4. Interview Gary Constant & Philippe Caza

Juste après la dernière projection qui faisait la clôture le lundi 5 avril 2010, nous avons pu nous entretenir avec Gary Constant, organisateur du festival, avec lequel nous avons pu faire le bilan de cette année. Un entretien où il revient aussi sur la genèse de Mauvais Genre et les difficultés rencontrés par les festivals. Cerise sur le gâteau, en cours d'entretien, Philippe Caza, membre du jury, nous a rejoint ce qui nous a permis de continuer la discussion à trois…

Christophe Lemonnier : Comment t'es venue l'idée d'organiser le Festival Mauvais Genre ?

Gary Constant : Le festival est né avant tout d'une frustration. Résidant à Tours, j'en avais un petit peu marre de ne pas voir les films que j'aime, la plupart ne passant même pas au cinéma. Ou en tout cas dans les cinémas locaux. Sachant bien évidemment qu'on ne peut pas tout voir mais aussi que tous les films ne sortent pas toujours en France en salles. Du coup, j'ai eu envie d'essayer de proposer des œuvres inédites ou, en tous cas, des films très peu visibles. Voilà comment est née l'idée du Festival Mauvais Genre, avec l'envie de s'axer sur différents styles de films de genre et le proposer au plus grand nombre. Le cinéma étiqueté "de genre" à encore aujourd'hui "mauvais genre", ce qui nous a permis de jouer avec cette fameuse expression.

En assistant à certains festivals, en France ou de par le monde, ou même en regardant aujourd'hui sur des sites Internet spécialisés, je me suis très vite rendu compte qu'il existait des tas de films inédits ou peu connus. Je me suis fait la réflexion que si je ne pouvais pas, à titre personnel, aller dans tel ou tel festival, je ne les verrais probablement jamais. Car si un film n'est pas très porteur, il est clair qu'il a peu de chance, voire aucune, d'être distribué.

Or on sait que les festivals de cinéma de genre ou de cinéma underground, c'est un réseau. Mais en dehors de ce réseau là, toi, en tant que particulier, tu n'auras pas l'occasion - ou très difficilement - de faire les festivals. Je me suis donc dit qu'il suffisait de faire "partie du circuit". Pour ça, on s'est mis en tête de créer une sorte de "pôle en France" même si nous ne sommes bien évidemment pas les seuls. On voyait ça comme une opportunité de plus, pour le plus grand nombre, de découvrir des films venus et tous horizons.

Avoir l'idée, c'est bien mais j'imagine que la réaliser, c'est une autre paire de manche. Se dire "Tiens, je vais faire un festival à Tours" ne suffit pas à mobiliser une équipe, mettre en place une infrastructure, une logistique et trouver des contacts…

Gary Constant : (Rire) Tu as entièrement raison ! C'est un petit peu le challenge. Pour ne rien te cacher, je vais te dire comment ça s'est passé la première année… J'ai eu la chance de rencontrer toute une série de personnes que j'ai réussi à intéresser à ce projet. Et ils ont été d'accord même si c'était une idée de malade. Parce que les gens qui font partie de l'association ne sont pas nécessairement des personnes qui sont initiées au cinéma de genre. Mais ils ont tous en commun l'envie de découvrir par eux-mêmes de nouvelles œuvres. Donc, la première année, j'avais un tout petit pécule. Un pécule assez maigre et je me suis dit qu'il fallait amorcer la pompe. Très vite, on s'est demandé ce que l'on pouvait avoir comme subvention car forcément l'argent, c'est le nerf de la guerre. On n'a pas trop le choix. J'ai fait un peu la tournée des collectivités, les mairies… On nous a dit en gros "On ne peut pas vous aider, démerdez-vous !". Bon, la première année, c'est comme ça. Quelque part, ça met un frein à ceux qui ne sont pas à même de passer outre le "démerdez-vous". La région, c'était pareil, même réponse. Tant que tu n'as pas fait tes preuves, personne ne te connaît, personne ne sait d'où tu viens et personne ne sait ce que tu vaux. Est-ce que tu es viable ? Est-ce que tu es sérieux ? Il n'y a pas de secret, il faut faire ses preuves ! C'est quelque part un peu rageant. Car quand tu veux faire un Festival, ou plus globalement quand tu es porteur d'un projet, on te dit "faites vos preuves". Mais pour ça, il faudrait peut-être nous aider un peu, surtout quand on est les premiers dans un domaine bien particulier.

