5. L'âge d'or

Les bases de "Midi-Minuit Fantastique" sont donc posées, la machine est lancée, avec, en été 1962, un superbe second numéro dont le sujet thématique s'avère "Les vamps dans le fantastique". Il s'agit en fait d'un numéro recoupant toutes les traditions du fantastique consacrée aux femmes. Derrière sa couverture, illustrée par une photo de LE VOLEUR DE BAGDAD, nous trouvons toute une sélection de filmographies, textes, gravures, photos de films, poèmes - dont certains de Boris Vian - dédiés aux sorcières, aux femmes vampires ou aux sirènes. Une merveille, à lire et à relire !

Vient ensuite le numéro 3, en automne 1962, consacré à KING KONG. Sans doute le plus connu des numéros de "Midi-Minuit fantastique", et aussi un des plus côtés ! Il faut se rappeler qu'à l'époque, KING KONG était largement considéré en France comme un navet puéril. Lorsqu'il était montré à des spectateurs "cultivés" (cinémathèque, etc.), ceux-ci ricanaient d'aise devant ce qu'ils considéraient comme ce qu'on appellerait aujourd'hui "un nanar gouleyant". Et là, sortons de notre réserve, et permettons-nous de dire : "Les cons !". Dans le numéro "Bizarre 24-25", nous trouvons ainsi la description d'un évènement, difficile à relire sans un pincement au cœur : "Nous avons vu jean Boullet, jadis, les larmes aux yeux, défendre KING KONG quasiment seul en face d'une salle de potaches turbulents et ricaneurs." Défendre seul contre tous le film trop fragiles, trop insolites pour entraîner l'adhésion du plus grand nombre, des esprits conformistes, des faibles incapables d'avoir un avis autre que le plus répandu dans les sphères où ils évoluent : voici sans doute LA démarche qui devrait animer tout véritable amoureux du cinéma fantastique !

Pour ce fameux numéro 3, Jean-Claude Romer se souvient : "En France, personne n’avait vu la version complète de KING KONG. Il manquait les dix premières minutes. On était directement sur le bateau. Alors que nous, quand on l’a programmé en salles plus tard, on a exigé un tirage d’après le négatif original et en version originale. Parce que les gens ne connaissaient que la version française. Donc, moi, j’étais attentif. Vous savez, on a sorti LA FELINE aussi, et la suite qui était inédite, on a fait énormément de choses. Quel bonheur. On avait les catalogues, on allait à Londres et on disait "On veut ça... On veut ça...". Le rêve !
Vous savez, il y avait une interaction entre la bande dessiné, le cinéma, la programmation et moi, je trouve que tout cela faisait un tout ! Maintenant, on dit : "Oui, c’est évident !" Dans les années 60, il fallait de l’enthousiasme pour ça. Et c’était autrement plus difficile que maintenant.
"

Toujours dans ce même numéro 3, une critique assassine de Michel Caen s'en prend à BOCCACE 70, film à sketch italien co-réalisé par Luchino Visconti, Federico Fellini et Vittorio De Sica. Elle se conclut par : "On nous a trop longtemps rabattu les oreilles avec les sempiternels mousquetaires du cinéma italien... je m'autorise à suggérer, au contraire, la fréquentation de ces cinéastes transalpins : Vittorio Cottafavi et Riccardo Freda."

Fallait-il y voir une manière de dresser cinéma d'auteurs contre cinéma Bis, et, d'une certaine façon, d'opposer "Midi-Minuit Fantastique" contre des titres tels que "Positif" ou "Les Cahiers du Cinéma" ?

"Nous n’avions pas de position. On était Midi-Minuiste, point final ! C’est les autres qui trouvaient qu’on marchait sur leurs plates bandes, des fois. Il y avait un petit peu, je ne dirais pas de la jalousie... Mais des gens comme Jean-Paul Torok, des rédacteurs comme Paul-Louis Thirard de "Positif" abordaient de temps en temps des films dits fantastique. Donc, quand ils ont vu un premier numéro spécial "Midi-Minuit Fantastique" paraître, ils se sont dits qu'on chassait sur leurs terres. Mais après, on est devenu les meilleurs amis du monde ! Paul-Louis Thirard a participé à "Midi-Minuit" par la suite.
Moi-même, j’ai fait des critiques sous des pseudos dans "Midi-Minuit" pour ne pas avoir l’air de faire tout le journal. Il y a même des numéros où je faisais la maquette. Parce qu’à l’époque c’était de la linotypie. C’était du plomb fondu sur des grandes bécanes. Il fallait mettre chacun des caractères. Les premiers numéros, c’était ça. Moi, j’ai beaucoup appris sur la technique.
"

En janvier 1963 sort le premier numéro-double 4-5 de "Midi-Minuit Fantastique", consacré à Dracula, le prince de tous les vampires ! Pourquoi un numéro-double, d'ailleurs ?

