2. Compte-rendu

Tout d'abord, à nos yeux le meilleur film du festival était, hélas hors compétition, STUCK réalisé par le président du Jury himself, Stuart Gordon. Une vraie claque cinématographique ! Poursuivant son chemin réaliste entamé avec KING OF THE ANTS et EDMOND, Gordon opère un virage sociologico-gore en forme de coup de poing. Cette histoire d'infirmière renversant un cadre en voie de clochardisation, l'encastrant dans son pare brise pour le laisser mourir dans son garage est renversante. L'image délibérément réaliste ne met absolument pas en valeur ses protagonistes interprété par une Mena Suvari qui donne ses lettres noblesses à son jeu d'actrice et un Stephen Rea au sommet de son art. Mené par ce duo désespéré, Stuart Gordon appuie là où ça fait mal en présentant une société malade, déshumanisée et quasi robotisée par une administration qui ravage et mine l'individu. Ainsi on peut y croiser des immigrés qui ont peur d'intervenir de peur d'être renvoyés chez eux. Un descriptif applicable largement à la situation de notre belle France. Une infirmière supposée sauver des vies qui panique et laisse mourir un homme. Et des plans sanglants qui remuent la chair, crève les yeux. Tout ce qui fait mal est sur l'écran : brut, sale. Stuart Gordon se laisse aller à un constat politique et social d'une noirceur assez forte et qui ne surfe pas sur la facilité.

Comme Stuart Gordon l'a indiqué sur scène, avec CLOVERFIELD, [REC] et DIARY OF THE DEAD, cela aurait pu s'appeler le Festival Deodato tant ces trois films prennent comme acquis filmique le principe que le cinéaste italien utilisa dans CANNIBAL HOLOCAUST avec le documentaire prenant le pas sur la fiction. Les exemples cités réussissent l'exercice avec un degré de bonheur plus ou moins égal. CLOVERFIELD prenant une direction plus humaine avec en toile de fond un GODZILLA (version Emmerich) filmé en DV, agrémenté d'une bonne dose de marketing viral et de paranoia collective à la LOST. Avec toujours autant de caméra tressautante qui file mal au crâne à force de vouloir faire vrai, CLOVERFIELD est à prendre strictement au premier degré si l'on veut apprécie la bête (dans tous les sens du terme).

[REC] est une bête de festival : né pour plaire à son public premier. Il y est arrivé, le prix du Public en témoignant. Maintenant, que reste-t-il de cet exercice ? Un 28 JOURS PLUS TARD ibère, tentant de timides esquisses sociales, puis se terminant par une explication scientifico-religieuse improbable parce qu'il faut absolument expliquer au public ce qu'il s'est passé. Le seul but : faire peur ! Le film y arrive parfois... Mais ça reste assez vain et le cinéma n'y est pas forcément gagnant. Là aussi, à prendre au premier degré pour apprécier, car il n'y a rien d'autre à espérer.

DIARY OF THE DEAD est d'un tout autre niveau. George Romero a réussi un film extrêmement adulte, noir, désespéré et terriblement pessimiste sur la nature humaine. Tout en embrassant une forme documentaire-vérité qui a tout compris sur sa nature et sur son utilisation dans le discours narratif. Beaucoup moins infantile et primaire que CLOVERFIELD et [REC], DIARY OF THE DEAD propose une relecture passionnante du mythe des morts vivants à travers les yeux d'une caméra que Dziga Vertov n'aurait pas reniée.

Le plutôt démagogique FRONTIERE(S) semble avoir divisé le public : ceux qui riaient avec et ceux qui riaient du film. L'équipe de cette production française, croyant la salle acquise à leur cause, est revenue discuter de la chose après la projection. Visiblement peu enclins à traiter avec ceux qui n'aimaient pas le film, deux des acteurs (dont l'un ne s'est visiblement pas remis de sa prestation inénarrable dans Grande Ecole) n'ont pu que se répandre en moqueries et insultes. Répondre "Ta gueule" n'est certainement pas la meilleure réponse à une question quand on ne sait pas quoi répondre. MASSACRE A LA TRONCONNEUSE n'est pas très loin mais on pense surtout à un SHEITAN bis, dont FRONTIERE(S) reprend l'exacte structure de scénario et semble fourrer son nez dans le crapoteux, le gore et l'hystérie. Le problème vient qu'à force de vouloir dénoncer certaines choses (dont le ridicule contexte politique sous-tendu), le film tombe dans le même travers. De superbes dialogues comme "Tête de chibre", "Descend de ma bagnole ou j't'encule", "T'es ma salope, hein" et "Pédale" abondent. C'est le parler vrai de la banlieue d'après le film comme cela reste second degré, c'est sensé passer ! Être anti-raciste c'est bien... Être contre les neo nazis cannibales franchouillard qu'on trouve en campagne profonde, c'est humain... Et balancer des insultes homophobes, c'est tout à fait normal, puisque c'est le parler vrai. Gênant ! Mais comme le film vise les couilles, il est juste qu'il soit apprécié pour ce qu'il est. Mal éclairé, monté au hachoir électrique et doté d'une seule scène intéressante (celle où l'heroine passe sous la grille de sa prison dans une flaque de bloue), le film est particulièrement laid. Sans parler des acteurs en roue libre qui concourrent à qui sera le plus hystérique. Ce n'est pas en mettant tout à la figure du spectateur pour montrer qu'on peut le faire que cela rime avec du cinéma. De l'exploitation, à la rigueur, empilée à la va-vite comme dans un rayon de boucherie Lidl et on en vient à se demander si c'est ça, l'avenir du cinéma de genre français...

