2. Conférence de Presse

Avec une très longue carrière musicale derrière vous, pourquoi vous lancer maintenant dans le cinéma ?

Ce film m'a donné l'opportunité de développer des idées, des images et des concepts différents de ceux abordés par la musique. La musique est plus immédiate, plus pulsionnelle... Au cinéma, et particulièrement avec un film comme CHEMICAL WEDDING, tout n'est pas nécessairement évident dès le premier visionnage. Ce n'est qu'à la quatrième ou cinquième fois, que l'on peut commencer à l'apprécier pleinement. Cette démarche était clairement intentionnelle de notre part...


Vous avez fait beaucoup de recherches en vue de préparer ce film ?

Non, aucune recherche. (rire)
Nous avons fait beaucoup de recherches pour les besoins du film. Mais au tout début, Julian Doyle et moi discutions cinéma dans un pub. Julian avait réalisé des clips pour Iron Maiden. On s'est mis à discuter de RENDEZ VOUS AVEC LA PEUR, un film du réalisateur français Jacques Tourneur. Dans ce film, la personne qui incarne le magicien, c'est Aleister Crowley. Hors personne n'avait jamais vraiment fait de film à propos de Aleister Crowley… Pourtant, c'est l'une des plus grandes figures de la culture underground du 20ème siècle. Quand j'étais gosse, il y avait des livres de Crowley dans la bibliothèque de mon école. Pour un adolescent, c'était une façon un peu particulière de faire son éducation. Mais il faut préciser qu'Aleister Crowley a toujours été lui-même un adolescent imprévisible… Donc il a eu une certaine influence sur toute une génération qui a découvert l'amour libre, la drogue et tout ce qui va avec. Cette même génération cherchait aussi une sorte de voie spirituelle détachée du carcan social établi et Aleister Crowley était en quête des mêmes choses. C'était un personnage particulièrement marquant...
Bref, lorsque l'on a mentionné RENDEZ VOUS AVEC LA PEUR, Julian m'a dit que c'était son film préféré. Du coup, nous l'avons pris comme modèle pour notre propre métrage. L'une des autres sources d'inspiration fut le livre de William Sommerset Maugham, The Magician. Maugham avait d'ailleurs rencontré Crowley et ne l'avait pas du tout apprécié. Il avait donc écrit The Magician sous la forme d'une histoire d'horreur où Aleister Crowley était représenté comme un personnage démoniaque nommé Haddo qui créait de terribles incarnations. C'est d'ailleurs pourquoi le professeur s'appelle Haddo dans le film. Le livre en lui-même n'est pas spécialement bon mais il a été adapté sous forme de métrage à hollywood. Il n'y a pas de copie du film qui ait survécu et il semble ne rester que deux photos. Personne ne sait où le film est passé…
Mais ce que nous voulions faire, à l'origine, c'était de raconter la vie d'Aleister Crowley ou, en tout cas, une histoire issue de sa vie. J'ai écrit environ quatre ou cinq scripts différents… L'un était basé sur sa vie… Un autre sur le magicien… Mais en fin de compte, après avoir écrit de nombreuses pages, Julian m'a dit que le budget ne permettrait pas de faire un film se déroulant dans le passé. C'était bien évidemment un problème puisqu'il est mort en 1947. Qu'est ce qu'on pouvait faire ? J'ai simplement suggéré de le ramener parmi nous ! En voilà une idée !
Donc, nous avions tout d'un coup une ligne à suivre en ramenant Aleister Crowley de nos jours. Après tout, Jésus est revenu d'entre les morts pour trois jours. Nous avons donc fait de même avec Crowley que nous avons ramené lui aussi pour trois jours. Ça rentrait dans notre budget et ça nous a permis d'avoir une unité temporelle. Par ailleurs, ça nous a donné l'idée d'une personne qui penserait être Aleister Crowley. Cette idée nous permettait de faire un film sur des choses que Crowley aurait pu faire sans pour autant revendiquer des faits historiques au sujet de sa vie. Tout s'en trouvait simplifié parce que du point de vue de l'écriture, Crowley posait un problème. En effet, ce n'est pas un personnage que l'on ne peut se contenter de résumer via quelques faits marquants. Un peu comme Winston Churchill par exemple. Churchill a gagné la guerre mais en réalité, son existence était bien plus riche que cela. Et il existe tant de différentes facettes de Winston Churchill que personne n'a jamais fait de film sur l'intégralité de sa vie. La raison, c'est qu'il est bien trop difficile de se focaliser sur un point particulier pour évoquer la richesse de son existence dans sa globalité.
Pour Aleister Crowley, c'est un peu pareil. Il avait une personnalité particulièrement narcissique. En même temps, il était très instruit et très talentueux. Il a révolutionné les concepts d'occultisme et de magie. Il a amené à la culture occidentale l'idée de mysticisme sexuel, le tantra, le yoga et ce bien avant que ce soit popularisé comme c'est le cas aujourd'hui. C'était donc un personnage important...
Reste que d'un point de vue purement dramatique, rien de tout cela n'est vraiment utile parce qu'on a besoin d'un point auquel se rattacher. Il est essentiel d'avoir un pivot évident pour les spectateurs sans pour autant faire un film stupide. Nous ne voulions pas faire un "FREDDY 23". Donc, nous avions quelques éléments liés à l'occulte pour ramener Aleister Crowley et mettre en péril l'héroïne qui doit être sauvée. Ça, c'est l'intrigue de base. Là dessus, nous avons bien évidemment rajouté tout un tas de choses.