"Parce que Losfeld avait des difficultés de trésorerie, j’imagine, et c’était plus simple de regrouper ça sur un seul numéro, qui était gros d’ailleurs. Cela permettait aussi de le vendre plus cher en regroupant deux numéros. Vous savez, la technique de Losfeld, c’était de rassembler la maquette avec les textes du numéro en question, les photos et les illustrations. Et puis, il soumettait tout ça à un imprimeur pour lui demander combien cela coûterait à fabriquer. Alors l’imprimeur lui disait un tarif X. Losfeld disait "Très bien" et il reprenait le paquet et il balançait ça à un deuxième imprimeur. Puis un troisième…"

En fait, une grande partie de la pagination de ce numéro 4-5 est dédiée à la publication du roman "Dracula" de Bram Stoker. Le numéro contient aussi une lettre de Christopher Lee, dans laquelle il revient sur son interprétation du comte sanglant. Dans l'ours de ce numéro, on remarque l'absence de Jean Boullet qui avait quitté définitivement la revue. "Il est parti au moment du numéro KING KONG. Parce qu’il y avait des dissensions. Lui, il était plutôt conservateur. Il trouvait que les films récents étaient beaucoup moins intéressants que les films anciens. Ses chers films qu’il ressassait depuis des années et des années. On lui disait "Oui, mais en ce moment il y a Corman qui sort des choses, Freda...". Il n’était plus là au moment du numéro avec Dracula. Il nous avait dits "Sans mes documents, vous ne pourrez rien faire !" La suite prouva qu'il avait tort !".

Les drames du coeur, spécial Dracula ! Le numéro inclut un très beau cahier d'illustrations, qui contient toutefois encore des apports de Jean Boullet : "Il était fâché mais il avait des choses comme ça : "Les Drames du Cœur" [un roman-photo en français racontant l'histoire du DRACULA de Tod Browning]. C’est fabuleux, ça. C’était chez Boullet. Moi, je connaissais le "club Bela Lugosi", le fan club américain. Donc, j’avais reçu le "Bela Lugosi Journal". Je m’étais occupé de faire venir, ce qui était rarissime aussi, des photos de la version espagnoles avec Carlos Villaria, tournée en même temps que celle de Browning, dans les mêmes studios. On ne la connaissait pas du tout en France !"

"Midi-Minuit Fantastique" continue son bonhomme de chemin avec un autre numéro célèbre : le 6 dédié, comme l'indique sa couverture, à LA CHASSE DU COMTE ZAROFF - et non pas à LES CHASSES DU COMTE ZAROFF, retitrage postérieur ! "J’avais fait beaucoup de recherches sur ZAROFF. On dit parfois LES CHASSES DU COMTE ZAROFF. Mais c’était bien LA CHASSE DU COMTE ZAROFF. Mais pour un distributeur, ça fait plus riche de dire LES CHASSES... Moi, je suis très attentif aux titres. !".

Dans ce numéro, nous poursuivons la tradition de la publication de "Dracula" avec, cette fois-ci, celle de la nouvelle "Le plus dangereux des gibiers" de Richard Connell. Une nouvelle qui inspira au producteur Merian C. Cooper et aux réalisateurs Irving Pichel et Ernest Schoedsack LA CHASSE DU COMTE ZAROFF. Nous trouvons aussi la première interview publiée dans "Midi-Minuit Fantastique", une interview accordée par rien de moins que Merian C. Cooper en personne ! Il y aussi un dossier consacré à Ray Harryhausen - qui était alors en train de préparer JASON ET LES ARGONAUTES. Un autre article revient sur la carrière de Willis O'Brien. Les créateurs d'effets spéciaux commencent donc à être considérés comme des artistes, dignes d'études détaillées...

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Dossier réalisé par
Emmanuel Denis
Remerciements
Jean-Claude Romer