réalité, beaucoup entre dans un moule très américain. C'est notamment le cas des métrages québécois que nous avons pu voir et qui pourraient, pour la plupart, être américains. Votre métrage va lui aussi dans ce sens…

Max Perrier : Je suis d'accord. Pour ce projet là en particulier, c'est ce que nous avons recherché. Maintenant on a un autre projet sur les rails, qui aura une connotation "historique" et se détachera donc de ce modèle américain.

Valérie Gagnon : Ca va aussi dans le sens de ce qu'on disait précédemment, à savoir qu'on cherchait avec THE ANTE à se faire une carte de visite. On est allé chercher la reconnaissance aux Etats-Unis, ce qui nous l'a par la suite donnée au Québec. C'est comme ça qu'on a fonctionné. Reste que comme il le dit, Maxime développe un projet dans le même ton mais aussi, en parallèle, un autre projet qui s'ancrera davantage dans la culture québécoise…

Max Perrier : Attention, je ne veux pas non que l'on pense que THE ANTE a été mis en boite froidement, selon un calque bien précis. L'idée était que le film soit universel. On l'aurait fait en espagnol si on avait pu toucher un marché de trois cent millions d'espagnol, c'est aussi simple que ça.

Mais vous avez le marché latino aux Etats-Unis !

Max Perrier : Ah oui, c'est vrai ! (rires) Reste que je suis partagé vis-à-vis de votre question dans le sens où c'est bon d'être universel mais je ne voudrais pas qu'on y voit une démarche "passe-partout"…

Rassurez-vous ce n'était pas un reproche. Avant de faire un film québécois, espagnol ou français, il faut d'abord et avant tout chercher à faire un bon film. Après chacun est influencé par sa propre culture cinéma et j'imagine que vous avez aussi vos propres influences…

Max Perrier : Pour ce film là, en particulier, il n'y a pas eu de démarche consciente mais je trouve qu'on a une petite touche "Western", un petit peu de Leone dans la nature, la musique etc... Maintenant le film s'est vu comparé à du Hitchcock, de l'Agatha Christie… Je pourrai aussi citer BUFFET FROID qui est un film que j'ai beaucoup aimé. Je pense que THE ANTE prend la même distance avec ses personnages… En fait, j'ai une partie de ma famille qui est francophone. Une autre, et notamment ma grand-mère, est anglophone, d'une descendance écossaise. L'histoire est en partie inspirée d'elle qui était une grande amatrice d'Agatha Christie. J'avais aussi un parrain qui était policer provincial en Ontario. Il avait toujours des histoires étranges de meurtres, de suicides, de faits divers…

Et vos prochains film, vous pouvez nous en parler ? Rencontrez-vous les mêmes difficultés de financement ?

Max Perrier : Le film d'horreur se situera dans le grand nord et fera la part belle aux personnages amérindiens. Donc on aura beaucoup d'éléments "typiques". L'histoire sera contemporaine…

Valérie Gagnon : Ca s'annonce bien plus facile à financer puisque le film dont Max parle sera là encore tourné en anglais et sera une coproduction britannique mais on a aussi des contacts en Allemagne. L'autre sera en revanche en français et traitera du sujet de la prohibition. Il sera plus ancré dans la culture québécoise… Les deux projets prennent vraiment des directions différentes. Pour l'instant, nos projets ont été bien accueillis alors on croise les doigts ! Aujourd'hui, le projet horrifique est le plus avancé des deux.

C'est plus facile de faire un film d'horreur qu'un film d'époque ?

Max Perrier : Oui c'est ça. C'est une question d'intérêt. Notre film d'horreur à un petit côté anthropologique lié aux premières nations, aux aborigènes, etc... C'est quelque chose qui est assez apprécié en Europe, peut-être pour ce côté "authentique" ou un peu moins connu, plus mystérieux.

Ce n'est pas aussi parce qu'aujourd'hui, un film d'horreur, c'est vendeur ?

Valérie Gagnon : Oui. Sur THE ANTE, à plusieurs reprises, on nous a dit "Pour le prochain, il faudra encore s'orienter davantage vers l'horreur ".

THE ANTE n'était pas assez "horrible" ?

Valérie Gagnon : (rires) Comme vous dites !

Max Perrier : C'est un cliché mais c'est vrai. Si tu fais ton premier long-métrage, sans nom connu, sans rien, il faut faire de l'horreur. Si c'est réussi, ça peut t'amener plus loin…

Vous ne pensez pas qu'on puisse rapidement s'enfermer dans le cinéma d'horreur ?

Max Perrier : Oui bien sûr. D'ailleurs parallèlement à THE ANTE, j'avais une autre idée, un "Plan B". C'était quelque chose de plus horrifique, et même très fantastique puisqu'il y avait des esprits et des revenants. J'ai laissé tombé. Pas par crainte de m'enfermer dans l'horreur mais parce que j'avais davantage travaillé le traitement de THE ANTE qui me correspondait plus avec son côté "Hitchcockien".

C'était votre premier festival en France, qu'avez-vous pensé de l'accueil de votre film ?

Max Perrier : Très bon, je trouve que le public ici ressent toute la nuance de l'humour, de l'ironie et de la stupidité des individus. Ce ne sont pas tous les publics qui voient ça, c'est quand même un film à cheval entre le drame et le comique, ce qui n'est pas forcément simple à appréhender.

Valérie Gagnon : Outre ça, on a noté que la salle ici était comble et que c'est loin d'être le cas partout. Souvent, dans les festivals, on voit des salles de vingt personnes. Dans les festivals, on n'a pas de gros films commerciaux et du coup, ça demande une culture cinéma plus large.

Max Perrier : Effectivement, on a eu le sentiment ici d'un public cultivé, plus cinéphile. En tout cas c'est ce qu'on a ressenti le soir de la projection.

Et pourquoi le Festival Mauvais Genre de Tours pour cette première expérience française ?

Max Perrier : Ils nous ont contacté après un Festival de Genre à Montréal, le Fantasia.

Valérie Gagnon : Mais ce qui au départ a donné un grand coup, c'est le festival Slamdance qui est très médiatisé et qui nous a donné une vraie chance. Les autres festivals, comme celui que cite Max, nous ont appelé suite à cela.

Max Perrier : En fait on a l'impression qu'il y a comme un circuit pour les films, qu'on doit passer de festival en festival et que tous se connaissent… Le prochain pour nous c'est un festival au Brésil par exemple. C'est assez amusant parce qu'au début, on envoie notre film aux différents festivals, on en fait une trentaine et c'est dur d'avoir une réponse. Mais ensuite, quand c'est programmé une fois, on nous contacte et tout s'enchaîne…

L'effet boule de neige en somme. Votre film pour l'instant, n'a pas trouvé d'acheteur en France ?

Valérie Gagnon : Non. Il a été acheté aux Etats-Unis mais pas encore en Europe. C'est pourquoi on a accepté l'invitation de Mauvais Genre, en espérant percer le marché européen. On aimerait bien attaquer le marché asiatique aussi…

Max Perrier : Les Etats-Unis c'est pour le marché domestique. On est aussi en pourparlers avec l'Allemagne et l'Autriche Mais on n'est pas sûr de traiter avec eux.

Valérie Gagnon : On ne connaît pas trop le marché ici, on aimerait bien trouver un contact pour l'Europe, vendre à tout le monde d'un seul coup !

RECHERCHE
Mon compte
Se connecter

S'inscrire

Index
Dossier réalisé par
Christophe Lemonnier, Stéphane Paulin & Xavier Desbarats
Remerciements
Max Perrier, Valérie Gagnon, Valentin Verger (photos), aux organisateurs et à tous les bénévoles du Festival