Au générique, il est indiqué que cela se base sur des faits réels. Dans quelle mesure ?

De nombreux aspects du film sont basés sur des faits réels. On nous a interdit de mentionner l'église de scientologie et ses liens avec Jack Parsons, un ingénieur qui a développé un carburant pour la propulsion des fusées de la Nasa. On nous a donc interdit d'évoquer les liens qu'il avait avec Ron Hubbard, lequel était lui aussi un adepte de Aleister Crowley. Il lui a d'ailleurs volé ses idées pour les intégrer à la scientologie. En fait, tout cela était plutôt controversé et nous ne voulions pas nous exposer à des poursuites. Néanmoins, sur le DVD, il y a dans les suppléments un passage dans lequel Julian Doyle explique plus en détail les liens entre les organisations occultes, la scientologie et la communauté scientifique. Il y a aussi une nouvelle biographie de Led Zeppelin qui contient un chapitre entier à propos de Jimmy Page et Aleister Crowley. Je pense que les gens sont loin d'imaginer l'influence qu'il a pu avoir sur tant de personnalités de la culture moderne.

Apparemment, le film a été tourné en digital... C'était un choix économique ?

Nous avons tourné le film en digital mais ce n'était pas uniquement pour des raisons budgétaires. En fait, Julian Doyle voulait filmer en digital...
Il faut savoir que quand Terry Gilliam a décidé de faire des films, c'était un artiste mais il n'avait pas de connaissance en terme de réalisation et de techniques cinématographiques. C'est Julian qui lui a apporté ce savoir et qui lui a offert la capacité de faire des films… Julian fait aussi des effets spéciaux mais en réalité, il connaît tout de la création d'un film. Il est aussi un monteur et il a beaucoup travaillé sur les films des Monty Python ou bien BRAZIL et TIME BANDITS… C'est lui qui s'est chargé du montage de tous ces films. Il a souvent été assistant réalisateur, a travaillé sur les effets spéciaux et a terminé une bonne partie de BRAZIL pour le compte de Terry Gilliam qui était souffrant. Il est donc capable de tout faire et il était fasciné par le tournage en digital. Il était très enthousiaste à ce sujet mais l'autre idée qui lui plaisait, c'était de relever le challenge d'un tournage rapide. Le film a été mis en boite en cinq semaines. En gros tout a été tourné au même endroit et il a fait un excellent boulot.
En réalité, je crois me souvenir que nous avons tout de même fait quelques aller et retour à quelques kilomètres de là. Nous avons tourné dans un internat franc-maçon. Cette école avait été mise en place pour éduquer les fils des francs-maçons. Il y a une chapelle franc-maçonnique et cela ressemblait à Cambridge ou Oxford... ce type d'université. Elle avait été fermée six ou sept ans plus tôt et l'endroit a été transformé presque immédiatement en décor pour le cinéma. Plusieurs productions télévisées, séries ou films, ont été tournés là parce que l'on pouvait y utiliser aussi les bâtiments modernes… C'était donc chargé d'histoire mais tout a été racheté par des entrepreneurs qui ont tout fait démolir à l'exception des bâtiments les plus anciens. Nous avons été la dernière production à tourner là bas. En fait, ils détruisaient tout autour de nous au fur et à mesure que nous changions de bâtiments ! La séquence de la chapelle dans le film a donc été tournée dans une véritable chapelle franc-maçonnique qui apparaît aussi dans LE SENS DE LA VIE. C'est d'ailleurs comme ça que Julian Doyle avait découvert cet endroit. Nous sommes allé là bas parce que c'était idéal pour ce que nous voulions et nous avons pratiquement tourné tout le film là-bas ou aux alentours. En raison du budget assez limité, nous n'avions pas beaucoup de temps et on a donc dû faire très vite...


