Ne recevant plus de ses nouvelles, la prétendante de Guy Carrell se rend dans la demeure familiale de celui qu’elle aime. Elle le découvre affligé d’un mal qui le ronge. Ce mal, une phobie assez ancienne, est le sujet de L'ENTERRÉ VIVANT.

A partir du XVIIIème et jusqu’au XIXème siècle, la peur d’être enterrée vivant se répand. La médecine n’est pas aussi évoluée qu’aujourd’hui et les enterrements sont effectués rapidement. La Presse relate alors assez souvent des cas de «retours à la vie» où les dépouilles exhumées donnent l’impression de s’être débattues avant de périr enfermées dans leur cercueil. En réalité, la plupart de ces cas ont des explications scientifiques mais à l’époque tout cela alimentait l’imagination collective. De là va naître la Taphophobie, c’est-à-dire la peur d’être enterré vivant. Edgar Allan Poe s’en empare et écrit «L’inhumation prématurée» qui sera publié en 1844. Cette courte histoire expose l’invention surprenante d’un tombeau qui permettrait d’en réchapper au cas où l’on serait enterré vivant. Mais le plus étonnant, c’est qu’il s’agit aussi d’un fait véridique. On trouve des traces de cercueils aménagés dès 1791 en Allemagne. Bien plus proche de la publication de la nouvelle de Poe, en 1829, toujours en Allemagne, un cercueil présenté par Johann Gottfried Taberger était équipé d’une cloche. Aux Etats-Unis en 1943, le dispositif mortuaire de l’Américain Christian Henry Eisenbrandt évoque un système d’aération mais aussi un dispositif d’ouverture au moindre mouvement. Tout cela se trouve dans la nouvelle d’Edgar Allan Poe qui expose son histoire à la première personne, nous faisant partager les états d’âme de son protagoniste. Cette obsession d’être considéré à tort comme mort et ce qui en découle, on la retrouve aussi dans au moins deux autres histoires de l’auteur : «La Chute de la Maison Usher» et «La Vérité sur le cas de M. Valdermar». L’œuvre d’Edgar Allan Poe va être adaptée assez tôt au cinéma et à nombreuses reprises. Pour le thème qui nous intéresse, on peut citer RACHMANINOFF’S PRELUDE réalisé et interprété en 1927 par Castleton Knight. Ce court-métrage muet nous montre le cauchemar macabre d’un lecteur qui s’est assoupi lors de la lecture de la nouvelle d’Edgar Allan Poe. Mais ce sera 35 ans plus tard qu’une autre adaptation verra le jour en y intégrant beaucoup plus d’éléments du récit original, L'ENTERRÉ VIVANT de Roger Corman.

L'ENTERRÉ VIVANT n’est pas une adaptation littérale de la nouvelle de Poe. Il serait assez difficile de réaliser un long-métrage totalement fidèle au récit introspectif original. En lieu et place les scénaristes du film reprennent les éléments de la nouvelle de Poe et brodent tout autour une histoire où se mêlent romantisme et complot machiavélique. On y retrouve tous les ingrédients des récits gothiques : malédiction familiale, âmes tourmentées, demeure lugubre… Le film s’inscrit totalement dans le prolongement des deux adaptations d’Edgar Allan Poe produites par AIP (American International Pictures) et réalisées par Roger Corman auparavant.
Mais si LA CHUTE DE LA MAISON USHER et LA CHAMBRE DES TORTURES ont été d’énormes succès commerciaux, Roger Corman est déçu de sa rétribution alors même qu’il a initié les deux projets. Le cinéaste décide de s’éloigner d’AIP avec qui il collaborait depuis le milieu des années 50 et de faire cavalier seul. Mais il lui faut de nouveaux partenaires financiers. La structure américaine Pathé Laboratories propose des arrangements dans la mise à disposition de services que le cinéma indépendant utilise souvent. Roger Corman y a déjà fait appel via AIP. Ainsi, les parties techniques de développement, de tirage et de post-production sont proposées «à crédit». En contrepartie, tant que l’avance n’a pas été remboursée, Pathé Laboratories conserve les droits exclusifs sur les négatifs. De façon inhabituelle pour Pathé Laboratories, la structure au capital du film après avoir été convaincue par Roger Corman. En opérant cette scission, le cinéaste n’a plus la possibilité de retravailler avec des membres clefs de l’équipe de LA CHUTE DE LA MAISON USHER et de LA CHAMBRE DES TORTURES. Le scénariste Richard Matheson est remplacé par Charles Beaumont et Ray Russell. Vincent Price, la figure de ce cycle Poe, n’apparaît pas dans L'ENTERRÉ VIVANT. Et pour cause, le comédien a un accord contractuel fort d’exclusivité avec l’AIP. Le rôle-titre est donné à Ray Milland. Oscarisé en 1945 pour LE POISON de Billy Wilder, l’acteur se trouve sur une pente descendante. Il n’en reste pas moins un nom prestigieux à mettre sur l’affiche d’un film. Face à lui, on retrouve Hazel Court, l’interprète féminine de FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ !

Alors que Roger Corman voulait créer L'ENTERRÉ VIVANT sans l’AIP, le film va tout de même retomber dans les mains d’American International Pictures. Roger Corman cite le fait qu’en arrivant sur le tournage, il se trouve face à Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, les pontes d’AIP, qui lui disent en souriant qu’ils sont contents de travailler sur ce film. En coulisse, les deux producteurs ont racheté les droits auprès de Pathé Laboratories devenant les détenteurs du film ainsi que du négatif. Finalement, Roger Corman l’acceptera puisqu’il tournera encore de nombreux films pour AIP dont les cinq autres «adaptations» d’Edgar Allan Poe. Le cinéaste ne prendra son indépendance que plus tard, en particulier avec New World Pictures qui lui permettra de donner à de nombreux jeunes cinéastes l’opportunité de faire des films : Ron Howard, Martin Scorsese, Joe Dante, Jonathan Demme ou encore James Cameron. Quant à Ray Milland, il rentre dans le giron de l’AIP de manière fortuite par ce rachat. Cela ne durera que le temps de L'HORRIBLE CAS DU DOCTEUR X de Roger Corman mais aussi PANIC IN YEAR ZERO ! où le comédien assure également la réalisation. Hazel Court, quant à elle, participera à d’autres films du cycle Poe réalisé par Roger Corman.

Mais revenons à l’intrigue du film. En y plaçant des éléments romantiques ainsi qu’une sombre manipulation, les scénaristes étoffent le récit mais lui donnent aussi une tonalité un peu différente. Le passage du film le plus intriguant est celui qui tourne autour du tombeau aménagé par le héros. Il a pensé à toutes les éventualités et déployé des trésors d’inventivité pour contrer le mauvais sort et faire en sorte de ne pas se faire enterrer vivant. Cela mène à une partie plutôt savoureuse où toutes les subtilités du mausolée sont testées en conditions «réelles». Le reste de l’intrigue est assez inégal mais nous offre tout de même un divertissement de qualité jouant sur les angoisses et la peur obsessionnelle de son protagoniste. L’épilogue du film n’apporte pas exactement la même morale que la chute de l’œuvre originale. En réalisant que c’est sa propre peur qui creuse sa tombe, le personnage chez Poe s’en affranchit. Dans L'ENTERRÉ VIVANT, cela semble moins évident bien que cela puisse être débattu !