Hormis le monstre caoutchouteux de CLOVERFIELD, il y avait aussi du crocodile à se mettre sous la dent. Greg MacLean, déjà en compétition à Gérardmer avec WOLF CREEK, remet le couvert avec ROGUE. Précédé d'une réputation médiocre, force est de reconnaître que ce crocodile a du bon mordant. À l'instar du BLACK WATER présenté en sélection inédits DVD, ROGUE s'inspire d'un fait-divers réel. Tourné dans des conditions délicates en Australie avec Michael Vartan et Radha Mitchell, ROGUE offre non seulement un superbe visuel mais des attaques féroces et réussies. Allié à un respect scrupuleux des méthodes d'attaque du saurien (contrairement à BLACK WATER, d'ailleurs), le suspense fonctionne et la tension monte au fur et à mesure que la marée recouvre l'île sur laquelle les rescapés ont pris place. Le final spectaculaire vient clore un métrage d'attaque animale de facture classique mais diablement efficace.

Tant sur l'affiche du festival que dans le thème du colloque, on retrouvait la métamorphose présente dans une bonne partie des métrages présents. Elle est hallucinogène avec SHROOMS et ses adolescents débilissimes en quête de psilocybes en Irlande. Il est très curieux qu'une société comme Bac Films ait choisi de distribuer un produit aussi bancal et inepte que ce film au cinéma. Probablement le plus mauvais métrage qu'il nous ait été donné de voir durant cette édition du festival, SHROOMS saborde totalement son sujet dont on ne retient au final qu'une excellente scène de vache bavarde. On a déjà parlé des métamorphoses physiques des morts-vivants de [REC] et de DIARY OF THE DEAD mais il y avait aussi celles, plus subtiles et terribles, de JOSHUA, TEETH. et ALL THE BOYS LOVE MANDY LANE.

Pas de Satan ni de clonage raté dans JOSHUA qui nous présente un environnement familial équilibré et pourtant… le film raconte avec beaucoup de délicatesse (et de cruauté) l'effondrement tranquille d'une cellule familiale grâce à un enfant en apparence sage mais foncièrement malin et mauvais. Sam Rockwell excelle dans le rôle du père qui marche vers l'autodestruction.

Autre bonne surprise avec TEETH écrit et réalisé par Mitchell Lichtenstein. Un drôle de film qui narre la vengeance d'un vagin denté que l'héroïne découvre progressivement au fur et à mesure dont elle s'éveille à sa propre nature. Drôle, féroce dans son portrait d'une Amérique moyenne en proie aux relents conservateurs. Où la répression de la sexualité mène à l'acceptance de soi. Ce qui n'empêche pas TEETH de rentrer dans le lard des conventions et de montrer des débordements gores des plus transgressifs (eux), directement liés à ce que la censure américaine refuse d'admettre. Le film est parfois maladroit mais sincère dans son approche brute et peu consensuelle de la vie adolescente américaine très éloignée des conventions visuelles et narratives auxquelles le cinéma nord américain nous a habitué. Bravo !

Pour faire la liaison avec les ados, on arrive à ALL THE BOYS LOVE MANDY LANE, autre produit concernant les aléas amoureux d'un groupe de teenagers. Mandy Lane est belle, au point que chacun souhaite sortir avec elle. Il y en a même un qui en meurt, au début du film, à la suite d'un pari stupide. Et lorsqu'à la faveur d'un week-end les prétendants tombent comme des mouches, la belle Mandy Lane ne sait plus vers qui se tourner. Pour son premier film, Jonathan Levine suit une recette bien éculée, mais en y ajoutant une photographie réaliste (jamais les boutons d'acné juvénile ne furent aussi voyants !), un Scope généreux et une nouvelle vue sur le mythe de la jeune fille virginale. Quelques petits rien de la vie filmés avec un sens du détail donnent à un scénario très classique un air filmique inhabituel agrémenté d'une fin totalement amorale. On aime !