Comment avez vous eu l'idée de la réalité virtuelle ou bien de lier science et spiritualité un peu à la manière de AU-DELA DU REEL ?

AU-DELA DU REEL, c'est un classique. Il joue avec la réalité, la perception de la psyché et la façon dont cela nous affecte. Et puis il y avait aussi LE COBAYE mais c'était plutôt mauvais. L'idée était excellente mais le résultat était vraiment décevant. Cela joue avec l'idée d'une vie interne, d'un univers intérieur. C'est une ancienne idée occulte... l'idée d'avoir tout l'univers dans sa paume comme s'il s'agissait d'un grain de sable. Vous devez connaître l'expression : le microcosme reflète le macrocosme. C'est plutôt facile de lier ces deux choses. La physique moderne a ouvert la voie avec l'idée qu'il puisse y avoir des univers parallèles et qu'il existe par conséquent d'autres réalités. Peut-on vraiment comprendre notre existence si l'on admet qu'il puisse exister tant d'autres existences ?
Mais au-delà de ces considérations, il nous fallait bien évidemment un engin servant de passerelle entre les différents univers. Alors nous étions toujours dans un pub et j'ai dit "Nous avons besoin d'une machine qui échange les esprits". Ca, c'est un concept qui vient directement des années 50, à une époque où une telle machine aurait servi à vous transformer en communiste ! Ou en une personne qui pouvait faire des choses bien plus amusantes que ce qu'elle aurait pu faire normalement...
Bref, nous avions vraiment besoin d'une machine. Ca c'est finalement matérialisé sous la forme d'une sorte de scaphandre qui s'est vue repensée de nombreuses fois en raison du budget. Au début, cela faisait très science-fiction et c'était très détaillé. Mais il a fallu se rendre à l'évidence et nous ne pouvions nous payer qu'une poignée de petites lumières qui font bip bip, comme dans les séries de Irwin Allen… Nous avions à peu de chose près que le budget d'une série télévisée pour nos effets spéciaux.
Nous sommes donc passé par plusieurs concepts et, à l'arrivée, je trouve que ça fonctionne plutôt bien. En fait, c'est vrai que quand on voit la chose en vraie, on se dit qu'il est carrément impossible de filmer un truc pareil. C'est la manière d'éclairer et de filmer le tout qui permet au final d'obtenir un résultat franchement convaincant...
En ce qui concerne les ordinateurs, cela a posé problème car les graphismes que nous avions été très primitifs. Cependant, le film n'a pas la vocation d'être parfaitement correct d'un point de vue technologique. D'ailleurs, tous les films qui ont essayé, à part 2001 L'ODYSSEE DE L'ESPACE, se sont plantés. 2001 est probablement le seul film qui continue d'être visuellement convaincant malgré son âge. Bon, on va dire qu'il y a aussi ALIEN de Ridley Scott. Mais tout ce que fait Ridley Scott est bon… D'un autre côté, il a le budget pour que ce soit bon. Mais bon, même sans budget, ça resterait génial quand même ! Quoi qu'il en soit, nous avons essayé de faire un film qui repose davantage sur l'histoire que sur les effets spéciaux. En fait, c'est dommage mais il y a pas mal de choses que l'on n'a pas pu tourner. Des trucs sympas comme l'ouverture du film qui aurait dû se dérouler au sommet du K2 en 1929. Mais on ne pouvait pas se le permettre, c'est évident...

Pourquoi avoir choisi de reprendre des morceaux musicaux déjà existants, que ce soit de vous en solo ou bien de Iron Maiden, et ne pas avoir produit de nouveaux titres ?

De Iron Maiden, nous avons choisi "Can I play With Madness" parce que c'est Julian Doyle qui avait réalisé la vidéo. C'était une sorte de clin d'œil.
"The Evil That Men Do" a pour sa part été choisi parce que c'était approprié. Julian Doyle voyait un peu cela comme une pièce de Shakespeare, un genre de Richard III... Parce que, d'une manière générale, que fait Richard III ? C'est un homme qui agît mal, tout le temps... Pourquoi ? On n'en sait rien: Il est laid, il fait de mauvaises choses, c'est un salaud ! Tout comme Crowley en fait. "The Evil That Men Do" est issue de la littérature anglaise puisque c'est une des tirades du Jules César de Shakespeare : The evil that men do lives after them. Et puis cela fait référence au passage du temps. Dans le film, on voit pas mal d'horloges et Crowley a peur du temps. Le temps est endémique pour le film.
La troisième référence a un morceau de Iron Maiden, c'est "The Wicker Man" avec la ligne de dialogue "Your time will come". Après avoir été frappé par Crowley, un alcoolo lui dit "Bastard, your time will come" et c'est la raison pour laquelle nous avons inclus cette chanson. A dire vrai, je n'étais pas spécialement partant mais Julian trouvait l'idée intéressante.
En ce qui concerne la chanson "Chemical Wedding", il s'avère qu'elle a été composée après l'écriture du film. A l'origine, nous avons vendu deux fois le film a des compagnies de production américaines. Ils n'ont pas fait le film. Ils nous ont donné l'argent et nous ont finalement rendu le projet après trois ans. Je suppose que c'est ce qui arrive souvent à Hollywood. Ils achètent et ils ne font rien avec. Le premier fut Walter Yetnikoff. C'est l'homme qui a vendu CBS à Sony et qui a écrit le livre The Hit Man. Walter est l'un des géants de l'industrie du disque. Je lui ai donc donné le script. C'est un personnage stupéfiant. Il a dit "C'est un putain de script ! J'adore ce putain de script !". Et puis il s'est fait avoir par ses partenaires financiers et il ne l'a jamais produit. Avec classe, il nous a finalement rendu le film...
Nous sommes donc allé voir une autre compagnie, New Line. J'ai eu un entretien avec une dame très politiquement correcte. Et elle m'a dit "Wow… J'ai vu ce script… Franchement… Certaines parties sont… obscènes !". Au moment où nous parlions, le film numéro 1 au box office aux Etats-Unis était LE SILENCE DES AGNEAUX. Elle a continué "Vous savez… je ne vois pas comment ce personnage… Aleister Crowley s'ajuste avec la vision de l'homme moderne de notre société américaine". Donc, je lui ai dit "Bon, soyons clair, vous me dites qu'il faut que je ré-écrive le script pour que l'antéchrist porte une capote ?". Nous avons obtenu de l'argent de cette compagnie mais ils n'ont jamais tourné ne serait-ce qu'une image du film.
Ça a été un très très long parcours. Finalement, nous avons changé le titre du film, qui était à l'origine THE NUMBER OF THE BEAST, en CHEMICAL WEDDING. Ce qui était un bien meilleur titre en référence au premier Chemical Wedding de Christian Rosenkreutz qui était un alchimiste du 16ème siècle. A ce moment là, nous n'avions pas encore fait le film mais j'avais trouvé le titre vraiment intéressant et j'ai décidé de l'utiliser pour l'un de mes albums. J'ai commencé par faire des recherches et j'ai composé un album entier sur William Blake, titré Chemical Wedding. Ce qui était logique puisque William Blake était lui-même un alchimiste. Mais à l'origine, le titre principal du film aurait du être "Man of Sorrows" que j'ai composé spécialement pour cela. A l'arrivée, ce titre se trouve sur le générique de fin et non pas à l'ouverture du film. D'ailleurs en ce qui concerne ce premier générique, il faut savoir que nous l'avons conçu… dans un pub ! J'ai proposé de placer des coupures de journaux et ce genre de truc à propos du film. Julian a détesté l'idée. Pour lui, ça ne fonctionnerait pas. Nous l'avons donc fait sans lui et il a finalement trouvé ça vraiment bien !

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Dossier réalisé par
Christophe Lemonnier & Xavier Desbarats
Remerciements
Bruce Dickinson, Yazid Manou, Marion Doré & Anne Patrigeon