Bref. Moi, la première année, j'avais la chance d'avoir un petit pécule. J'ai mis une grosse partie de mes économies dedans sachant pertinemment que je ne récupérerai jamais ma mise. Et effectivement, au bout de quatre ans, ce n'est toujours pas le cas ! Mais je pars du principe que ce n'est pas grave parce qu'il y a la passion. Donc on a amorcé la pompe et puis la sauce a un petit peu pris… On a réussi bon an mal an alors que personne ne voulait de nous dans les cinémas déjà établis à Tours. C'était vraiment "Quoi ? Cinéma de Genre ? Ca ne nous intéresse pas ! Vous êtes fous, ça ne marchera pas ! Dégagez !", etc. Nous nous sommes donc débrouillés de notre côté. La première année, on a établi le festival à trois endroits de la ville. On a réussi à poser une infrastructure faite de bric et de broc, certains pourront dire que ça avait son charme. Effectivement. Et puis avec une communication relativement minime, on a réussi à faire déplacer un petit peu de monde. D'année en année, il y a eu de plus en plus de personnes. Il y a eu une prise de conscience des pouvoirs politiques mais malheureusement trop légère, on ne va rien se cacher. Résultat, bon an mal an et en étant tous bénévoles (car dans l'association nous sommes tous bénévoles moi le premier), on a réussi à boucler une quatrième édition du Festival Mauvais Genre !

Alors à l'issue de cette quatrième édition, si tu devais faire un constat, ce serait quoi ?

Gary Constant : Sur cette quatrième édition, mon constat, c'est qu'il y a de plus en plus de monde. On a réussi à intéresser un public toujours plus nombreux et ça, c'est vraiment encourageant pour la suite. Par ailleurs on a des invités de qualité, comme monsieur Philippe Caza qui est juste à côté de moi. Merci encore Philippe ! Comme je te le disais, il y a une très bonne ambiance. Une prise de conscience des pouvoirs politiques, en tout cas des institutions, encore trop faibles mais on espère toujours, vu le succès, que ça va bouger…

Enfin, je pense, sans trop m'avancer que c'est un beau succès, cette édition. On va crescendo car cette année, avec seulement une soirée de plus, on a fait dans les 1500 personnes alors que lors de la précédente édition nous n'étions qu'un millier. C'est très encourageant pour la suite, ce bilan très satisfaisant et tous ces professionnels ravis d'avoir été là… Tous les bénévoles ont donné de leur mieux et j'en profite pour les remercier encore une fois ici. Quelque part, ça fait plaisir de voir tout ça, de se dire que, quelque part, on ne se crève pas pour rien ! Il y a un bon retour et c'est vraiment très encourageant. On verra si cela donnera une cinquième édition ou pas…

Justement, sur scène, tu avais l'air de dire que l'année prochaine, tu ne serais peut être pas là…

Gary Constant : Après, c'est à titre personnel. J'ai déjà d'autres activités, j'ai envie d'autres projets. Faire cette activité là en tant que bénévole, j'entends bien, ça finit par être assez lourd. Et cela bouffe beaucoup de temps alors que j'ai envie d'écrire des scénarios de bande dessinée, de courts-métrages, d'animation, de fiction, tout ça… J'ai vraiment envie de me lancer dans l'écriture. Après, peut être que tout cela ne donnera rien et que cela va capoter mais je n'ai pas envie d'avoir des regrets. Pour résumer, j'ai beaucoup d'autres projets et au bout d'un moment, il faut faire un choix. Je n'ai pas encore dit définitivement qu'il n'y aurait pas de cinquième édition du Festival Mauvais Genre. Je ne dis pas non plus définitivement qu'il y en aura une cinquième. Pour l'instant, il faut que je prenne le temps de me poser, de digérer tout ça et puis après de prendre les décisions qui s'imposent… Tiens, j'aime bien parler comme les politiques. (Rire) "Ce sont des décisions que je prendrais le moment voulu" !

On parle beaucoup de "cinéma de genre", évidemment. Mais lorsque l'on regarde la programmation, il y a des films plutôt commerciaux, à l'image de MERANTAU. A côté de ça, on tombe sur des oeuvres plus underground tel que LITTLE DIZZLE. Enfin on a des choses qui lorgnent bien plus vers le cinéma d'auteur comme certains courts-métrages, par exemple…

Gary Constant : Evidemment, la question éternelle, c'est de savoir comment définir le cinéma de genre. Pour moi, c'est très très vaste. J'aurais du mal à le définir exactement… De mon point de vue, c'est un cinéma populaire et commercial, dans le bon sens du terme. Après on a des films plus "auteurisants", comme MORSE par exemple, un film à mi-chemin entre le cinéma d'auteur et le cinéma de genre. Comment le classer ? C'est très personnel. Pour nous, l'idée c'est justement de passer des œuvres inclassables qui ne sont pas simplement résumées par leur style. Cette année, il y a MERANTAU, un film d'arts martiaux en provenance d'Indonésie. Il y avait LITTLE DIZZLE, un film indépendant américain fait de bric et de broc mais que je trouve assez inventif. Donc ce sont tous des films qui me semblent légèrement "différents"… Grosso modo, pour moi, le cinéma de genre "intéressant", c'est tout sauf des blockbusters. En tout cas, c'est ma définition, c'est pour ça que ça englobe beaucoup de choses. Le fait de proposer un panel de films aussi différents qu'un drame américain, un film suédois fantastique, un film de samouraïs et, par exemple, un film d'horreur brésilien… tout ça contribue à montrer un éventail d'œuvres très différentes qui soit à même de contenter tout le monde. Alors bien sûr, le cinéma de genre a ses lettres de noblesses. Par exemple, ALIEN, c'est du cinéma de genre. LA GUERRE DES ETOILES, c'est du cinéma de genre. Ce sont de gros produits. Maintenant, j'ai l'impression qu'il y a une notion qui est un peu galvaudée. Mais à côté d'un cinéma de genre à gros budget qui arrive dans les salles comme HARRY POTTER et compagnie, il y a tout un pan de films qui a du mal à se frayer un chemin à l'international. Nous, on a envie de se focaliser dessus. Sur ces œuvres qui appartiennent aussi au cinéma de genre, avec leurs différences, mais qui ont du mal à avoir une exposition hors de leurs frontières.

Je vais être critique. Mais tu me dis que c'est tout sauf les blockbusters, donc les films à gros budget. Pourtant lorsque nous sommes allés à la Nuit Interdite, on nous a présenté des bandes-annonces en complément de programmes autour des films et de la sélection de courts-métrages. Toutes les bandes annonces étaient dédiées à des blockbusters attendus…

Gary Constant : En ce qui concerne la projection des films, on préfère se focaliser sur les films à moindres moyens ou à petits budgets. Mais on ne peut pas non plus oublier que le cinéma de genre a ses blockbusters hollywoodiens. Alors, oui, dans le choix des bandes-annonces, il y avait surtout des films attendus. Hormis peut être PRINCE OF PERSIA dont, moi, je me fous un peu. Mais, bon, voilà, c'est aussi une façon de montrer que Disney fait aussi du cinéma de genre. Et ils en font depuis leurs débuts car ils font du dessin animé depuis leurs débuts. Et, pour moi, le dessin animé, c'est du cinéma de genre.

A vrai dire, tous les films, on peut les cataloguer dans le "cinéma de genre". La comédie est un genre en soit. Le Western est un genre…

Gary Constant : Oui, tout à fait. On est d'accord. Mais c'est vrai que beaucoup assimilent le "cinéma de genre" à l'horreur et au fantastique. Point barre. Alors que pour certains, un polar ou le cinéma policier, ce n'est pas du cinéma de genre.

Philippe Caza : Un genre, c'est quelque chose qui est délimité, qui a ses codes. C'est un peu ça qui définit un cinéma de genre. Comme il y a les codes du Western, il y a ceux du polar, les codes de la science-fiction, les codes du film d'horreur… Alors, ici, on était souvent sur les marges. Par exemple, COFFIN ROCK, c'est limite… Et c'est à mon sens ce qui est intéressant.

Gary Constant : Très juste ce que tu dis, Philippe. En général, on parle d'un cinéma codifié. Il y a des codes dans le cinéma de genre. Mais même un film d'auteur, tu retrouves des figures auteurisantes. Je n'ai pas la prétention d'être un spécialiste mais je suis convaincu que si on mettait vingt "spécialistes" dans une pièce en leur demandant "Définissez le cinéma de genre", on y passerait des semaines !

Je suis d'accord avec toi dans le sens où nous utilisons le terme de "cinéma de genre" pour simplifier. Mais cela n'a pas une signification très tangible… Comme de parler de "cinéma Bis".

Gary Constant : Oui. Le cinéma Bis, pour moi, c'est du cinéma de genre.

Le "Bis", c'est de la copie. Aujourd'hui, on va surtout l'associer à un cinéma d'une certaine époque, essentiellement en provenance d'Italie. Il existe effectivement beaucoup d'expressions qui sont utilisées dans la presse ou par les cinéphiles alors qu'elles n'ont pas une définition clairement définie.

Gary Constant : Oui, tu as raison. C'est aussi pour cela qu'on a fait ce festival. En faisant un Festival dédié au "cinéma de genre", on s'adresse en premier lieu à un public amateur. Chacun a sa propre définition mais on se comprend et ce sans avoir besoin de s'expliquer. Mais le vrai challenge, c'est justement d'accrocher des gens pour qui l'expression "cinéma de genre" n'évoque rien du tout et de leur présenter la définition la plus vaste possible. On veut montrer, comme tu l'as dit toi-même, qu'une grosse partie du cinéma, c'est grosso modo du "genre", du cinéma codifié. L'ambition est de démocratiser le cinéma qu'on aime et sortir du cercle un peu restreint des fans. Un cercle très intéressant mais l'idée, c'est de capter un autre public pour lui dire "Vous avez pu voir le dernier film des frères Cohen, vous avez vu du cinéma de genre". Tout en se mettant en marge d'une presse bien pensante qui méprise le "genre", par exemple Télérama, pour qui le genre se résume à un mauvais cinéma essentiellement parqué dans le fantastique et l'horreur.

Philippe Caza : Alors, non... J'ai déjà vu de temps en temps de bonnes critiques de films d'horreur. Peut être pas il y a dix ans mais ça tend à s'effacer depuis quelques années.

C'est intéressant parce si on remonte dans le temps. Par exemple, si on s'intéresse aux Saisons Cinématographiques, c'était une publication pour les sorties en salles. Tout ce qui relevait du péplum était bon pour la poubelle, les films d'horreur étaient à proscrire, etc.

Philippe Caza : C'était l'office catholique. Télérama et d'autres étaient à l'époque d'obédience catholique. Maintenant, on s'adresse plutôt aux bobos parisiens.

Il y a aussi des cinéastes qui ont été fustigés à leur époque et qui sont devenus aujourd'hui des auteurs... Bava, Carpenter

Gary Constant : Fisher ! Terence Fisher, un grand du cinéma fantastique.

Et, à présent, ils sont reconnus.

Philippe Caza : Ca, c'est une histoire assez classique. C'est à dire que la pop culture, ou la sous-culture, devient la culture petit à petit. Ca met dix ans, quinze ans, vingt ans… Comme la bande dessinée ou comme le cinéma de genre, ils sont maintenant entrés dans la culture. Vous avez un truc qui dit "Mauvais Genre". Ca, c'est intéressant justement. Parce que ça dénote l'envie de mettre du cinéma déviant, quand même. Le truc qui n'est pas forcément confortable.

Gary Constant : Disons plutôt un cinéma à contre-courant. Ce serait plus vrai. Mais d'une certaine façon, il faut être honnête, le cinéma de genre est devenu vachement "tendance" ces dix dernières années. Quelque part, c'est très bien car cela permet de réhabiliter des cinéastes. Si les médias se mettent à dire du bien de Bava, cela donnera à leurs lecteurs l'envie de découvrir et c'est très bien. L'important, évidemment, c'est la finalité. Si cela donne au bout du compte l'envie à des néophytes de s'intéresser à d'autres cinémas, c'est très bien !

Je suis d'accord, sur cent individus qui vont être alpaguées par ça, s'il n'y en a qu'un qui en ressort conquis, c'est déjà bien. De notre côté, il nous arrive d'aller à la Cinémathèque Française pour des soirées ou des rétrospectives. Par exemple, sur Jesus Franco. Les gens se déplacent mais nombre d'entre eux se moquent de ce qu'ils voient à l'écran… Reste que s'il y a au moins deux ou trois personnes qui en ressortent en se disant que c'était intéressant et qu'elles devraient m'intéresser à autres choses que les cinéastes établis dans le marbre, c'est gagné !

Gary Constant : C'est gagné, bien sûr ! Mais c'est vrai que pour le cinéma d'horreur, il y a du monde, y compris une certaine élite, qui va encenser le PSYCHOSE d'Hitchcock. Mais au delà de ça, ce film est avant tout un film de genre et peut être même l'un des premiers Slashers au cinéma. On a tendance à l'oublier dans l'histoire du cinéma. C'est aussi intéressant de le voir sous un autre point de vue que celui du cinéaste reconnu…

Bon, maintenant qu'on a définit le cadre du Festival, j'ai une question qui fâche !

Gary Constant : (Rire) Mais Philippe Caza peut répondre, aussi.

Bien sûr, mais je n'ai pas de questions qui fâchent pour monsieur Caza ! (Rire) Le premier jour, sur scène, tu as dit que tu voulais mettre quelque chose au point. Tu disais que le Festival Mauvais Genre n'était pas là pour entrer en concurrence avec d'autres festivals tourangeaux mais être complémentaire. Pour nous, et sans doute une partie du public, cette remarque est assez obscure. On peut imaginer les problèmes de concurrence ou de jalousie qui peuvent émerger de tels projets mais tu peux nous donner plus d'explications ?

Gary Constant : Bon, là, je vais aborder le côté un peu "off" de certaines choses. Au début, indépendamment de la genèse du projet dont on a déjà parlé, on s'est pointé au Studio, qui est le cinéma d'Art et Essai du coin. Ils nous ont renvoyé à la mairie alors que le cinéma a déjà un festival de cinéma asiatique et un festival "Désir Désir", plutôt axé sur la sexualité. Dernièrement, Tours a aussi un festival Cinéma et Politique qui se veut être LE festival de Tours. Première édition, 350.000 euros, direct pour eux ! Le problème, c'est que Mauvais Genre a, d'année en année, de plus en plus de public mais la Mairie n'a pas de prise sur nous. Ils ne peuvent pas vraiment faire pression puisqu'ils ne nous donnent que très peu de subventions et qu'on arrive à se débrouiller de notre côté. On est sur une pente ascendante d'une édition sur l'autre et ça doit les ennuyer, quelque part, de ne pas avoir été à l'origine du truc. Au moment de cette quatrième édition, on nous a dit "Mauvais Genre, ça ne sert à rien. Il faut arrêter, vous êtes voués à disparaître !". J'en ai entendu des vertes et des pas mûres…

Donc, voilà, je voulais juste exprimer en début de Festival que nous n'étions pas dans la polémique. J'ai l'impression qu'on essaie de nous faire craquer alors que ça n'a, à mon sens, pas lieu d'être. Nous nous voulons complémentaires et nous ne sommes pas là pour prendre la place d'un autre Festival. On pourrait éventuellement comparer les résultats de notre petit festival avec ceux de leur grosse machine mais proportionnellement, ils font moins de monde que nous. Reste que je n'irai pas plus loin parce que leur festival a une raison d'être. Tous les festivals à Tours ont leur raison d'être. On ne parle pas forcément de cinéma mais aussi de musique par exemple. Nous, Mauvais Genre, on propose simplement des choses différentes. On veut élargir l'horizon culturel que Tours peut offrir. Et ils ont un peu de mal à assimiler ça. Je voulais juste exprimer ça, faire taire les critiques et ne pas vouloir prendre un esprit revendicatif. L'idée, c'est que l'on fait notre truc sans vouloir prendre la place des autres. On se veut vraiment complémentaire en tout cas sous cette forme là… Même par rapport à l'Etrange Festival que vous devez connaître…

Par exemple on a toujours eu des ciné-concerts. On doit être l'un des rares festivals à proposer ce genre de choses en France. Sous cette forme là, on s'entend bien. Mais si on peut faire des émules, c'est très bien. On espère d'ailleurs que des festivals se monteront un peu partout et dans tous les domaines. On est vraiment dans une politique d'entraide, pas de suprématie. Je n'aime pas l'idée de "suprématie" et de "supériorité". Je ne supporte pas ce genre d'attitude et d'idée nauséabonde, cela n'a rien à voir avec moi.

Philippe Caza : C'est l'idéologie de la concurrence, simplement. Qui n'a pourtant pas lieu d'être. Mais tout le monde est dans l'idée de concurrence. C'est Sarkozy, ça.

Gary Constant : Effectivement, on vit un gouvernement… Dans une société en France où il y a la crise. Mais il faut arrêter, la crise a bon dos. On nous explique qu'en raison de la crise, le gouvernement a beaucoup moins de subventions à allouer. Pourquoi pas ! Mais alors pourquoi nous dire qu'ils sont dans une idée d'ouverture et de création de nouveaux projets alors que dans les faits, il y en a très peu. Comment expliquer que des festivals installés depuis vingt ou vingt cinq ans périclitent et se voient toujours attribués le même nombre de subventions ? Je pense qu'il faudrait peut être penser à mieux répartir. Là, on s'adresse à un mur et c'est pour ça que je dis que la crise, elle a quand même bon dos. Mais Philippe a raison. Au delà de la crise, je pense qu'il y a une réelle volonté politique qui fait que certains projets dérangent plus que d'autres. Je ne fais pas dans la paranoïa, m'établir en martyr ou quoi que ce soit. Mais il y a inévitablement un aspect politique qui entre en compte via les différents interlocuteurs que tu peux avoir quand tu montes un festival de cinéma, de musique ou d'autres… Tu te prends vraiment des choix politiques dans les dents, de manière directe ou induite. Mais bon, l'énergie qu'on gagnerait si tout était plus simple, crois-moi, c'est monumental !

Je suis en train d'enregistrer. Tu ne vas pas te faire que des amis…

Gary Constant : Non, non ! Mais j'assume tous mes propos ! Tu peux le diffuser en intégralité, je n'ai rien à cacher. Je peux te dire que le festival, on l'a fait avec 7.000 euros. On avait établi le budget, on aurait du le faire cette année avec 55.000 euros ! On s'est débrouillé à le faire avec 7.000 euros. Heureusement qu'il y a des gens super motivés autour de moi. Tiens, Nathalie Iund, attaché de presse, qui est là. Elle nous a vachement aidé cette année. En amenant Jean-Pierre Martins, Salomé Stévenin et en nous rendant des services. Donc heureusement que des gens comme ça existent. Et heureusement qu'ils sont à l'écoute de nos besoins et de nos envies. Ils servent de substitut à tout ce côté politique, ce soutien des institutions qui nous fait défaut. Est ce que ça changera ? Je ne sais pas ! Mais tant qu'il y aura des personnes comme ça, comme Philippe ou comme Eric (Valette) qui était dans le jury, le public qui répond présent… Reste qu'il y a quand même un côté frustrant et rageant à se dire que si les politiques avaient ne serait-ce qu'une petite prise de conscience, ça ferait plaisir mais ça ferait surtout avancer les choses. Autant pour eux que pour nous. On a tous à y gagner.

Philippe Caza, vous avez été juré, vous avez assisté à toutes les projections. Vous pensez quoi de votre expérience à Mauvais Genre, le festival mais aussi les coulisses ?

Philippe Caza : Moi, ça me convient. Je n'ai pas besoin des grands festivals très "people", très cadrés, avec beaucoup de fric et tout… A priori, ça m'emmerde ! J'ai participé à certains de ces festivals mais un festival comme Mauvais Genre à Tours, où l'on sent cette proximité, ça me plait… Les bénévoles qui font un excellent boulot et le public qui suit… C'est vraiment important de voir des salles remplies à chaque fois. Sans oublier la bonne ambiance qui se crée là. C'est le genre de truc qu'on connaît aussi dans les festivals de bande dessinée. De très petits festivals, même parfois dans de plus petites villes… De tout petits trucs avec un petit milliers de visiteurs sur deux jours. On est à peine quinze auteurs, pas plus. Tu vois, ces ambiances, c'est appréciable. Mais le souci, c'est que ça tient toujours sur un moteur. Exemple ici, Gary Constant, avec une bande de bénévoles. Et tout ça n'existerait pas si les bénévoles n'étaient pas là ! Avant de venir ici, j'étais à Poitiers et chaque année, malheureusement, le discours des organisateurs tourne essentiellement autour des subventions, ce qu'on leur a donné et surtout ce qu'on leur a retiré. C'est tout le temps, toute l'année, la course aux subventions. Des trucs étaient bien l'année dernière et puis cette année, il n'y en a plus que la moitié. C'est hélas comme ça. Actuellement, Sarkozy a fait en sorte de donner plus de responsabilités financières aux régions et aux provinces. Une décentralisation financière… En supprimant la taxe professionnelle, c'est beaucoup de fric en moins pour les municipalités et ce un peu partout. Résultat, il y a des subventions qui vont péter. Et, en général, ça pète où d'abord ? Dans le culturel ! Ca, c'est dramatique ! Evidemment, le gouvernement Sarkozy, c'est tout sauf culturel… Ca crée des problèmes partout et on entend malheureusement le même discours où qu'on aille.

Gary Constant : Pour la France, on a quand même un rayonnement culturel, de par l'histoire, assez important. Mais je pense que les gens ne se rendent pas compte qu'en dehors de gros festivals qui auront toujours le soutien d'une volonté politique, même s'il y a un déclin, il y a des tas d'initiatives intéressantes mais fragiles. Nous ne sommes pas à l'abri, comme d'autres festivals, d'être obligé à un moment donné de mettre la clef sous la porte. Tout ça pour traduire un affaiblissement des aides aux talents. Pourtant, des talents, il y en a beaucoup. Quand je vois les jeunes réalisateurs qui sont venus nous voir pour présenter leurs films, ça fait plaisir à voir ! Mais ce qui est rageant, c'est que c'est la galère pour réaliser leurs œuvres, pour les montrer, pour les diffuser… Et que si ça continue comme ça, bientôt… je ne sais même pas ! Je n'ai pas de mot, je n'arrive pas à me projeter dans l'avenir mais je trouve que c'est quand même assez préoccupant. Il faut faire attention. Je n'ai pas envie de dire "Votez utile" parce que c'est débile de dire ça. Je ne veux pas dire que je suis déçu de la politique ou quoi que ce soit. Maintenant, je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. Les propositions et tout ça, "élisez-nous" etc. Stop ! Ca fait quasiment dix ou quinze ans que je vais voter systématiquement "blanc" aux élections. On va dévier légèrement mais le jour où les votes "blancs" seront comptabilisés, peut être que les politiques se diront qu'il y a un problème.

En effet, les électeurs peuvent voter "blanc" mais ce n'est pas du tout comptabilisé et cela passe dans l'abstention à l'heure actuelle. C'est à dire que le vote "blanc" n'est pas reconnu alors qu'il devrait être vu comme une contestation face aux choix proposés.

Gary Constant : Je fais quand même l'effort d'aller voter. Je n'ai pas envie de te sortir le laïus mais il y a des gens qui se sont battus pour que ce droit existe donc il faut s'en servir. Je l'utilise en votant "blanc". Certains me disent que ça ne sert à rien mais j'espère qu'un jour ce sera pris en compte comme il se doit. Vote de contestation, je n'ai pas honte de le dire.

Hier, Stéphanie m'a parlé de l'expérience que vous avez mise en place avec les jeunes que vous avez présenté ce soir. Mais, lors de la remise des Prix, cela n'a pas été d'une grande clarté pour le public, je pense. Est-ce que tu pourrais présenter cette initiative ?

Gary Constant : Oui, elle ne voulait pas trop qu'on développe ça. C'est donc l'association Karma qui a remis le premier Prix ce soir. C'est une association qui réunit des jeunes des quartiers difficiles de Tours. C'est vrai qu'elle ne voulait pas trop que l'on mette ça en avant parce qu'elle ne voulait pas qu'on perçoive ça comme un truc "démago" avec les jeunes de banlieues. Donc, on n'a pas trop mis ce côté là en avant. Reste que Karma est une association d'aide aux jeunes de quartiers défavorisés. Des jeunes qui ont souvent eu de gros problèmes personnels et familiaux, des histoires vraiment difficiles... C'est une association qui leur propose toutes sortes d'activités pour les sortir de leur triste quotidien. C'était donc une manière de changer un peu leur ordinaire, en leur donnant la possibilité de remettre un Prix après avoir vu la séance de courts-métrages. Si ça a pu les aider à s'évader pendant une heure et demi de leur quotidien, la mission est remplie et nous sommes content. Quand j'ai vu leur sourire sur scène, lorsqu'ils ont remis le Prix, je dois dire que ça m'a fait vachement chaud au cœur. En réalité, ils étaient beaucoup plus nombreux que ceux qui ont pu se joindre à nous pour la cérémonie de clôture. Tous n'ont pas pu se libérer mais nous avions organisé une projection avant l'ouverture du Festival…

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Dossier réalisé par
Christophe Lemonnier, Stéphane Paulin & Xavier Desbarats
Remerciements
Gary Constant, Philippe Caza, Valentin Verger (photos), aux organisateurs et à tous les bénévoles du Festival