L'ORPHELINAT était un film calibré pour le Grand Prix. Consensuel, avançant en terrain connu, porté par une histoire touchante (la perte d'un enfant) et porté à bout de bras par le producteur Wild Bunch. Le réalisateur, venu présenter son bébé, en a profité pour indiquer au public qu'il était fier d'avoir le nom du festival de Gérardmer sur l'affiche de son film. C'est gagné puisqu'il est reparti avec le pompon. Cette resucée des INNOCENTS ou des AUTRES a bénéficié d'une audience record en Espagne, plus gros succès de tous les temps. Il n'empêche que le film, bien que joliment réalisé, ne fait que compiler des effets déjà vus auparavant. Cette relation femme/enfant a déjà été explorée dans THE RING, DARK WATER… mais on pourrait aussi rajouter LE SIXIEME SENS. Bref, le film suit une lignée internationale, exportable bien calibrée et très bien huilée. Un produit bien pensé… auquel il manque certainement une once d'originalité !

Quant à la sélection des films à sortir directement en vidéo, outre les évidences du marché (DETOUR MORTEL 2 ou encore TURISTATS devenu PARADISE LOST en France, encore bravo pour les traducteurs), quelques perles étaient présentes. Un autre crocodile australien fit ainsi son apparition dans BLACK WATER. Dommage que la projection très sombre du Paradiso n'ait pas rendu hommage à ce huis clos tendu, où un crocodile attaque une barque de quelques touristes qui se réfugient sur un arbre au milieu des marais. Le crocodile possède une réelle présence maléfique, dommage que les scènes d'exposition soient trop longues. Les attaques en deviennent cependant spectaculaires. STEEL TRAP est lui un héritier direct du Giallo italien : endroit clos, invitations mystérieuses, groupe de gens apparemment sans lien qui se retrouve prisonnier d'un immeuble désaffecté et qui est tué, un à un, par un mystérieux assassin ganté de cuir noir. Excellents dialogues au rasoir et des meurtres inventifs arrivent à masquer une direction d'acteur à la ramasse. Réalisé avec énergie, STEEL TRAP réussit son pari. Enfin, la grosse production coréenne D-WAR débarque avec une version coupée de 89 minutes que Columbia Tri-Star Home Video va sortir le 4 juin 2008. Pour qui veut des dragons géants qui ravagent Los Angeles, le film est parfait. Quelques effets spéciaux hasardeux mêlés à une histoire complexe, devenue confuse après des coupes sauvages (il manque une vingtaine de minutes par rapport à la version d'origine) donnent au film une patine de série B de luxe. Là aussi, la projection crapoteuse a empêché de voir le combat final se déroulant dans la pénombre.

On terminera par quelques mots sur l'hommage à Takashi Shimizu, qui laisse un goût étrange. Autant un hommage à des maîtres reconnus qui ont une riche carrière derrière eux - Jess Franco et ses centaines de films, pour ne nommer que lui -, peut se comprendre. Mais récompenser un homme ayant réalisé aussi peu de films (dont presque tous les mêmes !) semble curieux. Certes, sa résonance est mondiale, aidé par le succès de ses deux remakes/suites américains de THE GRUDGE et THE GRUDGE 2. Cela aide probablement le festival à acquérir une renommée plus internationale de par son habilité à reconnaître des talents. Toutefois, la prestation de Shimizu fut excellente, il faut bien le dire, pleine d'humour et d'étonnement.

Ainsi se sont achevés ces quelques jours de Festival, sans aucune neige, cette fois ci, mais avec une programmation équilibrée et sachant anticiper ce que sera peut-être le marché du film de genre de demain. Un cinéma au discours social plus prononcé, aux recettes identiques sans cesse reprises, un cinéma européen en pleine mutation - ou tentant de se conformer à une mondialisation économique afin de trouver de nouveaux débouchés internationaux.
En tout cas, quelques points rassurants, les monstres continueront à attaquer les humains, les tueurs en série vont toujours jouer de l'arme blanche, les morts-vivants se portent bien, et les fantômes sont encore en plein au-delà. Et puis tant qu'on trouvera des vagins avec des dents, c'est que le cinéma fantastique n'est finalement pas à court d'idées.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier